De héros du pays à despote
L’homme qui a dirigé l’essor du pays après le génocide est également connu pour son régime autoritaire
KIGALI | (AFP) Héros ayant mis fin au génocide des Tutsi, et modernisé le pays pour ses partisans, despote muselant toute opposition pour ses détracteurs : le règne de Paul Kagame sur le Rwanda depuis 30 ans s’écrit en clair-obscur.
Le chef du Front patriotique rwandais (FPR) n’a que 36 ans lorsque le 4 juillet 1994, il entre dans Kigali avec ses troupes et renverse le régime extrémiste hutu.
Troquant son treillis-béret de guérillero pour les costumes-cravates, il occupera ensuite les postes de vice-président et de ministre de la Défense.
Considéré comme le dirigeant de facto du pays, il le devient officiellement en avril 2000 par vote du parlement.
Suivront trois septennats, jalonnés de victoires par plus de 90 % des voix aux élections de 2003, 2010 et 2017.
À 66 ans, il briguera un quatrième mandat en juillet, scrutin pour lequel il est l’immense favori.
Avec sa silhouette longiligne et ses lunettes rondes, Paul Kagame a longtemps été la coqueluche d’une communauté internationale rongée par la culpabilité de son inaction durant le génocide et séduite par le spectaculaire redressement mené dans un pays exsangue en 1994, aujourd’hui surnommé « la Suisse de l’afrique ».
Grâce à des programmes axés sur les services, les nouvelles technologies et la modernisation de l’agriculture, le Rwanda a connu une croissance robuste et réalisé des progrès notables dans la santé et l’éducation.
« UN AUTORITAIRE QUI S’ASSUME »
Mais Paul Kagame fait aussi régner un ordre impitoyable sur le « pays aux mille collines », où toute voix dissidente est étouffée.
« Je ne sais pas où nous en serions aujourd’hui si un dirigeant faible avait pris le pouvoir dans ce pays [après le génocide] », lançait-il en 2016 dans le magazine Jeune Afrique.
Sa personnalité – « un autoritaire qui s’assume », selon Philip Gourevitch, auteur d’un livre référence sur le génocide – s’est forgée en Ouganda, où sa famille tutsi a fui pour échapper les persécutions quand il était enfant.
Ce benjamin d’une fratrie de six rejoint au début des années 1980 la rébellion du futur président ougandais Yoweri Museveni, puis fonde le FPR avec d’autres exilés tutsi rwandais.
En 1990, le groupe pénètre au Rwanda pour tenter de renverser le régime de Juvénal Habyarimana, dominé par les Hutu, ouvrant une guerre civile.
Quand l’avion d’habyarimana est abattu le 6 avril 1994, les extrémistes hutu lancent une campagne de massacres qui fera 800 000 morts.
Le FPR y met fin. Il sera accusé d’avoir ensuite tué plusieurs dizaines de milliers de personnes en République démocratique du Congo voisine dans sa chasse aux auteurs du génocide, sans réaction de la communauté internationale.
Ce n’est qu’en 2012 que ses alliés durciront le ton. Washington suspend alors son aide au Rwanda, après des accusations de soutien à des rebelles en République démocratique du Congo.
L’an dernier, L’ONU, les États-unis et plusieurs pays occidentaux l’ont à nouveau accusé de soutenir un groupe armé, le M23, qui s’est emparé de territoires en RDC. Kigali nie toute implication.
LIBERTÉ DE PRESSE
Au Rwanda, un seul des onze partis d’opposition officiellement enregistrés ne soutient pas Paul Kagame.
Le paysage médiatique est « l’un des plus pauvres du continent africain », selon Reporters sans frontières, qui place le pays en 131e position (sur 180) de son classement sur la liberté de la presse.
Mais Paul Kagame balaie les accusations sur son pouvoir prétendument autoritaire. « Des mensonges », fustigeait-il dans un entretien à L’AFP en 2021.