Le Journal de Quebec

Lettre à ma fille extraordin­aire

- laure.waridel@quebecorme­dia.com Écosociolo­gue et cofondatri­ce d’équiterre

Chère Alphée, Alors que la Semaine québécoise de la déficience intellectu­elle se termine, j’ai envie de crier sur tous les toits à quel point la présence de gens comme toi est une richesse pour nos sociétés.

À quel point nous avons besoin de vous pour sortir du superficie­l. Pour nous ramener à l’essentiel. Pour ralentir et devenir de meilleurs humains.

HORS NORMES

Quand tu es arrivée dans ma vie, il y a 19 ans, je n’avais rien compris de tout ça.

J’étais pleine de peurs malgré l’amour immense que je ressentais pour toi.

Quand tu es sortie de mon ventre, tu étais toute molle. Tu ne parvenais pas à téter mon sein, ni même la tétine d’un biberon. Je tirais mon lait que tu ne pouvais boire qu’avec l’aide d’un petit tube et d’une seringue.

Il aura fallu des mois d’investigat­ion dans tous les départemen­ts de l’hôpital général pour enfants avant d’apprendre que le syndrome de Smith-lemli-opitz, une maladie génétique rare, te rendrait extraordin­aire pour la vie.

J’ai d’abord cru que c’était la fin du monde.

Jusqu’à ce que je comprenne qu’au contraire, c’était le début d’un nouveau monde.

Un monde plein d’aventures hors des sentiers battus et plein d’émotions.

Un monde que l’on ferait beau ensemble chaque jour, quels que soient les épreuves à traverser et les deuils.

Pour y parvenir, il m’a fallu comprendre que je ne devais pas te comparer aux autres, mais plutôt honorer chaque jour ton « extraordin­aireté », la chance immense que j’ai d’être ta maman et d’apprendre grâce à toi.

BONHEUR

Tu sais Alphée, il y a des gens qui méditent toute leur vie pour parvenir à vivre dans le moment présent, comme tu le fais tout naturellem­ent.

Je te vois attraper le bonheur en sautillant joyeusemen­t sur les obstacles. Tu as su te créer un monde imaginaire foisonnant où tu vis des histoires d’amour fantastiqu­es.

C’est un de tes nombreux pouvoirs magiques !

COLIN

Pas plus tard qu’hier, ton grand frère me disait à quel point ta présence dans sa vie l’a défini. Tu l’as rendu plus sensible et plus responsabl­e. Il est devenu plus fort grâce à toi.

Sans le savoir, tu as su lui insuffler du courage et de la joie de vivre, lorsque le vent lui soufflait dans la face.

C’est aussi vrai pour moi, et tant d’autres qui ont eu la chance de faire des petits bouts de chemin à tes côtés.

Tu as même déjà sauvé une vie. Peutêtre deux.

PRENDS TA PLACE !

Je vois bien que tu n’aimes pas être entourée de trop de gens en même temps. Qu’il y a des regards et des mots qui t’indisposen­t. Tu ressens tout.

Maintenant que tu es grande, je peux te proposer une règle d’or en guise d’armure : ne pas te comparer aux autres. Honorer chaque jour ton « extraordin­aireté » et toute ta magie !

C’est ce que j’avais envie de partager, non seulement avec toi, mais aussi avec tous les « extraordin­aires » de notre monde et leurs proches.

Je t’aime !

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