L’ingérence étrangère est répandue
C’est ce qui ressort du rapport préliminaire de la commissaire Marie-josée Hogue déposé hier
OTTAWA | Même si l’ingérence étrangère dans nos élections de 2019 et de 2021 n’a pas eu d’influence sur le résultat final du scrutin, elle s’avère « répandue, insidieuse et nuisible ». C’est entre autres ce que soutient la commissaire Marie-josée Hogue dans son rapport préliminaire rendu public hier. Voici ce qu’il faut retenir du volumineux rapport de 227 pages, rédigé après 21 jours d’audiences, durant lesquels 66 personnes ont témoigné, dont le premier ministre Justin Trudeau, dans le cadre de la Commission sur l’ingérence étrangère. Un rapport final sera déposé d’ici la fin de l’année.
L’EXEMPLE DE HAN DONG
Le cas du député libéral Han Dong pose un autre problème à ses yeux : il expose les courses à l’investiture comme « des portes d’entrée pour les États étrangers qui souhaitent s’ingérer dans nos processus démocratiques ».
Élu à l’investiture par une « très faible marge », M. Dong a bénéficié de l’appui d’étudiants internationaux chinois transportés en autobus nolisés vers les bureaux de vote. Certains d’entre eux avaient en main des documents « falsifiés ». D’autres auraient fait l’objet de « menaces voilées ».
Bien que le Parti libéral fût présumé gagnant dans cette circonscription, l’ingérence « aurait pu avoir une incidence sur l’identité de la personne qui a été élue au Parlement. Il s’agit d’un élément important », analyse la juge.
LES DÉFIS DU MULTICULTURALISME
Dans son discours au moment du dépôt de son rapport, la commissaire Marie-josée Hogue a relevé une tension entre la nature « multiculturelle » du Canada et la lutte à mener contre l’ingérence étrangère.
Bien sûr, le Canada doit « éviter de prendre des mesures qui stigmatiseraient certains de nos concitoyens, notamment ceux issus de la diaspora ».
Or, « tout cela rend beaucoup plus difficile le combat contre l’ingérence étrangère, qui est généralement, mais non exclusivement, l’oeuvre de pays autoritaires. Dans une certaine mesure, la bataille est inégale. »
Formuler des recommandations sur les façons de combattre l’ingérence des autres pays dans ce contexte « n’est pas une mince tâche ».
LE GOUVERNEMENT ÉCORCHÉ
Une des raisons d’être de la Commission publique sur l’ingérence étrangère était de savoir ce qu’a su le premier ministre Justin Trudeau et son entourage, quand ils ont reçu l’information et ce qu’ils en ont fait.
Même si la juge Hogue n’a pas trouvé de « mauvaise foi ni d’information qui aurait été volontairement retenue de façon inappropriée » de la part du gouvernement libéral, elle note que le renseignement en lien avec l’ingérence étrangère « ne s’est pas rendu aux destinataires voulus » et que certaines personnes l’ont « mal interprété ».
« Il s’agit de sérieux problèmes sur lesquels il faudra enquêter », écrit-elle.
Par ailleurs, la commissaire Hogue ne laisse aucun doute sur la pertinence de la tenue d’une Commission d’enquête publique sur l’ingérence étrangère, contrairement au jugement de David Johnston, le grand sage nommé par le gouvernement Trudeau, qui a d’ailleurs mis des mois avant de lancer une telle enquête.
NOS INSTITUTIONS DEMEURENT SOLIDES
Malgré des indices d’ingérence, le système électoral canadien demeure « robuste », croit Marie-josée Hogue. « Des actes d’ingérence ont été commis lors des deux dernières élections générales fédérales, mais ils n’ont pas porté atteinte à l’intégrité de notre système électoral, dont la solidité n’a pas été ébranlée », a-t-elle affirmé en point de presse.
PAS DE DOUTE, IL Y A EU INGÉRENCE
La commissaire Hogue arrive à la conclusion qu’il y a bel et bien eu ingérence étrangère dans nos élections de 2019 et de 2021.
Un des exemples est celui du candidat conservateur Kenny Chiu, en Colombie-britannique. Ce dernier a été visé par une campagne de désinformation possiblement coordonnée entre des médias de langue chinoise canadienne et des agents du Parti communiste chinois.
« Bien qu’aucun lien définitif n’ait été établi entre les informations trompeuses véhiculées par les médias et la République populaire de Chine (RPC), des indications claires de l’implication de la RPC existent et il est raisonnable de croire que ces faux propos ont eu des répercussions sur les résultats dans cette circonscription », souligne la juge.
Pire, selon elle, il est même possible que l’intensité de la désinformation véhiculée durant les scrutins « ait mené à l’élection d’un candidat plutôt qu’un autre ».
L’INGÉRENCE DANS L’HISTOIRE
L’ingérence étrangère ne date pas d’hier, rappelle dans son rapport Marie-josée Hogue, qui a puisé dans l’histoire pour en faire la démonstration.
Par exemple, la Grande-bretagne a financé les candidats royalistes aux élections françaises de 1797. En 1800, la France a envoyé un agent aux Étatsunis pour répandre des rumeurs selon lesquelles elle envisagerait une guerre si Thomas Jefferson ne remportait pas les élections américaines. Au XIXE siècle, le chancelier allemand Otto von Bismarck a cherché à sanctionner la politique étrangère du premier ministre britannique William Gladstone en tentant de détruire sa réputation par de la propagande électorale.