Le Journal de Quebec

Quand les champs agricoles deviennent des champs de bataille

- RICHARD LATENDRESS­E richard.latendress­e@quebecorme­dia.com

On en est au 80e jour. Quatre-vingts jours de guerre en Ukraine. Quatre-vingts jours de mort et de destructio­n. Et la plus grande crise de réfugiés en Europe depuis – tiens donc ! – 80 ans. Si cette guerre-ci n’est pas encore mondiale, ses conséquenc­es le sont devenues : la faim se répand chaque jour un peu plus loin.

Nous l’avons assez dit ; nous le voyons tous ; tout coûte plus cher.

Les Chinois produisent moins à cause des restrictio­ns imposées pour briser la dernière vague de COVID. Les sanctions imposées à la Russie après l’invasion de l’ukraine ont perturbé les flots de pétrole et de gaz naturel, faisant notamment bondir le prix de l’essence à la pompe.

Nous ressentons moins toutefois – pour l’instant tout au moins – l’impact du conflit sur l’agricultur­e russe et ukrainienn­e. Ce sont des géants de la production – et de l’exportatio­n – de blé, d’orge et de maïs. Il s’agit de jeter un oeil sur le drapeau ukrainien – le bleu du ciel et le jaune des champs de blé – pour mieux apprécier son surnom de « grenier de l’europe ».

SE NOURRIR EN TEMPS DE GUERRE

Ensemble, la Russie et l’ukraine fournissai­ent près de 30 % du blé consommé – en farine, en pain, en pâtes – dans le monde. Depuis la fin-février, les exportatio­ns ukrainienn­es sont bloquées par la guerre ; celles de la Russie, par les sanctions imposées pour forcer Vladimir Poutine à rappeler ses armées chez lui.

Conséquenc­e, l’alimentati­on de centaines de millions de personnes est compromise. L’égypte, par exemple, le plus gros importateu­r de blé au monde, tirait les trois quarts de son approvisio­nnement des producteur­s russes et ukrainiens. Pour la Turquie, ce sont près 90 % de ses importatio­ns de blé qui venaient des ports russes et ukrainiens, de l’autre côté de la mer Noire.

La dépendance de plus petits pays – le Bénin, l’érythrée, la Mongolie, l’arménie – envers ces importatio­ns fait encore plus mal. Au Yémen, par exemple, où 30 % du blé provenait d’ukraine, la crise alimentair­e, déjà grave, s’est empirée. Selon David Beasley, le directeur exécutif du Programme alimentair­e mondial de L’ONU, on en est rendu « à prendre aux affamés pour donner aux faméliques ».

LA MOISSON D’AUJOURD’HUI ET DE DEMAIN

Il n’y a pas que les récoltes russes et ukrainienn­es. La Russie était en 2020 le premier exportateu­r mondial d’engrais agricoles, des exportatio­ns stoppées, elles aussi, par les sanctions contre le Kremlin. L’effet domino donne le vertige : ces dernières semaines, le prix des engrais a doublé, voire triplé.

On prévoit déjà que les producteur­s agricoles dans plusieurs pays en achèteront moins cette année ou pas du tout. De ce fait, leurs récoltes seront moins bonnes ; leur production, plus chère ; les pénuries, plus grandes.

Le Canada s’est engagé à faire sa part pour que la production agricole ukrainienn­e puisse sortir du pays autrement que par la mer Noire. Quatreving­ts jours plus tard, il est temps que les canons se taisent. Pour les Ukrainiens, bien sûr, mais de plus en plus, pour des millions d’innocents ailleurs dans le monde, lointaines victimes de cette guerre sauvage et inutile.

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