Adieu au plus nationaliste des fédéralistes
Il y a de ces enseignants qui nous marquent pour longtemps.
L’ex-ministre Benoît Pelletier était de cette trempe de prof.
Sa passion pour son sujet, le droit constitutionnel, pas le plus palpitant à première vue, était contagieuse.
Souriant, affable, l’oeil pétillant, il rentrait dans sa classe de l’université d’ottawa vêtu de son uniforme de prof de droit : mocassins noirs, complet marine et chemise blanche.
Une heure plus tard, il mettait souvent fin à son cours, quasiment à bout de souffle, en bras de chemise, avec des taches de craie jusque sur le visage.
On ne badine pas avec la Constitution.
SOUVERAINES
Benoît Pelletier, qui a été ministre sous Jean Charest de 2003 à 2008, cherchait constamment à remettre certaines pendules à l’heure.
Il aimait rappeler que les provinces ne sont pas les créatures du fédéral.
Elles sont souveraines dans leurs champs de compétences, comme la santé ou l’éducation.
Mais qu’historiquement, le fédéral s’était fait gourmand en utilisant son pouvoir de taxer et de dépenser pour empiéter dans les platebandes des provinces.
Sa défense de l’autonomie du Québec était à ce point ferme que ses étudiants, dont j’étais il y a une quinzaine d’années, se regardaient en s’interrogeant : « Voyons, est-il rendu souverainiste ?! »
Non, ce n’était pas le cas et ça ne l’a jamais été.
Benoît Pelletier a toujours cru en la capacité du Canada d’accommoder le Québec qui pourrait s’émanciper en son sein.
Le problème, selon lui, c’est que le sens de ce qui fait du Canada une fédération a été travesti.
Pire, bien des fédéralistes, après l’échec du référendum de 1995, ont développé une vision encore plus centralisatrice, en tapissant le Québec de feuilles d’érable, dans l’espoir d’en finir avec les indépendantistes.
Pour eux, il ne peut qu’y avoir une nation, la canadienne.
DES ORTHODOXES
Ces fédéralistes « orthodoxes » ont voulu « confier le plus grand nombre de pouvoirs au Parlement du Canada plutôt qu’aux provinces », a-t-il affirmé au micro de Michel Langevin, au 104,7 Outaouais.
Dans cet entretien étonnant offert quelques semaines avant de mourir, Benoît Pelletier prenait la pleine mesure de son éloignement idéologique avec le PLQ. Il exprimait par le fait même le sentiment de nombreux Québécois qui ont déserté ce parti.
Dans ce contexte, n’avait-il pas envie de sauter à nouveau dans l’arène, au moment où le PLQ se cherche un nouveau chef capable de reconnecter avec les francophones du Québec ?
Sa réponse fut tranchante, et elle mérite d’être citée longuement :
« Je suis beaucoup trop nationaliste pour le Parti libéral du Québec. En réalité, ce parti-là entretient parfois une vision unitaire du Canada, plutôt que vraiment fédéraliste. C’est le cas pour plusieurs membres, c’est le cas pour quelques députés également. »
« Quand j’étais en politique, je promouvais la reconnaissance du Québec comme une nation et je me faisais souvent répondre : “Benoît, il n’y a qu’une nation au Canada, et c’est la nation canadienne”. En d’autres termes, il y avait dès le départ en privé et dans les coulisses, de la part d’un nombre important de membres et de députés, une négation de l’existence d’une nation québécoise. »
« Ces fédéralistes-là étaient rendus tellement fermés dans leur conception du fédéralisme, qu’ils en venaient même à nier la possibilité qu’une nation québécoise existe à côté de la nation canadienne. »
UN NOUVEAU CODERRE
C’est tout le dilemme du PLQ actuel. Les Québécois sont rendus ailleurs.
Les sondages sont clairs, le rapatriement de nouveaux pouvoirs à Québec a la cote.
Quel politicien québécois oserait aujourd’hui nier publiquement l’existence d’une nation québécoise ?
Même Denis Coderre se dit maintenant un « fier nationaliste », lui qui a pourtant passé les 40 dernières années à combattre cette idée.
Réelle conversion ou opportunisme ? Benoît Pelletier restait « dubitatif » devant l’émergence de ce Coderre nouveau.
Le professeur Pelletier, qui mettait la patrie avant le parti, savait départager le vrai du faux lorsqu’il était question des intérêts supérieurs du Québec.
Ses lumières vont nous manquer.
Le professeur Pelletier, qui plaçait la patrie avant le parti, savait départager le vrai du faux lorsqu’il était question des intérêts supérieurs du Québec.