Des jeunes ont peur pour le français
L’anglais prend de plus en plus de place dans les discussions de tous les jours sauf à l’école ou au travail
OTTAWA | Parler français à l’école, au travail, mais anglais avec la famille, les amis, et au commerce du coin. C’est aujourd’hui la réalité de bon nombre de francophones qui vivent à l’extérieur du Québec.
Cette façon de vivre sa francophonie représente un renversement total du contexte linguistique canadien, qui s’est opéré dans les dernières décennies.
En parcourant sept provinces du Canada, Le Journal a constaté que le français est pour beaucoup devenu une langue réservée aux institutions et au monde professionnel. À l’extérieur de ces cadres, c’est en anglais que ça se passe, même avec ses proches, bien souvent.
« Pendant longtemps, notre seule institution française était l’église, tout le reste était anglophone, mais le social était en français », soutient Kenneth Deveau, le directeur général du Conseil de développement économique de la NouvelleÉcosse (CDÉNÉ), qui habite le village francophone de Clare.
« Aujourd’hui, 30, 50 ans plus tard, c’est l’inverse. On a nos institutions, notre municipalité, nos universités, nos écoles, même la fonction publique fédérale est généralement bilingue, mais dans le privé, dans les discussions avec le commis du magasin, c’est de plus en plus anglais. »
ANGLICISATION D’UNE GÉNÉRATION
Plusieurs jeunes rencontrés aux quatre coins du pays admettent que l’anglais prend presque toute la place dans leur vie privée, à un point tel qu’ils s’inquiètent de perdre leur français.
C’est le cas de Caelee Pothier, qui travaille comme guide au Musée des Acadiens des Pubnicos, dans le sud de la Nouvelle-écosse.
« Je pense que ma génération s’est vraiment anglicisée, déplore celle qui souhaite poursuivre ses études postsecondaires en français afin de devenir enseignante. La musique est en anglais, la télévision, ce qui se passe dans nos téléphones. »
En contrepartie de l’anglicisation des rapports sociaux, une « classe politique et une société civile » travaillent maintenant en français, se réjouit M. Deveaux.
Certains francophones plus âgés s’inquiètent tout de même de voir la jeunesse s’angliciser à un rythme effréné.
INQUIET DE DISPARAÎTRE
C’est le cas de Jeanine Saulnier, Denise Comeau-leblanc, Alain Lombard et Aldège Comeau, attablés dans un restaurant de la municipalité de Clare pour célébrer leur 50e anniversaire de la remise des diplômes du secondaire.
Ils se souviennent de l’époque où on chuchotait en français quand on allait « en ville » pour ne pas se faire remarquer. Une époque où les prêtres anglicisaient les noms d’enfants francophones.
Des « préjugés » que ne subissent plus vraiment les plus jeunes, qui sont nombreux à quitter leurs communautés pour aller se fondre dans les grandes villes.
Mais ils craignent tous « absolument » pour l’avenir de leur communauté francophone.
« On est ici depuis 200 ans. Dans 200 ans, on ne sera plus ici, certainement », se désole Mme Comeau.