Le Journal de Quebec

LE RÉCIT COMPLET DE L’AFFAIRE DELISLE

- KATHRYNE LAMONTAGNE

La longue saga de l’ex-juge Jacques Delisle étant terminée, il nous est désormais possible de rapporter tous les éléments de preuve au dossier, qui étaient frappés d’une ordonnance de non-publicatio­n. 1 LE DÉCÈS DE NICOLE RAINVILLE

La femme et mère des deux enfants de Jacques Delisle, Nicole Rainville, a été retrouvée sans vie, avec une balle dans la tête, dans le condo conjugal, en novembre 2009.

À l’arrivée des policiers, Jacques Delisle leur a mentionné que sa femme s’était enlevé la vie : elle était dépressive, physiqueme­nt diminuée et n’avait plus goût à la vie.

Son mari explique qu’elle s’est donné la mort avec une arme chargée qu’il avait laissée sur une petite table, à l’entrée du condo.

Ce qui était faux. « Une erreur pour laquelle il a payé très cher », a signifié son avocat.

2 UNE TACHE ÉTRANGE

Une étrange tache de fumée noire, au creux de la main gauche de la défunte, deviendra un élément incontourn­able du dossier.

Ce tatouage de fumée noire laisse croire aux experts du ministère public que Nicole Rainville n’a pu tirer avec sa main gauche.

Une arme normalemen­t manipulée ne laisse pas une telle trace.

Comme la dame est paralysée de tout le côté droit de son corps... une tierce personne devait tenir l’arme.

3 UNE RELATION EXTRACONJU­GALE

Jacques Delisle sera arrêté à l’été 2010 pour le meurtre prémédité de son épouse.

Durant l’enquête, des épisodes de filature ont permis de découvrir que l’ex-juge entretenai­t depuis quelques années une liaison avec sa secrétaire, une femme de 20 ans sa cadette.

4 PAS DE TÉMOIGNAGE

Jacques Delisle est reconnu coupable en juin 2012 du meurtre prémédité de Nicole Rainville, au terme d’un procès de six semaines, durant lequel une panoplie d’experts ont étalé les éléments de preuve complexes et poussés afin de déterminer la manière dont Nicole Rainville est décédée.

Jacques Delisle, qui était le dernier à avoir vu sa femme vivante, n’a jamais témoigné durant ce premier procès.

Il écope d’une peine d’emprisonne­ment à vie, sans possibilit­é de libération conditionn­elle avant 25 ans.

Il avait 77 ans. Et il devenait le tout premier magistrat au Canada à être condamné pour l’accusation la plus grave du Code criminel.

5 UNE DEMANDE DE RÉVISION JUDICIAIRE

Se disant victime d’une erreur judiciaire, Delisle a tenté de faire casser le verdict devant la Cour d’appel, puis devant la Cour suprême, sans succès.

Ses moyens d’appel étant épuisés, il a tenté un ultime recours en s’adressant au ministre fédéral de la Justice, en 2015.

Dans le cadre de cette demande de révision judiciaire, l’ex-juge a, pour la première fois, livré sa version des faits entourant le décès de son épouse.

Jacques Delisle soutenait maintenant avoir fourni une arme chargée à sa conjointe, qui souhaitait en finir.

Dépressive, Nicole Rainville aurait demandé à son mari de lui apporter son pistolet, rangé au-dessus d’une commode, dans son cabinet.

Après avoir tenté de la dissuader, l’ex-juge lui aurait remis son arme, chargée. La dame aurait profité de l’absence de son mari pour passer à l’acte, soutenait-il.

De nouveaux rapports scientifiq­ues canadiens, qui critiquaie­nt le travail des experts de la Couronne dans ce dossier, ont aussi été soumis dans le cadre de cette demande de révision ministérie­lle.

6 UN NOUVEAU PROCÈS

Après six années d’enquête, convaincu qu’une erreur judiciaire avait possibleme­nt été commise dans le dossier, le ministre libéral David Lametti a ordonné, en 2021, la tenue d’un nouveau procès.

Jacques Delisle, qui avait passé les neuf années précédente­s derrière les barreaux, a retrouvé la liberté sous conditions, en attente de la suite des procédures judiciaire­s.

7 UN ARRÊT DES PROCÉDURES

Le clan Delisle a demandé et obtenu en 2022 un arrêt des procédures au motif que le pathologis­te de la Couronne, qui avait expertisé le corps de la défunte, avait commis des fautes graves lors de l’autopsie.

En négligeant entre autres de conserver le cerveau, il devenait maintenant impossible pour le clan Delisle de déterminer avec certitude l’angle de tir et la trajectoir­e de la balle dans le cerveau de Nicole Rainville, des éléments qui auraient permis, selon la défense, de démontrer s’il s’agissait d’un meurtre ou d’un suicide.

En avril 2022, Jacques Delisle était donc un homme libre de toute accusation.

8 ET D’AUTRES APPELS

En septembre 2023, la Cour d’appel casse l’arrêt des procédures.

À ses yeux, le procès pouvait très bien se tenir malgré les erreurs du pathologis­te.

Une directive au jury serait suffisante.

Jacques Delisle renouait ainsi avec l’accusation de meurtre au premier degré et devait être jugé dans la cadre d’un second procès à venir.

Insatisfai­t de cette décision, le clan Delisle s’est adressé, en novembre 2023, à la Cour suprême. Cette dernière devait se prononcer hier sur cette affaire.

Elle n’aura pas eu à le faire : Jacques Delisle s’est désisté, mercredi, de cette procédure, avant de plaider coupable.

 ?? ??
 ?? ??
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada