Eric Girard doit travailler mieux
Rarement a-t-on vu un budget provincial aussi froidement accueilli que celui déposé par le ministre des Finances du Québec, Eric Girard, le 12 mars dernier.
Ce budget, assorti d’un déficit historique, survient dans un contexte où le service de la dette est aujourd’hui le quatrième poste de dépenses le plus important de la province.
Après la santé et l’éducation, nos paiements d’intérêt viennent donc réduire, chaque année davantage, un peu plus notre marge de manoeuvre.
C’est donc normal que ce budget laisse aux Québécois un sentiment amer.
Il est aussi, manifestement, une source d’inquiétude en dehors des frontières.
HELLO TORONTO !
Quelques jours après la présentation du budget, le ministre des Finances s’est réjoui qu’une émission de 576 M$ d’obligations ait trouvé preneur : « les investisseurs étaient au rendez-vous », a-t-il affirmé.
Ils étaient au rendez-vous, mais M. Girard s’est quand même empressé d’aller réaliser une « tournée des investisseurs » à Toronto, quelques jours plus tard, le 19 mars. Dans la foulée du budget Girard, deux agences de notation ont aussi placé le Québec sous surveillance.
L’une d’elles, DBRS Morningstar, a précisé que la perspective budgétaire de la province s’était « clairement détériorée ».
Les Québécois ne sont donc pas les seuls à s’inquiéter.
Au fait, quelqu’un se rappelle-t-il la dernière fois où des obligations d’épargne d’un gouvernement provincial n’ont pas trouvé preneur? Eric Girard, ancien premier vice-président à la trésorerie corporative de la Banque Nationale, sait très bien que cela n’est jamais arrivé.
Selon Bloomberg, le Québec va émettre 36,5 milliards de dollars de nouvelles obligations cette année, dont plus des deux tiers viennent remplacer des obligations venant à échéance.
Au contraire d’un renouvellement d’hypothèque toutefois, il n’y a strictement aucune raison de se réjouir du fait qu’une émission soit « réussie » et « trouve preneur ». C’est une opération tout à fait banale. Il ne faut pas nous prendre pour des valises.
Ce qu’on peut craindre, c’est que le taux d’intérêt qui s’applique à nos emprunts gouvernementaux passe de 4 %, à 5 %, à 6 %, venant appauvrir d’autant notre province.
REPRENDRE LE CONTRÔLE DE LA BÊTE
Évidemment, le budget est presque toujours source d’insatisfaction.
Mais le fait que l’édition 2024-2025 soit assortie d’un déficit historique, financé par des retraits de 4,4 milliards du Fonds des générations, est... surprenant. Nous épargnons depuis 2006 des milliards de dollars qui sont aujourd’hui mis à contribution pour pallier une perte de contrôle des dépenses publiques.
Ce n’est pas ce qui était prévu. Personne ne doute qu’eric Girard travaille fort. Mais il faut maintenant travailler mieux.
PRÉDIRE L’AVENIR LE CHANGE
C’est à la fois l’ampleur du déficit qui fait mal au gouvernement de la CAQ, mais aussi l’inexactitude répétée de ses propres prévisions budgétaires, qui sont soit bien en dessous, soit bien au-delà de ce qui est annoncé.
Tout se passe comme si le ministre n’avait aucune idée de ce à quoi l’économie du Québec allait ressembler demain.
La première tâche qui attend
Eric Girard, c’est donc d’émettre des budgets réalistes, et d’y rester fidèle. Cela est vrai tant en matière de revenus que sur le plan des dépenses.
L’insatisfaction des Québécois face au budget du 12 mars est en grande partie liée à cette imprévisibilité. Les gouvernements ont la responsabilité de fixer les règles du jeu, et de laisser les acteurs économiques prendre des décisions en conséquence.
Chose certaine, Eric Girard n’est pas dupe, et il sait bien que son gouvernement court un grand risque s’il persiste dans cette voie. Si la cote de crédit du Québec devait être abaissée, si des investisseurs institutionnels (de Toronto!) devaient émettre des doutes sur la stabilité de la province, cela ferait augmenter le coût des emprunts du gouvernement et aurait de nombreux impacts symboliques, économiques... et politiques !
Il n’y a aucune raison de se réjouir du fait qu’une émission soit « réussie » et « trouve preneur ». Il ne faut pas nous prendre pour des valises.