Quand la colère vire au délire
Pierre Poilievre, candidat à la chefferie conservatrice, dérape. De plus en plus. Parce qu’il est vu comme le gagnant quasi garanti de la course, il y a lieu de s’en inquiéter. Sérieusement.
Issu de la droite dure et de l’ère Harper, en plus de son ton agressant, Poilievre est un populiste et un démagogue de premier ordre. Sa promesse grandiose de faire du Canada le pays le plus libre sur la planète le trahit à merveille.
Admirateur du soi-disant « convoi de la liberté », Pierre Poilievre ne cesse de brandir l’image fallacieuse d’un Canada où, sous le méchant libéral Justin Trudeau, les libertés individuelles sont gravement menacées.
Comme preuve, il brandit la gestion de la pandémie et l’obligation au fédéral pour les employés de se faire vacciner contre la COVID-19. Dans le domaine de l’oppression politique, avouons qu’on est loin ici de la Sibérie.
À l’entendre, lui et quelques autres candidats de la course, les Canadiens croupiraient ainsi sous une dictature, dont seul Pierre Poilievre, bien sûr selon lui, pourrait les sauver.
PAS LE GOULAG
Or, la réalité est que le Canada est un des pays les plus « libres » qui soient. Même René Lévesque, dont le rêve était de le quitter, disait que le Canada n’est pas le goulag.
Poilievre s’inscrit même dans la foulée d’une vieille théorie de complot voulant que le Forum économique mondial de Davos ait comme sombre dessein de prendre le contrôle des gouvernements nationaux.
Il s’engage donc, s’il devenait premier ministre, à interdire à ses ministres d’y participer. John Baird, son propre directeur de campagne, y prenait pourtant part du temps où il était ministre sous Stephen Harper. Cherchez l’erreur.
En ajoutant l’intention de Poilievre de congédier le gouverneur de la Banque du Canada comme un vulgaire vassal, on voit aussi chez lui les mêmes réflexes autoritaires de la droite se tapissant derrière ses hauts cris pour la « liberté ».
Eh oui, parlons « délire ». Définition du Larousse : « Perte du sens de la réalité se traduisant par un ensemble de convictions fausses, irrationnelles, auxquelles le sujet adhère de façon inébranlable ».
FRACASSE DES RECORDS
Malgré tout cela, le Toronto Star rapporte que la vente de cartes de membres au Parti conservateur du Canada, frôlant les 400 000, fracasse des records.
On parle beaucoup de la « colère » de ces conservateurs les plus à droite. Force est toutefois de constater qu’elle bascule dans le délire.
Exception faite du candidat Jean Charest, ce mouvement s’accroche surtout au jupon du trumpisme, en ascension troublante à travers l’occident.
Poilievre s’alimente du même carburant. Soit au récit délirant d’une croisade existentielle pour la reconquête de libertés fondamentales qui, dans les pays démocratiques, n’ont jamais été perdues.
Chez ces conservateurs, ce même récit renvoie aussi à une autre spécialité du trumpisme : le dénigrement systématique des médias traditionnels.
Dans cette course surréaliste, ce soir, à Laval, aura lieu le seul débat en français. Et ce, considérant que certains candidats peinent à dire « bonjour ».
Vu la tangente hallucinante qu’accuse cette course, Jean Charest, qu’on l’apprécie ou non, risque ainsi ce soir d’y apparaître comme un extraterrestre irrémédiablement perdu dans un univers politique parallèle.