La lutte pour l’avortement inquiète des militantes d’ici
Une d’entre elles raconte celui qu’elle a clandestinement vécu dans les années 1960
Une militante féministe qui a dû subir un avortement clandestin à Montréal dans les années 1960 rappelle qu’il reste encore des batailles à livrer en la matière alors que l’avenir des interruptions de grossesse est en jeu aux États-unis.
« Les conséquences d’un recul [de l’accès à l’avortement] seraient un retour à une certaine Grande Noirceur », affirme Claire Aubin.
L’artiste de 74 ans en sait quelque chose. Alors qu’elle était au début de la vingtaine, elle a dû subir un avortement clandestin dans une tour de bureaux de l’ouest de l’île de Montréal, puisque son médecin généraliste a refusé de procéder à l’acte.
L’avortement, qui aurait été effectué par un médecin, lui a coûté 400 $, soit l’équivalent de plus de 3000 $ aujourd’hui. « Une fois qu’il a retiré le foetus, en le mettant aux poubelles il a dit : “C’est un garçon”. J’ai vu là une tentative de m’humilier ou de me culpabiliser », se souvient Mme Aubin.
« Les femmes vivaient dans un régime de terreur, parce qu’elles avaient peur tous les mois de se retrouver enceintes […] Les femmes étaient soumises à leur conjoint, ne pouvaient pas refuser un rapport sexuel et n’avaient pas de moyen contraceptif. C’est vraiment terrible », raconte la militante Louise Desmarais, auteure du livre La bataille de l’avortement : Chronique québécoise.
COMPLICATIONS
Si Claire Aubin n’a pas subi de complications à la suite de l’intervention, toutes n’ont pas eu cette chance.
Certaines femmes vont en mourir, alors que d’autres auront des infections généralisées, l’utérus complètement détruit, ou seront infertiles, notamment.
Selon le Bureau fédéral de la statistique, l’ancêtre de Statistique Canada, l’avortement est la principale cause d’hospitalisation des femmes au pays en 1966, avec 45 482 admissions.
« Prendre connaissance des séquelles pour les femmes d’être laissées à ellesmêmes m’a beaucoup influencé pour m’engager dans le mouvement féministe », affirme Mme Aubin.
PILULE ABORTIVE
Selon Claire Aubin, un monde sans avortement légal en 2022 serait toutefois bien différent d’il y a soixante ans.
« Les femmes vont toujours se débrouiller, surtout avec la technologie moderne. Je ne pense pas qu’on retournerait à l’état des années 50-60, étant donné les progrès de la pharmacopée », précise-t-elle.
La voie de sortie serait pour elle la pilule abortive. « Si la voie chirurgicale n’est plus possible aux États-unis, peutêtre que les femmes vont de plus en plus recourir à cela », croit Mme Aubin.
Actuellement, plus de la moitié des Américaines souhaitant mettre un terme à leur grossesse le font à l’aide de la pilule abortive, mais seulement 12 % des Québécoises ont utilisé cette méthode en 2020.
Selon un sondage Léger, 61 % des Québécoises ne savent pas qu’il existe une option d’avortement non chirurgical.
« Pour nous, avoir des services sécuritaires ça veut aussi dire de pouvoir faire un choix éclairé et que le choix que l’on fait soit respecté », croit Anne-valérie Lemieux Breton, co-coordonnatrice du Regroupement des groupes de femmes de la région de la Capitale-nationale.
« Tout n’est pas acquis pour les femmes dans beaucoup de domaines. L’égalité dans les droits, ça veut aussi dire d’avoir cette liberté de disposer de notre corps », conclut Mme Aubin.
– Avec Roxane Trudel