AU COEUR D’UN GROS PARTY À SEATTLE
SEATTLE | Pendant que Québec continue de rêver aux Nordiques et que Montréal entretient l’espoir d’un avenir meilleur pour le Canadien, Seattle vit sa lune de miel. Rien de tel qu’un séjour sur place lors de cette première présence inespérée du Kraken au deuxième tour des séries éliminatoires pour constater à quel point la ville craque pour le hockey.
Au coeur du célèbre Pike Place Market, dimanche, des « Let’s Go Kraken ! » retentissaient à tous moments. Plusieurs heures avant le troisième match de la série, remporté aisément par les chouchous locaux, les chandails et autres produits dérivés à l’effigie du Kraken ne se comptaient plus.
Et ce n’est pas qu’une impression. Selon ce que l’équipe marketing du Kraken a confirmé au Journal sans dévoiler de chiffres, le club loge dans le top 3 des meilleurs vendeurs de la ligue en termes de produits dérivés, autant en saison régulière qu’en séries.
Il se classe même au premier rang du circuit pour ce qui est des ventes par habitant.
Les commerces affichent leurs couleurs, et les bars des environs, comme le Queen Anne Beerhall, sont pratiquement pleins les soirs de matchs depuis le début des séries. Le propriétaire des lieux, Justin Andrews, évoque même une augmentation de 55 % des ventes de bière depuis le début des séries, ce qui explique peut-être en partie le bruit assourdissant des partisans bien réchauffés dans l’aréna.
UN INTÉRÊT GRANDISSANT
À chaque jour qui passe, Seattle aime son Kraken plus qu’hier, mais moins que demain.
« Je reçois continuellement des courriels de gens qui me disent : je ne comprends pas tout de ce que je regarde, mais c’est le sport le plus excitant auquel j’ai assisté ! Ce sont souvent des partisans des Mariners ou des Seahawks qui réalisent qu’il n’y a jamais de temps morts au hockey en séries, eux qui sont habitués au rythme plus lent du baseball ou du football. Ils ne peuvent arrêter de regarder. On a vraiment l’impression qu’avec les séries, le hockey devient un véritable sport majeur ici », assure le journaliste du Seattle Times,
Geoff Baker.
« Quand on regarde nos données statistiques, on constate qu’il y a plus d’intérêt en termes de pages vues pour nos articles sur le Kraken dans les trois dernières semaines que durant toute la saison régulière. C’est assez incroyable », ajoute le scribe originaire de Montréal, qui a donc déjà bien connu ce que peut être la frénésie du hockey.
L’AMBIANCE DES SÉRIES
Voilà qui en dit long sur l’état d’esprit qui règne à Seattle en ce moment. Même si une certaine culture du hockey était déjà présente avec les Thunderbirds (autrefois Breakers), bien implantés sur la scène junior depuis 1977, les amateurs découvrent l’intensité du produit de la LNH en séries et en redemandent.
Surtout après que le Kraken a éliminé de façon inimaginable les champions en titre de la Coupe Stanley, l’avalanche du Colorado, au premier tour.
« Le fait d’avoir vécu un match 7 contre l’avalanche et d’avoir vécu une victoire en prolongation à Seattle au match 4 a éveillé bien des non-initiés. C’est quelque chose à voir. Les grands fans de hockey sont habitués de vivre ces émotions, mais pour les nouveaux, c’est captivant », explique John Barr, derrière l’acronyme « NHL to Seattle », qui a longtemps milité via les médias sociaux pour la venue d’une équipe.
UN BOND PRODIGIEUX
Quand le Kraken a donné ses premiers coups de patin lors de la saison 2021-22, les papillons d’une relation naissante étaient bien présents, mais les résultats décevants de l’équipe ont vite coupé des ailes. Seulement deux équipes, le Canadien et les Coyotes, ont fait pire que les 60 points du Kraken.
Déjà, le travail de Ron Francis, à peine installé dans sa chaise de directeur général, était vivement critiqué.
C’était avant l’éclosion du deuxième choix au total du repêchage de 2021, Matty Beniers, candidat au trophée Calder remis à la recrue de l’année cette saison avec ses 57 points. C’était aussi avant les acquisitions des Andre Burakovsky, Martin Jones, Justin Schultz et Oliver
Bjorkstrand. Bref, c’était avant l’émergence des profondeurs du Kraken, qui a atteint le plateau des 100 points.
« Il était normal de s’attendre à une équipe améliorée, mais ce qui surprend, c’est l’étendue des améliorations. Le véritable espoir, c’était seulement de dire que le Kraken allait jouer quelques matchs significatifs en mars et récolter quelque chose comme 85 à 90 points avec un peu de chance. Personne ne s’attendait au scénario que l’on vit depuis quelques semaines », résume John Barr.
UNE PLACE À PRENDRE
Évidemment, il ne faut pas confondre l’engouement du moment avec un coup de foudre permanent. Rien n’est éternel, et dans un bouillant marché sportif comme Seattle, le Kraken devra toujours se battre pour sa part du gâteau.
Un sondage de la firme Nielsen publié en juin dernier a révélé qu’environ 211 000 personnes se disent « hautement intéressées » par la LNH, soit environ 6 % de la région métropolitaine de Seattle, qui regroupe 3,5 millions d’habitants. Ça semble peu, mais c’est déjà plus du double des 85 000 personnes qui ressortaient en 2017.
Seattle demeure bien entendu la ville des Seahawks, puisque 800 000 personnes se disent hautement intéressées aux activités de la NFL. C’est donc dire que l’intérêt pour le Kraken arrive troisième, derrière les Seahawks et les Mariners (328 000). L’épopée actuelle en séries ne peut que faire grimper la fièvre.
« Les Seahawks sont ici ce que les Canadiens ou les Nordiques ont toujours été au Québec, mais le hockey a le potentiel de devenir le deuxième sport en ville », estime l’ancien défenseur robuste de la LNH Jamie Huscroft, qui est maintenant impliqué dans le hockey mineur à Seattle et que l’on a rencontré au centre d’entraînement du Kraken.
« Les gens commencent à réaliser que leur équipe de hockey est formée de guerriers très humbles. On ne voit pas cette humilité chez les athlètes dans tous les sports et ça rejoint beaucoup de monde », poursuit-il.
Reste maintenant à voir si le Kraken saura surfer sur sa vague en accrochant ses tentacules aux séries pour les années à venir.