Le Journal de Quebec

Accepter l’inacceptab­le

- SOPHIE DUROCHER sophie.durocher @quebecorme­dia.com

C’est une image absolument terrorisan­te

Une femme présente les nouvelles à la télévision et presque tout son visage est caché sous un tissu noir. Elle ne porte pas le deuil. Elle fait le deuil de sa dignité, le deuil de son identité.

Sa bouche et son nez sont recouverts d’un tissu noir, comme si elle était bâillonnée, muselée, réduite au silence.

Comment se fait-il que cette image de présentatr­ice afghane forcée (comme toutes ses collègues) de se cacher le visage par les talibans n’ait pas provoqué plus de réactions en Occident ?

CACHEZ CETTE FEMME !

J’imagine qu’il faut remercier les talibans qui n’ont pas exigé que les présentatr­ices lisent les nouvelles en portant la burqa. J’imagine qu’ils se sont dit que les femmes auraient de la difficulté à lire le télésouffl­eur à travers les petits trous du grillage.

Mais vous vous demandez peutêtre pourquoi ces joyeux lurons du ministère de Promotion de la vertu et de la prévention du vice n’ont pas tout simplement interdit aux femmes de présenter des infos à la télé.

La réponse est simple : en les gardant à l’antenne mais en les camouflant derrière cette muselière, les talibans envoient un message clair : le corps des femmes, leur bouche, leur nez, leurs oreilles, leurs cheveux sont dangereux. Ils savaient pertinemme­nt que cette image d’une femme aux yeux tristes allait faire le tour du monde.

Quand j’ai vu cette photo, j’ai immédiatem­ent pensé à La servante écarlate. Dans le cas de cette fiction, les femmes asservies sont obligées de porter un vêtement rouge qui les efface de l’espace public. Dans le cas réel, les femmes asservies sont obligées de porter un vêtement noir.

Pendant qu’en Afghanista­n, les femmes sont forcées de se cacher le visage à la télévision, ici en Occident, on banalise le voile en l’incluant dans des publicités.

Quand ce n’est pas une compagnie sportive qui nous montre une athlète complèteme­nt couverte par un immense vêtement ample qui cache son corps, ce sont des banques, des associatio­ns de dentistes, des quincaille­ries qui nous montrent la « diversité » avec des femmes voilées, parfois même des fillettes.

Bien sûr, dans un cas le voilement est forcé, dans l’autre, il est choisi. Mais l’image qui nous est donnée du corps de la femme n’est-elle pas la même ?

Par solidarité avec leurs collègues féminines forcées de se cacher le visage, les présentate­urs de télé masculins en Afghanista­n ont porté un masque noir.

Par solidarité avec leurs

« soeurs afghanes », elles ont fait quoi, les féministes occidental­es ? Elles n’ont rien fait.

Elles étaient trop occupées, j’imagine, à écrire des chroniques sur l’horreur du patriarcat occidental, sur le « mansplaini­ng » (quand un homme explique à une femme une chose qu’elle sait déjà) ou sur le « manspreadi­ng » (quand un homme écarte ses jambes dans les transports en commun).

SOUMISSION

Quand on a senti que l’avortement était menacé aux Étatsunis, on a dénoncé le contrôle du corps des femmes. Mais quand les talibans contrôlent le corps des femmes en les transforma­nt en « servantes obscures », il faudrait se taire ?

Ça me rend écarlate.

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