Le Journal de Quebec

L’ingérence étrangère est répandue

C’est ce qui ressort du rapport préliminai­re de la commissair­e Marie-josée Hogue déposé hier

- GUILLAUME ST-PIERRE ET RAPHAËL PIRRO

OTTAWA | Même si l’ingérence étrangère dans nos élections de 2019 et de 2021 n’a pas eu d’influence sur le résultat final du scrutin, elle s’avère « répandue, insidieuse et nuisible ». C’est entre autres ce que soutient la commissair­e Marie-josée Hogue dans son rapport préliminai­re rendu public hier. Voici ce qu’il faut retenir du volumineux rapport de 227 pages, rédigé après 21 jours d’audiences, durant lesquels 66 personnes ont témoigné, dont le premier ministre Justin Trudeau, dans le cadre de la Commission sur l’ingérence étrangère. Un rapport final sera déposé d’ici la fin de l’année.

L’EXEMPLE DE HAN DONG

Le cas du député libéral Han Dong pose un autre problème à ses yeux : il expose les courses à l’investitur­e comme « des portes d’entrée pour les États étrangers qui souhaitent s’ingérer dans nos processus démocratiq­ues ».

Élu à l’investitur­e par une « très faible marge », M. Dong a bénéficié de l’appui d’étudiants internatio­naux chinois transporté­s en autobus nolisés vers les bureaux de vote. Certains d’entre eux avaient en main des documents « falsifiés ». D’autres auraient fait l’objet de « menaces voilées ».

Bien que le Parti libéral fût présumé gagnant dans cette circonscri­ption, l’ingérence « aurait pu avoir une incidence sur l’identité de la personne qui a été élue au Parlement. Il s’agit d’un élément important », analyse la juge.

LES DÉFIS DU MULTICULTU­RALISME

Dans son discours au moment du dépôt de son rapport, la commissair­e Marie-josée Hogue a relevé une tension entre la nature « multicultu­relle » du Canada et la lutte à mener contre l’ingérence étrangère.

Bien sûr, le Canada doit « éviter de prendre des mesures qui stigmatise­raient certains de nos concitoyen­s, notamment ceux issus de la diaspora ».

Or, « tout cela rend beaucoup plus difficile le combat contre l’ingérence étrangère, qui est généraleme­nt, mais non exclusivem­ent, l’oeuvre de pays autoritair­es. Dans une certaine mesure, la bataille est inégale. »

Formuler des recommanda­tions sur les façons de combattre l’ingérence des autres pays dans ce contexte « n’est pas une mince tâche ».

LE GOUVERNEME­NT ÉCORCHÉ

Une des raisons d’être de la Commission publique sur l’ingérence étrangère était de savoir ce qu’a su le premier ministre Justin Trudeau et son entourage, quand ils ont reçu l’informatio­n et ce qu’ils en ont fait.

Même si la juge Hogue n’a pas trouvé de « mauvaise foi ni d’informatio­n qui aurait été volontaire­ment retenue de façon inappropri­ée » de la part du gouverneme­nt libéral, elle note que le renseignem­ent en lien avec l’ingérence étrangère « ne s’est pas rendu aux destinatai­res voulus » et que certaines personnes l’ont « mal interprété ».

« Il s’agit de sérieux problèmes sur lesquels il faudra enquêter », écrit-elle.

Par ailleurs, la commissair­e Hogue ne laisse aucun doute sur la pertinence de la tenue d’une Commission d’enquête publique sur l’ingérence étrangère, contrairem­ent au jugement de David Johnston, le grand sage nommé par le gouverneme­nt Trudeau, qui a d’ailleurs mis des mois avant de lancer une telle enquête.

NOS INSTITUTIO­NS DEMEURENT SOLIDES

Malgré des indices d’ingérence, le système électoral canadien demeure « robuste », croit Marie-josée Hogue. « Des actes d’ingérence ont été commis lors des deux dernières élections générales fédérales, mais ils n’ont pas porté atteinte à l’intégrité de notre système électoral, dont la solidité n’a pas été ébranlée », a-t-elle affirmé en point de presse.

PAS DE DOUTE, IL Y A EU INGÉRENCE

La commissair­e Hogue arrive à la conclusion qu’il y a bel et bien eu ingérence étrangère dans nos élections de 2019 et de 2021.

Un des exemples est celui du candidat conservate­ur Kenny Chiu, en Colombie-britanniqu­e. Ce dernier a été visé par une campagne de désinforma­tion possibleme­nt coordonnée entre des médias de langue chinoise canadienne et des agents du Parti communiste chinois.

« Bien qu’aucun lien définitif n’ait été établi entre les informatio­ns trompeuses véhiculées par les médias et la République populaire de Chine (RPC), des indication­s claires de l’implicatio­n de la RPC existent et il est raisonnabl­e de croire que ces faux propos ont eu des répercussi­ons sur les résultats dans cette circonscri­ption », souligne la juge.

Pire, selon elle, il est même possible que l’intensité de la désinforma­tion véhiculée durant les scrutins « ait mené à l’élection d’un candidat plutôt qu’un autre ».

L’INGÉRENCE DANS L’HISTOIRE

L’ingérence étrangère ne date pas d’hier, rappelle dans son rapport Marie-josée Hogue, qui a puisé dans l’histoire pour en faire la démonstrat­ion.

Par exemple, la Grande-bretagne a financé les candidats royalistes aux élections françaises de 1797. En 1800, la France a envoyé un agent aux Étatsunis pour répandre des rumeurs selon lesquelles elle envisagera­it une guerre si Thomas Jefferson ne remportait pas les élections américaine­s. Au XIXE siècle, le chancelier allemand Otto von Bismarck a cherché à sanctionne­r la politique étrangère du premier ministre britanniqu­e William Gladstone en tentant de détruire sa réputation par de la propagande électorale.

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PHOTO REUTERS La commissair­e Marie-josée Hogue lors du discours d’ouverture de la commission en janvier.
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