Les Affaires Plus

L’ART DE TENIR UN BUDGET

Une entreprise sans budget ni tenue de livres est vulnérable. C’est la même chose pour une famille

- PAR SOPHIE STIVAL

es grands-tantes italiennes remplissai­ent toujours mon assiette à ras bord lorsque j’allais leur rendre visite. Elles me disaient que j’étais jeune et en pleine croissance. Après avoir terminé ce repas copieux, elles me récompensa­ient en m’offrant une grosse pâtisserie. J’ai donc appris à vider mon assiette. »

Cette anecdote d’enfance que me raconte le planificat­eur financier François Morency illustre bien la façon dont nous gérons nos finances au jour le jour. « J’apprends à vider mon compte de banque. Si j’ai un travail, quelqu’un viendra faire le plein toutes les deux semaines en y déposant mon salaire. Je vis en fonction de ce qui entre dans le compte courant et je dépense sans compter. J’en ai juste assez pour vivre, et je ne connais pas l’abondance qu’apporte une plus grande marge de manoeuvre. »

Selon Lisanne Blanchette, avocate et conseillèr­e budgétaire chez Option consommate­urs, les familles budgètent dans leur tête et d’une paie à l’autre. « On a une vision très à court terme, constate François Morency. Je reçois une facture, je la paie. Je magasine et je vois une aubaine, je l’achète. Je me promène dans le noir et j’espère que je ne rencontrer­ai aucun obstacle. »

Le budget, c’est la lampe de poche qui éclaire le chemin. « En l’allumant, on peut alors contourner ces obstacles et aller où l’on veut », explique François Morency. Pour Lisanne Blanchette, le budget permet une prise de conscience. Et il faut distinguer l’ignorance de la volonté de ne pas savoir. Plusieurs font l’autruche parce qu’ils ne veulent pas voir les faits et modifier leur train de vie. « On sous-estime souvent la liberté que peut nous apporter le budget », dit-elle.

Des objectifs et un plan

Pour concocter un budget, deux ingrédient­s sont essentiels : des objectifs et un plan d’action. On divise les objectifs en projets à court, moyen et long terme. Le voyage à Disneyland, par exemple, se situe dans un échéancier assez court. L’achat d’une maison et l’épargne-retraite s’inscriront dans les deux suivants.

On peut bien rêver de faire le tour du monde ou d’être millionnai­re à la retraite, mais sans plan d’action, ce ne sont que des paroles en l’air. En définissan­t ses besoins et ses aspiration­s, en les traduisant en objectifs clairs, on peut établir leur réalisme, et surtout, décider des stratégies à adopter pour les accomplir.

Il faut également comprendre que tous ces projets seront financés par notre épargne, me disent les experts consultés. Et celle-ci dépend directemen­t du revenu que l’on peut dégager après avoir payé toutes nos dépenses fixes et variables. Notre principale source de revenus est généraleme­nt notre salaire et nos gains de placements, s’il y a.

« Quand on a de la difficulté à épargner, il faut apprendre à se payer d’abord », martèle Josée Jeffrey, fiscaliste et planificat­rice financière pour son propre cabinet Focus Retraite et Fiscalité. Ensuite, on décidera s’il vaut mieux mettre de l’argent de côté dans le REER ou dans le CELI. Les prélève-

ments automatisé­s sont le meilleur moyen d’y parvenir. Dès que la paie est déposée dans le compte courant, on alloue des sommes en fonction des objectifs et de leur horizon.

« Tout projet, toute grosse dépense peuvent devenir une motivation à budgéter », croit Lisanne Blanchette. Cela peut être un changement d’emploi, mais également un mariage, un projet de rénovation, le traitement d’orthodonti­e des enfants, le remboursem­ent des dettes ou encore la retraite. « Avant tout autre projet, on rembourse les soldes impayés de nos cartes de crédit », rappelle-t-elle.

« En faisant l’effort de compiler nos dépenses variables pendant un mois, idéalement pendant trois mois, on peut déjà avoir une vue d’ensemble de notre situation financière », affirme Lisanne Blanchette. Cela comprend l’épicerie, les vêtements, les restaurant­s, les loisirs, la pharmacie, le coiffeur, le dentiste. On ajoute à cela les dépenses fixes comme le logement, le téléphone, le chauffage, le transport, les médicament­s, l’assurance et les taxes municipale­s. « L’exercice permet une prise de conscience qui change assez vite nos habitudes quotidienn­es. On regarde de plus près les prix à l’épicerie. On voit vraiment tout ce qu’on dépense à la pharmacie, chez le dépanneur ou même chez Tim Horton », constate-t-elle.

Quand il faut sabrer, ce sont les dépenses variables qui sont d’abord passées en revue. « Pour que cela fasse moins mal, je suggère souvent de réduire les dépenses un peu partout plutôt que de comprimer un ou deux postes du budget de façon draconienn­e. Cela nous semblera moins strict », dit-elle. On peut aussi étaler les paiements des dépenses les plus importante­s à l’aide de programmes de paiements mensuels. La plupart des compagnies d’assurance le permettent. Même chose pour la facture d’immatricul­ation ou d’électricit­é.

Idéalement, les ménages auront également un fonds de roulement qui couvre tous les imprévus tels que l’entre- tien de la maison, de la voiture, la facture de l’optométris­te, etc. On évite ainsi d’utiliser ses cartes de crédit, sa marge de crédit, ou même de piger dans ses REER. Ce montant sera très variable d’une famille à l’autre. « L’important, c’est de renflouer le compte dès qu’il diminue », ajoute la conseillèr­e budgétaire.

Question de valeurs

« Le budget met en lumière certaines valeurs importante­s dans les ménages », constate François Morency. Monsieur s’achète beaucoup de musique toutes les semaines, cela lui coûte une soixantain­e de dollars par mois et il en retire beaucoup de satisfacti­on. Madame dépense une somme rondelette à la pharmacie dans la section cosmétique, elle se sent ainsi plus en confiance et mieux dans sa peau.

Plutôt que de ruminer chacun de leur côté les dépenses jugées excessives, il faut en parler. On pourra alors mettre de l’eau dans son vin en se fixant un objectif. « En s’imposant des contrainte­s, on risque de mieux consommer. Je télécharge­rai les chansons que j’aime vraiment sans payer pour celles qui me plaisent moins », illustre François Morency.

Si les revenus des conjoints sont inégaux, Josée Jeffrey et Lisanne Blanchette suggèrent un partage proportion­nel des dépenses. « C’est une question d’équité, surtout lors d’une séparation ou même pour la retraite » , précise Lisanne Blanchette. Josée Jeffrey ajoute qu’on pourra aussi économiser sur l’imposition des revenus de placement du ménage. « On recommande de faire payer les dépenses par le conjoint qui gagne le plus, afin de permettre à l’autre d’augmenter son épargne et ainsi de fractionne­r les revenus de placement », note-t-elle.

En comprenant nos comporteme­nts de consommati­on, en sachant où va notre argent, on peut changer les choses et se projeter dans l’avenir. Nos rêves deviennent réalité.

+

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada