LE RECORD QUI A PROPUL MARKO ESTRADA
Fracasser le record d’édouard Carpentier, légende de la lutte qui avait été, durant 974 jours, champion d’une fédération majeure au Québec, a propulsé la carrière de Marko Estrada. Son talent lui a aussi permis d’être remarqué par Robert Lepage et le Cirque du Soleil.
« Je l’ai battu avec 1374 jours », relate avec fierté Marc Roussel de son nom de naissance, qui cumule les emplois de lutteur et d’agent correctionnel à l’établissement de détention de Québec (prison d’orsainville).
« Dans une fédération, c’est dur de toujours rester champion, avec la foule, est-ce que les fans vont se tanner, le personnage s’épuiser […] Quand j’ai perdu [mon record], j’étais triste un peu. »
Originaire de Le Goulet, petit village côtier du Nouveau-brunswick, l’acadien se souvient qu’il rêvait, très jeune, de vivre un jour de la lutte.
Dans sa famille, on aimait s’entraîner et on était des adeptes de culturisme.
Il était aussi hockeyeur, et a d’ailleurs été recruté par une équipe junior majeur à Moncton.
RÊVE INACCESSIBLE
Son rêve de devenir lutteur demeurait toutefois très présent, même s’il paraissait inaccessible.
C’était d’autant plus vrai pour un adolescent qui avait grandi dans un milieu somme toute assez isolé.
Il était un grand fan des spectacles de lutte, qu’il regardait à la télévision avec ses amis.
Il se costumait en lutteur et a eu l’idée, un jour, de construire une arène de lutte.
« Je ramassais les vieux matelas que les gens jetaient sur le bord du chemin, ce n’était pas très propre, mais il fallait ce qu’il fallait », se souvient-il.
Ses amis et lui donnaient des représentations, très courues par les filles du village, lance-t-il, ce qui les motivait.
Ils se filmaient et leurs performances étaient même projetées sur grand écran à la discothèque.
Puis un jour, il participe à un gala de lutte amateur, après avoir remis une cassette VHS de ces performances à un promoteur à Moncton.
« Je lui avais dit : mon rêve, c’est de lutter, de performer à l’aréna. Il m’a dit : la prochaine fois qu’on vient, on va te prendre. Ça aurait pu être des paroles en l’air, mais un an plus tard, il nous a donné la chance, à un ami et à moi, de performer. On a rempli l’aréna. J’en tremblais ! »
Il a donc choisi de tout abandonner pour devenir lutteur, malgré les préjugés que cela suscitait dans son milieu. C’était aussi un choix dont doutait beaucoup son père, lorsqu’il le lui a annoncé, se souvient-il en riant.
JUSQU’AU QUÉBEC
Il a dû faire sa place, ce qui n’a pas été facile par moments. Il a appris les techniques à l’école de lutte, à Moncton, avec des entraîneurs qui employaient la méthode dure.
« Je n’abandonnais pas, je disais que je n’étais pas venu pour rien. Plusieurs abandonnaient, moi j’ai été là trois mois, et j’ai fait mon premier combat professionnel à l’île-duprince-édouard. »
Il a choisi son nom d’artiste, Marko, comme l’appelait son père, et Estrada, en pensant qu’il s’agissait d’un nom d’étoile, mais qui faisait référence à une célèbre famille de lutteurs mexicains.
Après plusieurs combats au Nouveau-brunswick, au début de la vingtaine, il s’est tourné vers le Québec. Il ne parvenait pas à gagner sa vie comme il le souhaitait, et constatait qu’il y avait plusieurs fédérations de lutte au Québec.
Après un mois à peine, il a fait sa place et les promoteurs se sont mis à le demander. Il est devenu le personnage du Champian du mande, clin d’oeil à son accent acadien.
AVEC ROBERT LEPAGE
En 2016, lorsqu’il a battu le record d’édouard Carpentier, il a aussi été approché par le créateur Robert Lepage alors qu’il s’entraînait au gym.
Il l’a invité à venir le voir au Centre Horizon, où il était l’une des têtes d’affiche d’un gala. « Il me dit : j’arrive d’europe telle journée, je vais y aller. Je me dis : il ne viendra pas, il va revenir d’europe. »
À sa grande surprise, Robert
Lepage était dans la salle durant le gala. Il l’a invité à son tour à voir ses pièces au théâtre. Ils se sont aussi rendus à New York et Las Vegas pour voir des représentations.
« C’est là qu’on s’est aperçu que la lutte, c’est pas loin du théâtre et du Cirque, et ça se mélange bien. On a parlé beaucoup, Robert et moi, et durant un souper, il m’a annoncé qu’il construisait le Diamant. »
Marko lui a suggéré d’avoir de la lutte au Diamant, et Robert Lepage était bien d’accord. Les spectacles de lutte au Diamant sont depuis devenus extrêmement populaires. Les billets s’envolent comme des petits pains chauds.
« Vu que Robert Lepage s’intéresse à la lutte, ça amène une crédibilité. » Une nouvelle clientèle aussi. « C’est ça qui est beau, de voir le monde se mélanger et crier des niaiseries […] Le public est tellement important en lutte. »
LE CIRQUE DU SOLEIL
Plus récemment, Robert Lepage l’a invité à prendre part à l’élaboration du spectacle SLAM, qui combine lutte, cirque et théâtre au Diamant, avec FLIP Fabrique et Ex Machina.
Il a aussi travaillé sur l’exposition
Lutte. Le Québec dans l’arène, présentée au Musée de la Civilisation.
Conçue et réalisée par Robert Lepage et Ex Machina, l’exposition explore l’univers et l’histoire de la lutte, un monde éclaté duquel ont émergé de nombreux personnages.
« Travailler avec Robert Lepage, ça ouvre des portes », souligne-t-il.
À preuve, Marko Estrada a aussi été approché par le Cirque du Soleil pour une nouvelle production intitulée Songblazers : A Journey Into Country Music. Il est devenu scénariste et entraîneur pour ce spectacle.
Comme il l’a mentionné d’entrée de jeu, le lutteur gagne aussi sa vie comme agent correctionnel.
La conciliation des deux emplois s’avère de plus en plus un casse-tête, mais il tient le coup pour le moment, soucieux de continuer de faire briller la lutte au Québec.
« J’espère que ça ne s’arrêtera pas », lance celui qui participera à un gala de la North Shore Pro Wrestling le 15 juin, au Centre de foires de Québec.