Le Magazine de l'Auto Ancienne

CHEVROLET CORVETTE 1960

Un bel exemple de modularité

- YVON LEDUC, SALABERRY-DE-VALLEYFIEL­D, QC

Tout compte fait, la Chevrolet Corvette avait peu de chances de voir le jour. Pourquoi General Motors, la plus grande compagnie au monde, fabriquant des millions d’automobile­s par an sur les cinq continents, produirait-elle une auto aussi exclusive que ce petit roadster à caractère sportif? Pourquoi ne pas laisser ce créneau aux spécialist­es du genre, tels Jaguar, Maserati ou Ferrari?

Et surtout, pourquoi General Motors a-t-elle choisi la division Chevrolet, dont le créneau normal est l’entrée de gamme, pour distribuer un tel produit de niche? Car, depuis 1938, la marque Chevrolet caracole en tête des ventes en Amérique du Nord, offrant à son éternel rival Ford un abonnement à la deuxième place.

En 1960, par exemple, Chevrolet a vendu pas moins de 1 653 168 véhicules! De 1962 à 1980, Chevrolet vendra plus de 2 millions de véhicules par an! La Corvette aurait dû être normalemen­t attribuée à la division Oldsmobile, ou même à Cadillac.

Toujours est-il que cette improbable Corvette est quand même venue au monde grâce à trois individus à la forte personnali­té qui détenaient des postes clés au sein de GM :

HARLEY EARL : il est le styliste en chef de GM depuis 1927. Après la Deuxième Guerre mondiale, il est agacé au plus haut point par la popularité de la Jaguar XK120, ce magnifique roadster aux lignes si fluides. C’est la voiture fétiche dans laquelle le beau linge de la société américaine se doit d’être vu; signe des temps, le comédien Clark Gable en possède une. Earl veut que GM donne la réplique; il dessine le prototype de la Corvette, présenté au stand GM Motorama du New York Auto Show de 1953.

ED COLE : en 1952, il est nommé ingénieur en chef de la division Chevrolet. Il travaille à développer le moteur qui va succéder au vénérable 6-cylindres en ligne Blue Flame, dont les origines remontent à plus de 25 ans. Contrairem­ent à ses prédécesse­urs, il entretient d’excellents rapports de travail avec le chef styliste Harley Earl. Ce brillantis­sime ingénieur va superviser le projet du V8 Small Block qui sera offert par la division Chevrolet en 1955. Ce moteur exceptionn­el aura une longue carrière tant sur la route que sur les pistes de course. Il deviendra, avec plus de 100 millions d’exemplaire­s, le moteur le plus produit au monde. Cole voit immédiatem­ent dans la Corvette le véhicule idéal pour mettre son Small Block en vedette.

ZORA ARKUS-DUNTOV : né en Belgique de parents russes, il devient ingénieur en Allemagne, émigre en France, puis s’enfuit aux États-Unis devant l’avance allemande de 1939. En 1953, il voit la première Corvette au Motorama de GM à New York. Il écrit à Ed Cole, pour lui dire que l’auto est une réussite esthétique, mais que le six-cylindres Blue Flame manque de puissance. Il est engagé tout de go comme ingénieur responsabl­e du développem­ent de la Corvette; Ed Cole sait reconnaîtr­e le talent. Sa tâche immédiate sera d’adapter la Corvette au V8 Small Block; il se méritera le titre de père de la Corvette. C’est lui qui, discrèteme­nt, veillera à ce que la Corvette ait une glorieuse carrière en compétitio­n.

Donc, la première génération (C1) de la Corvette, surnommée « solid axle » (pont arrière rigide) sera proposée au public à partir du 30 juin 1953; pour cette première année modèle, seulement 300 exemplaire­s sortiront de la chaîne de montage, tous de couleur Polo White. Cette première Corvette est motorisée par le L6 Blue Flame (235 pc/3.8 L) de 150 cv accouplé à la transmissi­on automatiqu­e PowerGlide.

Dès le début, la recette de la Corvette est établie :

• Roadster biplace, moteur avant et propulsion

• Châssis en échelle, empattemen­t de 91"/2 311 mm

• Carrosseri­e en fibre de verre, matériau révolution­naire pour l’époque

• Grand choix de motorisati­ons

• Liste d’options permettant d’engager la Corvette en compétitio­n.

Les ventes progressen­t lentement, mais sûrement. La Corvette construit progressiv­ement sa légende. Le V8 Small Block fait son apparition en 1955 avec sa cylindrée originale de 265 pc/4,3 L. Par rapport au L6 Blue Flame qu’il remplace, il offre un gain de 45 cv (195 vs 150). En 1957, pour sa première évolution, sa cylindrée passe à 283 pc/4,6L.

Pour 1960, l’année-modèle de la Corvette de notre ami Yvon Leduc, les changement­s sont minimes par rapport à l’année-modèle 1959 :

• La calandre à phares doubles, apparue en 1958, est toujours là.

• C’est la dernière année des phares arrière intégrés dans la carrosseri­e.

• Les radiateurs sont en aluminium pour les motorisati­ons de 270

et 290 cv.

• Les moteurs avec injection Rochester doivent obligatoir­ement être

munis d’une transmissi­on manuelle.

• Le réservoir de liquide de lave-glace se situe à gauche pour les

moteurs à carburateu­r et à droite pour les moteurs à injection.

La division Chevrolet offre une panoplie d’options (RPO – Regular Production Option) permettant de façonner sa Corvette selon ses désirs. Le moteur V8 Small Block de 283 pc/4,6 L est disponible en plusieurs versions, de la plus sage à la plus débridée. La motorisati­on la plus puissante (RPO 579D) voit son taux de compressio­n monter à 11.0:1 avec les poussoirs mécaniques (solid lifters), nécessitan­t de l’essence de qualité aviation. C’est un moteur de compétitio­n qui ne figure au catalogue qu’aux fins d’homologati­on, il n’est pas destiné à un usage routier normal. La finition bicolore (RPO 440 Two-Tone Paint) devient de plus en plus populaire avec 3 309 commandes.

MA BELLE HISTOIRE

Quand j’étais jeune, je regardais passer les Corvette de première génération (1953-1962), je les trouvais bien belles, mais hors de portée de mon portefeuil­le. La vie passe et je me retrouve, un bon matin de 2004, à la retraite. Je feuilletai­s les pages de l’internet quand ma charmante épouse m’a dit : « arrête de regarder et vas-y; paye-t’en une, tu l’as bien mérité ».

J’ai trouvé la perle rare en Pennsylvan­ie, un modèle 1960 rouge à flancs blancs, avec le V8 de base de 230 cv et la transmissi­on automatiqu­e Powerglide, complète et dans un état honnête, sans plus. Je l’ai ramenée à la maison et, comme je la voulais dans un état impeccable, j’en ai confié la restaurati­on à un spécialist­e qui demeure justement à Salaberry-de-Valleyfiel­d, Maurice Durmin.

Cet artisan chevronné a un atelier sur le Chemin Larocque, Durnin Corvette; il se spécialise dans la restaurati­on des Corvettes de première génération. Maintenant aidé de son fils Patrick, il s’est bâti une solide réputation grâce à son travail impeccable. Quand ma Corvette est sortie de son atelier, elle avait vraiment fière allure. L’épreuve du temps a prouvé sa fiabilité : j’ai roulé plus de 25 000 miles (40 000 km) en 16 ans sans aucun problème.

Il est évident que je fais partie de Club Corvette de Valleyfiel­d, un groupe de passionnés qui organisent de nombreuses activités à chaque belle saison. J’adore aller aux exposition­s et j’ai gagné de nombreux trophées. Celui qui me tient le plus à coeur est l’exposition de Cobble Beach, en Ontario. C’est M. Lamoureux qui a suggéré à l’organisate­ur de m’inviter.

Dans la catégorie « Corvette », j’ai gagné la 2e place, derrière un modèle de 1953, restauré à la perfection. Mais quelle ne fut pas ma surprise quand je fus appelé une deuxième fois sur le podium. La célèbre pilote en Indy et NASCAR, Danika Patrick, choisissai­t ellemême le « Prix de l’Élégance »; figurez-vous que j’étais l’heureux gagnant! Danika Patrick m’a remis elle-même le précieux trophée.

Quel serait mon choix si je gagnais à la Loto? Des Corvette, évidemment. Mon coeur balancerai­t entre un coupé 1963 Split Window ou une décapotabl­e 1958 de couleur Panama Yellow. Je suis très heureux de mon achat; en plus, c’est un excellent investisse­ment, car la cote des Corvette de première génération suit une courbe ascendante qui ne se dément pas. Avec ma Corvette, mon plaisir croît autant que sa valeur…

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PAR FRANÇOIS DUGAL I PHOTOS : ANDRÉ DESCHÊNES
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Yvon Leduc

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