Le monde idéal n’existe pas !
Après les « lecteurs de sensibilité », voici maintenant les « courtiers de connaissances ».
L’association québécoise de prévention du suicide (AQPS) publie un guide à l’intention des créateurs qui parlent de suicide dans un livre, une série télé ou un film, pour leur recommander le vocabulaire et les représentations approuvés ou désapprouvés par une « courtière en connaissances ».
Notre époque cherche vraiment à encadrer les créateurs pour qu’ils accouchent d’une fiction bienveillante, enveloppante, rassurante !
DES OEUVRES « RESPONSABLES »
Suicide et fiction : guide d’accompagnement s’adresse aux « auteurs, metteurs en scène, réalisateurs, éditeurs, producteurs ou diffuseurs d’oeuvres de fiction ».
On nous dresse la liste des personnes vulnérables qu’il faut protéger :
« Celles souffrant de dépression ;
Celles qui pensent au suicide ; Celles ayant fait une tentative de suicide ;
Celles ayant perdu un être cher par suicide ».
Désolée, mais ça fait beaucoup de monde au Québec qui est vulnérable…
« Il est (…) responsable de s’interroger sur la manière d’aborder le sujet dès le début du processus créatif, afin de maximiser la visée préventive d’une oeuvre. »
C’est là que je décroche. Une oeuvre de fiction n’a pas de « visée préventive ». C’est une histoire inventée, sortie tout droit de l’imagination. Pas un « message d’intérêt public » !
Les créateurs n’ont pas pour vocation de nous rendre de meilleurs êtres humains, mais de montrer l’humain sous toutes ses facettes, les pires comme les meilleures.
Le guide de L’AQPS spécifie : « Dans une optique préventive, nous recommandons d’employer un vocabulaire qui ne porte pas de jugement et qui ne contribuera pas à stigmatiser ni à discriminer les personnes vulnérables au suicide ». Il faut donc éviter de parler de « choix » ou de « solution », de suicide « réussi » ou « raté ».
La partie du guide qui me chicote le plus concerne l’analyse de deux oeuvres, comme des exemples de choses à faire et à ne pas faire.
La courtière en connaissances analyse le film Monsieur
Lazhar, dans lequel une enseignante se suicide.
« Certains personnages semblent par moments faire une condamnation implicite de l’acte de l’enseignante. Nous sommes bien sûr conscients que ces propos constituent l’expression de la colère et de la souffrance ressenties par le personnage, mais lors d’un processus de création, il peut être intéressant de se questionner sur la possibilité qu’un tel angle puisse être interprété comme une stigmatisation des personnes qui se suicident et non comme une manifestation de la frustration face à la perte d’un proche. »
Et elle analyse un épisode de Plan B, deuxième saison.
« Marilou rencontre, dans tous les scénarios de sa vie, des difficultés qui lui apportent des symptômes dépressifs ou anxieux. Ces éléments nous ont poussés à nous questionner quant au fait que cela pourrait donner l’impression à certaines personnes vulnérables qui visionnent la série qu’une dépression, de l’anxiété ou des idées suicidaires sont inévitables à un moment ou un autre dans une vie. »
LA VIE EN ROSE OU NOIR
Je comprends très bien que L’AQPS a à coeur de ne pas créer un effet d’entraînement, comme lors du décès de Gaétan Girouard.
Mais on ne peut pas demander aux auteurs de fiction de ne présenter qu’un monde de licornes où tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Peut-on les laisser créer en paix et décrire un monde cruel et laid si ça leur tente ?