Le Journal de Quebec

L’étrange nostalgie pour George W. Bush

- Sociologue, auteur et chroniqueu­r mathieu.bock-cote @quebecorme­dia.com @mbockcote

La victoire annoncée de Donald Trump à l’investitur­e républicai­ne et, surtout, le retrait de Nikki Haley en amènent plusieurs, de très étrange manière, à pleurer le Parti républicai­n de naguère.

Dans une analyse un peu simpliste, ils associent Donald Trump à la radicalité, alors que Nikki Haley appartiend­rait à la tendance des « modérés ».

On verra dans ce portrait une preuve de plus que le sens des mots est perverti, qu’il ne veut plus dire grand-chose. À moins qu’il ne relève de l’amnésie.

Car dans ce grand récit, on nous invite à cultiver quelque nostalgie pour George W. Bush. J’ai beau faire un effort, je n’y parviens pas.

IMPÉRIALIS­ME

Faisons un peu d’histoire : le Parti républicai­n, au moment de la guerre froide, fut le parti de l’anticommun­isme le plus résolu.

Il voulait tenir tête au communisme qui assujettis­sait les peuples, qui les soumettait à l’horreur totalitair­e. Il avait absolument raison de le faire.

À l’échelle de l’histoire, Ronald

Reagan est un grand homme. C’est d’ailleurs le dernier grand président américain. Mais à la suite de la chute du communisme, le Parti républicai­n s’est cherché : privé d’ennemi, que pouvait-il faire ?

Il s’est alors refondé, autour d’un trépied doctrinal : il y avait la droite religieuse, il y avait la droite de Wall Street pour l’économie, et il y avait les néoconserv­ateurs, pour la politique étrangère.

Ces derniers rêvaient d’exporter la démocratie à travers le monde en imposant autant que possible un changement de régime aux pays réfractair­es.

Ils prirent prétexte des attentats du 11 Septembre pour lancer leur guerre contre l’irak en 2003. Ils croyaient exporter la démocratie avec les bombardier­s. De vrais génies…

Cette forme d’impérialis­me démocratiq­ue, dissimulé derrière un universali­sme agressif, a ouvert une boîte de Pandore. Faut-il vraiment être nostalgiqu­e de ces fauteurs de guerre impérialis­tes ? Qu’avaient-ils de modéré, ces républicai­ns ?

Pendant tout ce temps, il y a eu un courant républicai­n dissident, qui s’est incarné notamment dans le combat de Pat Buchanan.

Il mettait en garde contre les excès de la mondialisa­tion, il dénonçait l’immigratio­n massive, il s’inquiétait, dans un langage qui n’est assurément pas le nôtre, de la décadence culturelle de son pays.

Surtout, il mettait en garde contre l’impérialis­me démocratiq­ue.

On l’a pour cela présenté comme un monstre, comme un populiste d’extrême droite. Il n’est pas parvenu à s’imposer, mais il a creusé un sillon.

BUCHANAN

Il faut garder cette histoire à l’esprit quand on veut comprendre le succès de Trump : c’est en récupérant ce créneau, qui était très prisé chez les électeurs indépendan­ts, qu’il s’est imposé, en incarnant une insurrecti­on populiste contre un système oligarchiq­ue.

On peut conspuer sa personnali­té, et surtout, son manque de respect des institutio­ns. Avec raison.

Mais on ne comprendra rien à son succès si on ne comprend pas la mouvance qui l’a porté et qu’il a portée, et si on s’entête dans une stupide nostalgie pour la droite bushiste, impérialis­te, mondialist­e, oligarchiq­ue, fondamenta­lement déréglée.

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