Le Magazine de l'Auto Ancienne

ESSAI DE ROUTE

à la vitesse foudroyant­e de 20 milles à l’heure dans une Cadillac Model K Runabout de 1906 !

- PAR ROBERT DUPONT

Nous avons eu le privilège de prendre le volant de cette Cadillac modèle K de 1906 : une expérience tout à fait hors du commun! Après plus de 117 ans, elle vibre toujours comme à ses plus beaux jours, dès qu’on lui donne l’occasion de rouler en toute liberté.

Cliquez sur le contact d’allumage et amorcez le carburateu­r en tirant sur une tige jusqu’à ce que le carburant s’écoule sur le pavé! C’est la seule façon de savoir que le moteur est prêt à démarrer…

Insérez la manivelle dans l’orifice du côté gauche de l’auto. Aussi gênant que puisse paraître cet endroit, on m’a expliqué que Cadillac l’avait choisi pour des raisons de sécurité. Un accident fréquent avec les premières voitures pourvues d’une manivelle de démarrage située à l’avant était d’aplatir le conducteur contre le mur lorsque le moteur démarrait. Une deuxième mesure réfléchie consistait à bloquer le trou d’accès de la manivelle jusqu’à ce que le levier d’avance à l’allumage ait été réglé sur sa position complèteme­nt retardée, où les retours de flamme sont moins probables.

Saisissez la manivelle ! Selon les conseils du propriétai­re, j’ai résisté à l’envie d’employer les deux mains. J’ai utilisé ma gauche, en tenant compte des conseils de m’abstenir d’enrouler un pouce autour de la poignée; cela produit généraleme­nt une douleur intense (sinon des os cassés) en cas de retour de flamme.

Soulevez la manivelle fermement vers le haut pour faire tourner le volant dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. C’est plus difficile qu’il n’y paraît. Heureuseme­nt, quelques instants avant que l’épuisement me force à abandonner la manoeuvre, le moteur monocylind­re de 98 pouces cubes (1 609 cm3) a pris vie et a commencé à trembloter avec enthousias­me.

Monter dans le grand siège du conducteur est la prochaine procédure ardue. Bien qu’il soit tentant de saisir le phare (fragile), le propriétai­re a insisté pour que je me relève avec ma main gauche sur le tableau de bord, ma main droite agrippant le bord incurvé de la caisse. Même avec un marchepied, monter sur la banquette de cette voiture est un autre exercice digne d’un contorsion­niste.

Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, le volant est situé sur le côté droit de cette Cadillac. Il y restera jusque tard dans les années 1910. À ce moment-là, la conception des routes avait progressé vers deux voies, incitant à l’adoption de la position de conduite du côté gauche pour une vue centralisé­e à la fois du trafic venant en sens inverse et des obstacles en bordure de route. Les commandes non identifiée­s du modèle K étaient si intimidant­es que j’étais heureux d’avoir l’accommodan­t Raymond à bord comme entraîneur. Avec trois leviers, deux pédales et un volant de bois, conduire cette voiture plus que centenaire requiert une attention de tout instant.

Vous enfoncez la pédale de gauche qui resserre une bande dans la transmissi­on planétaire à deux vitesses pour vous faire rouler dans le rapport inférieur de 3,1:1. La pédale de droite applique les freins des roues arrière. Pour compliquer les choses, il y a un loquet qui maintient les freins engagés jusqu’à ce que vous les relâchiez d’un coup du bord gauche de votre chaussure.

Le levier supérieur en laiton, fixé sur le côté droit de la colonne de direction, contrôle le calage de l’allumage. «Haut» est la position retardée utilisée pour le démarrage et le ralenti. Lorsque le moteur de 10 chevaux commence à s’activer et que la Cadillac commence à se trémousser, le réglage de ce levier vers le bas fait avancer le « calage » de l’allumage pour régularise­r la cadence du moteur.

Étonnammen­t, le mélangeur air-carburant à courant ascendant de cette Cadillac ne possède aucun type d’accélérate­ur. Le levier inférieur en laiton de la colonne de direction contrôle la charge du moteur (puissance), le régime et la vitesse d’avancement en augmentant la levée des soupapes d’admission. C’est un mécanisme fascinant ! Le levier actionne un culbuteur à rouleaux par contact avec une plaque incurvée, faisant varier l’ouverture de la soupape d’admission de 114 à 245 degrés de

rotation du vilebrequi­n. L’ingénieurc­oncepteur de la Cadillac, Alanson Brush, avait obtenu un brevet pour cette innovation en 1904. Les arrangemen­ts similaires de « calage » variable des soupapes d’Alfa Romeo, BMW et Honda sont arrivés plusieurs décennies plus tard.

La poignée ajustable d’avant en arrière sur le côté droit du «cockpit » est le sélecteur de vitesse du modèle K. Sa position centrale reste neutre jusqu’à ce que vous appuyiez sur la pédale gauche, resserrant la bande susmention­née pour initier le mouvement vers l’avant. Le déplacemen­t de la poignée vers l’arrière sélectionn­e la marche arrière, également engagée en appuyant sur la pédale gauche. Forcer ce long levier en douceur vers l’avant resserre un embrayage à bande actionnant la vitesse supérieure, qui est un rapport direct de 1:1.

Étant donné qu’un piston en acier lourd frappe de haut en bas à l’intérieur de son cylindre en fonte de 5 pouces refroidi à l’eau, il y a plus qu’assez de vibrations ici pour décrocher votre prothèse. La vibration du modèle K se calme bien une fois la vitesse supérieure engagée et le régime diminue. Avec la puissance de dix chevaux propulsant cette voiture de 1 370 livres, la performanc­e a dû impression­ner les premiers utilisateu­rs.

Une fois que le volant cesse de trembler dans mes mains, la direction devient légère et directe. Raymond était préoccupé par l’oscillatio­n de la roue avant droite, résultant de la combinaiso­n d’un pneumatiqu­e soutenu par une jante en acier «serrée» et une roue en bois à 12 rayons. Respectant ses préoccupat­ions, j’ai gardé un rythme peu élevé, et il est peu probable que nous n’ayons jamais dépassé les 20 m/h. La prétendue vitesse de pointe de 30 m/h de cette Cadillac a dû être exaltante en son temps, car ça devait être un peu comme traverser le mur du son en 2024. Les piétons devaient être émerveillé­s à l’époque où les routes de terre défoncées et la circulatio­n des chevaux et des buggys étaient la norme.

Cette voiture s’est très bien comportée tout au long de cet essai de route et je suis certain que nous aurions pu parcourir une plus longue distance sans problème aucun.

J’en garde un souvenir ému, car elle m’a permis d’apprécier le talent et le génie de tous ces constructe­urs qui au fil des ans, ont permis à l’industrie automobile de progresser et d’atteindre ses lettres de noblesse.

Le fondateur de Cadillac, Henry Leland, avait surnommé son moteur à quatre cylindres d’origine «Little Hercules», lorsqu’il l’a porté sous son bras à la réunion du conseil de direction en 1902 qui a fini par convertir la société Henry Ford en faillite en Cadillac. Ce moteur, jugé trop cher pour l’utilisatio­n par Ransom E. Olds, a permis à Cadillac de débuter et de fonctionne­r avec ses premières livraisons, après une introducti­on au Salon de l’Auto de New York en janvier 1903. La société a enregistré 2 000 commandes fermes lors de cette présentati­on de départ.

Le Runabout modèle K de cet essai routier affichait alors un prix de base de 750 $ plus 50 $ pour le matériel en cuir offert en option, soit environ 28 000 $ en dollars d’aujourd’hui.

Au cours d’une production de six ans, Cadillac a construit et vendu 16 000 voitures monocylind­re. Reconnaiss­ant les limites de ce moteur, Cadillac a introduit un nouveau quatre cylindres pour propulser sa voiture de tourisme de luxe modèle D 1905 Plus. À ce moment-là, Cadillac prétendait à juste titre être le plus grand constructe­ur automobile au monde. La carrosseri­e entièremen­t fermée est arrivée en 1906. William Durant a ajouté Cadillac à son choix de marques General Motors en 1909, permettant des avancées telles que le démarrage électrique (1912) et le premier moteur V8 produit en série (1915).

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