Des explications qui n’apportent rien de neuf
L’ex-ministre de la Justice s’est justifié sur la demande d’un autre procès pour le juge Delisle sans trop en dire
Le ministre David Lametti a consulté un éminent juriste hors Québec ainsi qu’un juge retraité de l’ontario avant de conclure à la possibilité qu’une erreur judiciaire se soit produite dans le dossier de l’ex-juge Jacques Delisle, a pu confirmer notre Bureau d’enquête.
L’ancien ministre fédéral de la Justice a multiplié les entrevues au cours des derniers jours afin de défendre sa décision d’ordonner, en 2021, un nouveau procès pour Jacques Delisle, qui se disait condamné à tort depuis pour le meurtre prémédité de son épouse.
Ce deuxième procès n’aura pas lieu : l’ex-juge a plaidé coupable jeudi à une accusation d’homicide involontaire, mettant ainsi fin juridiquement à une saga qui s’étirait depuis près de 15 ans.
Mais depuis, le Directeur des poursuites criminelles et pénales du Québec Patrick Michel demande à David Lametti de révéler les motifs qui l’ont poussé à ordonner ce nouveau procès. Surtout qu’en 2017, un rapport du Groupe de révision des condamnations criminelles du Canada (GRCC) concluait à l’absence d’erreur judiciaire dans le dossier de Delisle.
DEUX OPINIONS SUPPLÉMENTAIRES
David Lametti s’est défendu en affirmant notamment qu’il avait demandé et obtenu des avis juridiques externes avant de se prononcer. Il a toutefois refusé de nommer lesquels.
« Ce n’est pas uniquement le rapport du GRCC. En tant que ministre, je suis encadré uniquement par une quête pour la justice. J’ai le pouvoir de demander d’autres évaluations, d’autres preuves […] Il y avait des questions soulevées dans les documents, et j’ai été convaincu qu’il y avait quelque chose à refaire », s’est-il justifié à Radio-canada hier.
Selon nos informations, l’un de ces avis provient de Paul R. Bélanger, juge retraité de la cour de l’ontario. Ce dernier a agi à titre de « conseiller spécial » du ministre en matière de condamnations injustifiées tout au long de la demande de révision ministérielle de Jacques Delisle.
Bélanger a été nommé spécifiquement pour cette cause, en remplacement de l’ancien juge de la Cour suprême Morris J. Fish, qui occupe généralement cette fonction. Fish ayant siégé à l’époque à la Cour d’appel avec Delisle, il s’était retiré du dossier.
Impossible pour le moment de connaître l’identité de l’auteur du second avis.
AVIS CACHÉS
Or, le DPCP ignorait jusqu’ici l’existence de ces avis juridiques. Lors de l’annonce du nouveau procès en avril 2021, David Lametti s’était limité à déclarer par communiqué qu’il était convaincu qu’une erreur judiciaire s’était « probablement produite », à la suite de la découverte de nouveaux éléments qui n’étaient pas disponibles au moment du procès.
« Je n’ai pas l’impression que ça a apporté beaucoup de réponses aux questions que nous avions », a répondu Me Patrick Michel, directeur du DPCP, au sujet des récentes explications de M. Lametti.
Le DPCP avait fait parvenir deux lettres à Ottawa afin d’obtenir des précisions sur cette décision. Ces demandes n’ont pas obtenu de réponse.
« Je ne dis pas que la conclusion aurait été différente, mais au moment où nous avons pris la décision de faire un deuxième procès, il aurait été utile d’avoir accès à ces avis qui ont été si déterminants pour le ministre pour s’assurer que nous prenions la bonne décision », estime Me Michel.
Patrick Michel rappelle que la décision originale a été rendue par un jury et confirmée par la Cour d’appel du Québec puis la Cour suprême du Canada.
« Avant d’invalider de telles décisions, les deux parties doivent pouvoir faire valoir tous leurs moyens sur les éléments sur lesquels le ministre se fonde, dit-il. C’est une question de transparence et d’équité tant envers la défense que la poursuite. »