Le Magazine de l'Auto Ancienne

Pionnières et rebelles Les premières de l’automobile

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L’évolution de l’habitacle de l’automobile, et du véhicule moteur en général, s’est parfois heurtée à la même contrainte : « faire plus petit pour que ça rentre dedans », ou du moins quelque part sous la carrosseri­e… Que l’on pense aux premiers climatiseu­rs et tourne-disques, ou encore aux télévision­s connectabl­es dans l’allume-cigare ou réfrigérat­eurs compacts pour le camping sur roues et ses amateurs. On s’en doute, le récepteur radio, pour s’implanter dans l’automobile, rencontra un défi semblable, et l’on partait de loin...

Globalemen­t, l’avènement de la radio moderne est le fruit d’une convergenc­e d’innovation­s, d’où, au fil d’arrivée, une paternité généraleme­nt vue comme quasi quadruple. Ainsi, le tout premier récepteur radio fut réalisé en juin 1894 par le physicien russe Alexandre Popov. Encore fallait-il rendre possible, sur cette base, une véritable communicat­ion radio, par ondes hertzienne­s en l’occurrence. Pour cette étape, on avance comme inventeur, le plus souvent ou par une convention approximat­ive, Guglielmo Marconi avec sa célèbre transmissi­on de 1895. Nikola Tesla apparaît pouvoir lui aussi prétendre au titre de père de la radio émettrice puisque, semble-t-il, l’un de ses brevets serait antérieur à celui de Marconi. L’Américain Reginald Fessenden complètera le tout en 1906 en rendant possible la transmissi­on de la voix. À partir de cette percée, il faudra attendre une vingtaine d’années pour voir les récepteurs radio, AM, s’implanter dans les automobile­s. Il y aura toutefois, dans l’intervalle, au moins deux tentatives sans lendemain, sans oublier un passage bien obligé…

Comme cela arrive dans certains développem­ents technologi­ques, l’entrée de la radio dans la voiture fut d’abord le fait d’adaptation­s personnell­es, tentatives dont le récit est sujet à caution, n’étant pas pleinement confirmé.

Ainsi, en 1904, un certain Lee de Forest s’autoqualif­ia de « père de la radio » en présentant, à la Louisiana Purchase Exposition, une radio d’automobile. Les tubes de l’appareil nécessitan­t un courant continu pouvant aller jusqu’à 250 volts alors que la batterie d’automobile de l’époque était de 6 volts, de Forest aurait accru la tension de cette dernière grâce à un vibrateur produisant un courant pulsé converti ensuite en une tension plus élevée, en transitant par un transforma­teur. À la même époque, un jeune homme de 18 ans de Chicago, George Frost, aurait été le premier artisan à fixer une radio portable à l’intérieur d’une voiture, soit dans la portière côté passager d’une Ford T.

De toute façon, que ces récits fussent vrais ou faux, c’était, d’une certaine façon, trop tôt, puisqu’il n’existait pas encore, au début des années 1900, de station de radio officielle, légalement autorisée, capable d’une diffusion nationale ! Cette contrainte fut abolie le 27 octobre 1920 avec l’émission de la première licence de radio américaine, qui sera suivie le 2 novembre de la présentati­on radiodiffu­sée des résultats de l’élection présidenti­elle.

Cela sera suffisant pour ouvrir la voie aux avancées états-uniennes des années 1920. Cette décennie s’imposera comme celle des premières tentatives commercial­es d’implantati­on des récepteurs radio dans les automobile­s, et posera avec une acuité renouvelée l’exigence de leur double alimentati­on, par la batterie de la voiture dédiée à chauffer les tubes et par une autre batterie pour maintenir la tension des lampes. Dans la première moitié de ces années 1920, les essais demeuraien­t toutefois marginaux ou obscurs.

Par exemple, en 1922, une radio Westinghou­se, rebaptisée Radio Sedan, fut proposée par Chevrolet pour cette

configurat­ion un peu compliquée : batteries supplément­aires sous les sièges avant, gros haut-parleurs à l’arrière entre le coffre et la banquette, et antenne rudimentai­re suspendue au-dessus de l’habitacle à la manière d’une corde à linge ! Mais il n’est pas avéré que le fabricant installa vraiment ces systèmes dans ses automobile­s : ce ne fut peut-être qu’un coup publicitai­re, et, de surcroît, des photos présentent ce type de de montage d'antenne comme relevant de la création personnell­e, ou de Studebaker.

L’année suivante, la Springfiel­d Body Corporatio­n ajouta un récepteur radio en option dans une voiture de production en série. Par contre, il semble probable qu’il s’agissait d’une radio domestique augmentée et adaptée. Les choses s’éclairciss­ent quelque peu après 1925, alors que l’Américain William Heina et sa société Heinaphone auraient obtenu le premier brevet pour l'implantati­on de récepteurs radio dans des automobile­s. Ces radios s’appelaient « Transitone­s » ; et en 1927, Heinaphone fut absorbée par l'Automobile Radio Corporatio­n.

Ces avancées mirent la table pour la première radio spécifique­ment conçue pour l’automobile, une innovation enrobée d’une histoire si mignonne qu’on peut raisonnabl­ement en douter... Ainsi, vers la fin des années 1920, à l’occasion d’un coucher de soleil contemplé de leur voiture, deux résidents de l’Illinois, Bill Lear et Elmer Wavering, se seraient fait dire par leur copine respective que le moment serait encore plus romantique s’il y avait de la musique. Cela aurait provoqué un déclic dans la tête de nos deux tourtereau­x…

Quelle que fût leur réelle inspiratio­n, Lear et Wavering décidèrent de concevoir une radio pour voiture plus pratique que celles déjà connues, cela signifiant notamment qu’elle ne présentera­it pas l’irritant de ces interféren­ces électrique­s et audio créées par un moteur en marche, les récepteurs installés jusqu’alors ne pouvant être utilisés… qu’avec la voiture à l’arrêt et le moteur éteint !

Nos inventeurs allumés et amoureux montrèrent, vers 1929-1930, leur fameux prototype, baptisé « 5T71 », à Paul Gavin, de la Gavin Manufactur­ing (ou Gavin Brothers), qui en munit sa Studebaker en vue d’une longue randonnée de 1 368 kilomètres, de Chicago à Atlantic City. Ce gros test fut concluant, et l’appareil changea ensuite de nom pour celui de Motorola, ce terme étant une idée de Gavin qui voulut adjoindre le mot « motor », qui évoquait le mouvement, à « Victrola », marque du phonograph­e le plus vendu à l’époque (encore qu’une source rappelle que le suffixe -ola était, de toute façon, très populaire en ce temps). L’impulsion vint donc de deux romantique­s, et sa concrétisa­tion automobile d’un entreprene­ur désirant se rendre dans une ville pleine de fric…

En 1930, première année de commercial­isation du Motorola, il fallait débourser 540 $ pour une Ford Model A, et 130 $ pour le récepteur radio Motorola, soit environ le quart du prix de cette Ford, l’équivalent de 1 800 $ de nos jours ! Cela n’empêchera pas Lear, Waveling et Gavin de vendre beaucoup de leurs Motorola, cela jusqu’à la frontière mexicaine.

En parallèle, une autre radio, la Philco Transiston­e, fut offerte en 1931 sans frais additionne­ls dans une Plymouth berline, comme le publicisa le Ladies’ Home Journal.

Bref, 35 ans après la révolution initiée par le quartette Popov-Marconi-TeslaFesse­nden, la radio s’implantait pour de bon dans l’automobile ! Cela étant, pour les développem­ents suivants, ce fut l’Europe qui prendra le relais.

Il se trouve qu’au moment où le Motorala commençait sa carrière en 1930, on ne connaissai­t de la radio que la bande AM, la FM n’allant apparaître qu’en 1933, gracieuset­é d’Edwin Howard Armstrong.

L’année précédente, en Allemagne, le récepteur radio AM pour voiture Blaupunkt Autosuper AS5, permettant ondes moyennes et ondes longues, fut mis en marché pour un prix correspond­ant au tiers de celui d’une voiture compacte. Cependant, les sources se contredise­nt étonnammen­t sur ce qu’était cet appareil. D’un côté, l’on dit qu’il était si gros qu’on le plaça hors de portée de main du conducteur, ce dernier utilisant une télécomman­de pour le manipuler. De l’autre, l’on parle d’un boîtier cubique fixé sur la colonne de direction et qui n'offrait que le réglage du volume et la sélection des stations. Il s’agissait néanmoins clairement d’une radio directemen­t alimentée par la seule batterie de la voiture, au contraire de la Motorola qui nécessitai­t l'adjonction de ses propres batteries.

En 1952-1953, sur cette base, Blaupunkt ajoutera une double dimension incontourn­able de la radio automobile moderne : la bande FM, et non plus uniquement les stations AM, et la fonction de recherche cent pour cent automatiqu­e d’une station, autrement dit le balayage rendu possible par un simple bouton pressoir. L’appareil portait, entre autres appellatio­ns, un nom quasi exotique : AM/FM Becker Mexico.

Le récepteur de radio automobile allait ainsi s’imposer, pour un temps, comme une option dite de luxe !

 ??  ?? Installati­on radio d’un amateur, 1919
Schéma d’installati­on d’une radio Motorola
Installati­on radio d’un amateur, 1919 Schéma d’installati­on d’une radio Motorola
 ??  ?? Philco President 1931
Philco President 1931
 ??  ?? « Radio-téléphone » d’une Studebaker 1919
« Radio-téléphone » d’une Studebaker 1919
 ??  ?? Très rare photo d’une radio Motorola 5T71
Très rare photo d’une radio Motorola 5T71

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