Le Journal de Quebec

Quand le désespoir mène à la mort

Le confinemen­t lié à la pandémie a été fatal pour des aînés en détresse qui ont mis fin à leurs jours

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Mis en place pour leur sauver la vie d’une infection mortelle, le confinemen­t des aînés durant la pandémie a généré beaucoup de détresse psychologi­que, et une quarantain­e d’entre eux ont mis fin à leurs jours.

Quarante Québécois se sont enlevé la vie dans leur résidence pour aînés ou en Centre d’hébergemen­t de soins de longue durée (CHSLD) depuis le début de la pandémie.

Ces données ont été compilées par Le Journal, qui a lu 1297 rapports de coroners à la suite de décès survenus dans ces endroits, depuis mars 2020.

QUAND LA VIE N’A PLUS DE SENS

Durant la première vague, les aînés étaient confinés dans leur appartemen­t ou dans leur chambre. Pendant plusieurs semaines, ils ne pouvaient plus manger à la cafétéria, se promener dans la résidence ou recevoir la visite de proches. On les empêchait même de prendre leur voiture.

« Le fait d’être isolés, confinés avec des règles strictes, de ne pas avoir de contacts avec la famille, c’est certain que ça a aggravé leur situation au niveau de la santé mentale », déplore Lucile Agarrat, psychologu­e spécialisé­e auprès des aînés.

Pour beaucoup, cet isolement a généré de la frustratio­n, de l’angoisse et de la détresse. Une dizaine de résidents ont mis fin à leurs jours en se jetant du haut de leur balcon.

• Un homme de 67 ans a sauté du balcon du septième étage d’une résidence pour aînés, en mars 2020. « [Monsieur] était confiné dans son appartemen­t et éprouvait un grand sentiment d’isolement, a écrit la coroner Amélie Lavigne. Le contexte de la COVID-19 est un des facteurs contributi­fs au décès. »

• En octobre 2020, une dame de 88 ans a mis fin à ses jours à la résidence Domaine des Pionniers,

à Val-d’or. Elle revenait d’un séjour à l’hôpital, et était confinée pour 14 jours. « Mme […] avait réagi émotivemen­t en disant qu’on l’enfermait parce qu’elle avait été à l’hôpital », écrit le coroner.

SORTIS DU DÉSERT

Après deux ans de pandémie, le gériatre David Lussier constate que plusieurs personnes âgées ont subi un grand choc.

« C’est comme si on revoit quelqu’un qui revient de traverser un désert, compare le médecin. Ils ont vieilli beaucoup plus qu’ils auraient dû en deux ans, c’est vraiment flagrant. »

« Maintenant, c’est plus difficile. Ils ont la pression de recommence­r à sortir, ajoutet-il. Certains sont très anxieux de recommence­r la vie normale sans mesures. »

Selon la Dre Agarrat, les services d’aide psychologi­que sont beaucoup trop rares en CHSLD.

« Il n’y a quasiment pas de services, dit-elle. Ça mériterait une prise en charge continue. »

Par ailleurs, des dizaines d’aînés ont développé un « syndrome de glissement ».

« Ce terme désigne la condition d’une personne dont la vie vient de changer à cause d’un épisode aigu et chez qui s’installe le refus de boire, de manger, et un désintérêt généralisé pour tout ce qui l’entoure et l’expression d’un désir de mourir », a écrit le coroner André Cantin.

Le taux de mortalité dû à ce syndrome est de 80 % à 90 %, selon un rapport.

« Glisser, c’est un peu se suicider à la hauteur de ses capacités », souligne Francis Etheridge, chercheur en gérontolog­ie.

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PHOTO D’ARCHIVES Le confinemen­t des personnes âgées en résidences et en CHSLD a été très dur sur leur santé mentale, et plusieurs ont développé une détresse psychologi­que grave.

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