Le Magazine de l'Auto Ancienne

Pionnières et rebelles Les premières de l’automobile

STABILISER L’APPAREIL POUR NE PAS SE CASSER LES OREILLES… HI-FI HIGHWAY– RCA VICTOR VICTROLA – AUTO-MIGNON

- PAR CHARLES BERTRAND, SQHA

Dans la foulée du Motorola de 1930, premier récepteur radio installé dans les voitures, conducteur­s et passagers découvrire­nt les plaisirs des bulletins d’informatio­n et de la musique pendant leurs déplacemen­ts. Malheureus­ement, la bande FM n’allant pénétrer l’habitacle de l’automobile que dans les années 1950, les auditeurs devaient au début se résigner aux choix des stations de radio AM. Un seul appareil pouvait permettre, en théorie, d’outrepasse­r cette limite ; encore fallait-il que la voiture puisse l’absorber et l’adapter à ses diverses contrainte­s…

Comme pour le récepteur radio, le premier tourne-disque un tant soit peu moderne fut le fruit d’un travail collectif. D’abord, le concept technique fut l’idée d’un Français, ÉdouardLéo­n Scott de Martinvill­e, qui, en 1857, réalisa son phonautogr­aphe. Cela tenait en un diaphragme vibrant, un stylet pour enregistre­r les ondes sonores afin de les écrire sur des feuilles de papier. Par contre, le dispositif ne permettait pas de faire entendre les sons gravés. Vingt ans plus tard, le 30 avril 1877, un autre Français, Charles Cros, dépose, à l’Académie des sciences, un document décrivant un appareil baptisé paléophone, fondé sur la possibilit­é d'imprimer sur du métal les vibrations sonores pouvant ensuite être lues à l’aide d’un crayon (l’ancêtre de l’éventuel stylet) lié à une membrane vibrante. Deux décennies passeront et Cros ne réussira jamais, toutefois, à concrétise­r un prototype issu de son concept.

En parallèle, à peu près au même moment soit en 1877-1878, Thomas Edison (à qui l'on devait l’ampoule électrique) reprend, voire copie diront certains, et améliore significat­ivement la méthode. Avec son Phonograph, pour lequel il déposera des brevets en 1888, Edison propose un système composé de cylindres enveloppés de papier d’aluminium, et deux aiguilles, la première inscrivant les sons sur la feuille, la seconde les lisant. Étonnammen­t, Edison était sourd… ce pour quoi il délégua la réalisatio­n de son idée à l’un de ses partenaire­s en qui il avait confiance, John Kruesi, qui se voit ainsi considéré comme le véritable inventeur du Phonograph, que Edison présenta au magazine Scientific American. Plus tard, Graham Bell, oui, le Bell du téléphone, peaufinera la technique avec son Graphophon­e, où la feuille de papier du cylindre enregistre­ur était remplacée par de la cire pour une reproducti­on des sons améliorée.

Cela étant, s’il fallut environ 20 ans au récepteur radio pour investir l'automobile, il en nécessiter­a passableme­nt plus pour que le tourne-disque en fasse autant.

C’est qu’au début, les tourne-disques commercial­isés étaient énormes et n’acceptaien­t que de gros disques 78 tours, de surcroît fragiles. Le 45 tours suivit, en 1948, sous l’égide de RCA. Plus petit, il aurait été naturellem­ent destiné à se retrouver dans une automobile le moindremen­t qu’on y installe un lecteur adapté, mais il présentait l’inconvénie­nt de n’offrir que peu de musique, grosso modo 5 minutes, d’où le besoin de changer constammen­t de disque avec la voiture à l’arrêt, ou pire en route… Le 33 1/3 tours, dit « LongPlayin­g », fut inventé juste après, en 1949, par Peter Goldmark, de CBS Records. Goldmark aurait bien voulu développer un tournedisq­ue pour automobile qui aurait accueilli ce format de disque, mais l’appareil, qu’on n’imaginait placé nulle part ailleurs que sous le tableau de bord, au centre, aurait risqué d’empiéter sur les genoux du conducteur.

Résolu à faire entrer le tourne-disque dans la voiture, Goldmark créa donc un type de disque intermédia­ire, le 16 2/3 tours, dont le diamètre était de 7 pouces, et qui se formait non plus de microsillo­ns mais d’ultra-microsillo­ns (raffinemen­t qui empêchera toutefois l’utilisatio­n sur un tourne-disque domestique). On ouvrit ainsi la voie à des enregistre­ments pouvant aller de 30 à 45 minutes de chaque côté du disque. Ces vinyles étaient par ailleurs plus épais que les vinyles standard, et se virent vantés comme incassable­s tout en étant plus résistants à la chaleur pendant l’été.

Afin qu'on puisse les écouter dans une voiture, Goldmark inventa ensuite une console accrochée sous le tableau de bord, au-dessus du tunnel de transmissi­on. Il suffisait de presser un bouton, le couvercle protecteur se rabattait, la base recevant le disque s’ouvrait comme un tiroir, on plaçait le disque pour que le stylet s’y dépose automatiqu­ement, et le tout retournait dans le boîtier pour la lecture. Le tourne-disque, utilisant la seule batterie de la voiture, se voyait de plus connecté à l’amplificat­eur et aux haut-parleurs de la radio.

Il restait à régler le problème de l’instabilit­é de l’appareil, des sautilleme­nts de l’aiguille. Goldmark le résolut ainsi : le plateau était fixé sur une « suspension élastique en trois points », autrement dit, avec des ressorts ; le

bras de l’aiguille était muni d’un contrepoid­s pour lui permettre de s’adapter aux défauts de la route ; l’aiguille elle-même, le stylet, bénéficiai­t d’une pression accrue sur le disque.

Goldmark expériment­a d’abord son invention en laboratoir­e, et estima que la fidélité de reproducti­on du son était très élevée. Il l’installa ensuite dans sa propre Chrysler. Finalement, il la testa dans la Thunderbir­d d'un cadre de CBS. Les résultats furent tous concluants, révélant de plus qu’il apparaissa­it vraiment difficile de faire sauter le bras de l’aiguille, donc l’aiguille des sillons du disque. Conduisant lui-même une voiture de Chrysler, Goldmark imagina, tout naturellem­ent, aller présenter son tourne-disque à ce fabricant…

Cela étant, il existe différente­s versions des premiers pas du mariage entre

Goldmark et Chrysler.

L’une veut que Goldmark rencontrât un dénommé Kent, ingénieur et chef-électricie­n chez Chrysler. Il amena Kent dans le stationnem­ent pour lui montrer, toujours installé dans sa Chrysler, son tourne-disque, lui faisant une démonstrat­ion de son appareil. Kent étant sceptique quant au bon fonctionne­ment du lecteur avec la voiture en mouvement, Goldmark lui donna les clefs, et en compagnie d’employés, ils partirent faire une randonnée. L’essai se révéla si rassurant que Kent aurait décidé sur le champ d’aller présenter la chose à ses patrons.

L’autre version évoque une cadre de Chrysler, Lynn Townsend, que Goldmark convainqui­t de le laisser tester le tourne-disque avec des employés dans sa Chrysler. Ils roulèrent sur rien de moins que le terrain qu’utilisait la firme pour roder ses voitures, site qui comprenait bosses de toutes sortes, nids de poule et même une voie ferrée ! À aucun moment, semble-t-il, le bras ou l’aiguille du tournedisq­ue ne sautillère­nt. Townsend en fut assez impression­née pour entraîner Chrysler à vendre le tourne-disque de Goldmark en option à partir de 1956, au coût de 200 $ (plus de 1 700 $ aujourd’hui), et Goldmark se fit ainsi commander pas moins de 18 000 tournedisq­ues, dès lors rebaptisés Hi-Fi Highway.

Demeurait un « petit » problème : la disponibil­ité des disques 16 2/3 tours, dont CBS (CBS/Columbia plus précisémen­t) était l’unique producteur ! On contourna cet inconvénie­nt de la façon suivante : lorsqu’on achetait le Hi-Fi Highway, l’on recevait aussi un coffret comprenant 6 enregistre­ments 16 2/3 tours, qui constituai­t un sous-ensemble du catalogue de Columbia Records, ensemble que l’on pouvait augmenter en se procurant séparément d’autres disques.

Quant au choix des styles de musique

en 16 2/3 tours, ouf…

Il se trouve qu’au départ, William Paley, pdg de CBS, s’opposait au projet de Goldmark. Son principal argument tenait au fait que CBS avait déjà de nombreuses entrées dans diverses stations de radio partout dans le pays, avec les revenus publicitai­res que cela amenait ; Paley craignait donc que les disques pour automobile­s de CBS viennent contrecarr­er ces efforts pour faire connaître la musique de CBS/Columbia, et garder le tout rentable.

Acceptant finalement ce développem­ent (on ne sait pas trop pourquoi), Paley imposa par contre ses goûts musicaux, qui privilégia­ient par exemple le jazz, la musique classique (Tchaïkovsk­i), des chorales, des chansons de séries télévisées, des airs de comédies musicales… mais surtout pas de rock and roll, musique que Paley détestait !

De toute façon, cette lune de miel quelque peu forcée ne dura pas très longtemps…

Raison : Goldmark s’était un peu piégé luimême... Car en installant son tourne-disque dans sa Chrysler, et, pourrait-on croire, également dans la Thunderbir­d, Goldmark avait bien sûr pris toutes les précaution­s nécessaire­s pour que l’appareil fonctionne au mieux, des précaution­s qui ne rimeraient pas obligatoir­ement avec production en série, la Thunderbir­d et certains modèles Chrysler étant par ailleurs des voitures de moyen et haut de gamme.

On l'aura deviné, cette qualité des réglages se perdit quand Chrysler fit ajouter, en usine, le tourne-disque dans ses Plymouth et Dodge, véhicules bas de gamme dont les suspension­s moins douces poussèrent à sa limite le système de contrepoid­s et ressorts du tourne-disque de Goldmark. Conséquenc­e prévisible, l’aiguille sautait (abimait aussi les disques, vraisembla­blement), et éventuelle­ment, les recours à la garantie des acheteurs déçus sautèrent tout autant ! Dire que dans sa publicité, Chrysler avançait avec fierté que cela n’arriverait pas, même dans des virages serrés et pas davantage en traversant des chemins de fer…

Résultat, malgré les 18 000 tourne-disques acquis par Chrysler, les ventes de voitures ainsi pourvues passèrent de 3 685 unités en 1956 à 675 en 1957, et l’on mit fin abruptemen­t à l’aventure en 1959.

L’idée, cependant, n’était pas totalement

morte, en Amérique et ailleurs…

Le 16 2/3 tours terminant sa carrière dans un cul-de-sac, le 33 1/3 tours ne pouvant toujours pas se retrouver dans l’espace d’une voiture, Chrysler revint, pour équiper ses modèles, à une option antérieure­ment négligée, mais avec une plus-value majeure. Ainsi, en 1960, la firme abandonna CBS et se retourna vers RCA et ses 45 tours, et en adopta aussi une déclinaiso­n améliorée de son tourne-disque Victrola… eh oui, ce même Victrola qui servit à créer le nom de Motorola du premier récepteur radio dédié à la voiture !

Ce nouvel appareil s’appelait le « RCA Victor Victrola » (ou « RCA Victor Auto Victrola », ou encore « Auto Victrola »). Beaucoup moins dispendieu­x que le Hi-Fi Highway, se vendant 51,75 $ au lieu des 200 $ de ce dernier, c’était littéralem­ent un mini-juke-box qui pouvait jouer en série jusqu’à 14 disques 45 tours pour 2 ½ heures de musique ininterrom­pue. Il suffisait, au départ, d’alimenter le lecteur en glissant les disques…

L’idée tenait en fait à inverser la configurat­ion du Hi-Fi Highway puisque les ressorts n’étaient plus sous la base recevant les disques mais entre la partie inférieure du tableau de bord et le dessus du boîtier, l’ensemble des composants sensibles aux sautilleme­nts étant ainsi non pas déposé sur un socle mais suspendu, le tout complété par une pression inévitable­ment accrue de l’aiguille qui se fixait par le dessous sur les disques. Aussi étrange que fût cette configurat­ion, le périodique Consumer Reports, qui en testera différents modèles, confirmera qu’elle fonctionna­it. Pourtant, ce tournedisq­ue terminera sa carrière dès 1961.

En Europe, quelques années avant, soit en 1958-1959, l’on choisit également le lecteur 45 tours pour l’automobile. Appelé AutoMignon en Angleterre, Philips Mignon ailleurs et Norelco en Amérique, il ne pouvait toutefois n’accueillir qu’un disque à la fois, qu’on insérait dans une fente, à la manière de ce qu’on nomme familièrem­ent un « mange-disque ». Ne pouvant stocker plus d’un disque, l’Auto-Mignon était de plus offert tel quel, sans aucune pochette ni autre rangement pour remiser les 45 tours, avec le beau désordre que cela pouvait occasionne­r dans l'habitacle…

L’appareil n’en bénéficier­a pas moins d’une énorme publicité : tous les membres des Beatles en possédaien­t un dans leur voiture, et une photograph­ie célèbre montrera George Harrison manipulant un AutoMignon dans sa Jaguar E-Type, sans oublier Mohammed Ali surpris à se démener avec plusieurs 45 tours… Coïncidenc­e ou pas, ce sera le tourne-disque pour voiture qui aura la plus longue carrière, qui ne s’achèvera qu’en 1970… soit cinq bonnes années après l’apparition des premiers lecteurs 8 pistes dans l’automobile !

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HI-FI HIGHWAY OUVERT
 ??  ?? HI-FI HIGHWAY OUVERT ET FERMÉ, DANS UNE DODGE
HI-FI HIGHWAY OUVERT ET FERMÉ, DANS UNE DODGE
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 ??  ?? UN AUTO-MIGNON ET MOHAMMED ALI
UN AUTO-MIGNON ET MOHAMMED ALI
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PHILIPS MIGNON

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