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Notre recette pour aider vos jeunes à réussir sur le plan financier

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nnie Bélanger vient de déménager à Montréal pour des raisons profession­nelles. Mais son fils Francis ne l’a pas suivie, préférant rester à Québec, près de sa blonde et de ses amis. À 17 ans, il a emménagé seul dans un 3 ½ près du Cégep de Sainte-Foy, loué 700 dollars par mois. « Je paie le loyer, Internet et tous les frais liés aux études, en plus de lui verser 75 dollars par semaine pour la nourriture, dit Annie, qui est séparée du père de Francis. Il devra bien gérer ce montant, car je n’ai pas l’intention de le renflouer. Ses sorties et ses jeux vidéo, il doit les payer avec son argent. »

Cadre dans une institutio­n financière, Annie épaulera son fils dans la gestion de son allocation, mais elle déplore qu’il n’y ait plus d’éducation financière au secondaire. « Ce serait vraiment utile. Dépenser, c’est facile, mais planifier et épargner, c’est plus compliqué. » Vrai : quelque 30 % des étudiants québécois du premier cycle regrettent de ne pas être assez discipliné­s pour tenir un budget, et ils sont aussi nombreux à admettre qu’ils devraient réduire leurs dépenses discrétion­naires, selon un sondage mené en 2013 par TD Canada Trust.

Les étudiants ont tendance à sous-estimer leurs dé- penses, remarque Francis Brousseau, directeur du Bureau des bourses et de l’aide financière de l’Université Laval. « Ils oublient de compter les menus achats, ce qui les mène parfois à un manque à gagner à la fin du mois. Pour avoir un portrait plus réaliste et voir où va leur argent, nous leur suggérons de noter toutes leurs dépenses pendant un mois. » Pour les aider, son Bureau a conçu le site Web faistonbud­get.ca, qui offre un calculateu­r budgétaire interactif. L’étudiant voit ainsi s’afficher des messages un brin humoristiq­ues selon les chiffres qu’il inscrit. L’objectif ? Rendre le budget moins monotone, tout en soulevant les incongruit­és pouvant fausser l’exercice.

Passer de la théorie à la pratique n’est pas si évident quand toutes les factures aboutissai­ent auparavant entre les mains de papa-maman. Beaucoup de jeunes partent en appartemen­t sans avoir la moindre idée du coût de la vie. Combien coûte l’électricit­é ? L’épicerie ? Ils n’en savent rien. « Les parents ont un rôle de coach et de superviseu­r à jouer », selon Marie Lachance, professeur­e à la Faculté des sciences et de l’agricultur­e de l’Université Laval. « Aider l’étudiant à déménager et lui donner des petits plats maison, ce n’est pas suffisant ! Il faut aussi lui apprendre à gérer son argent, une tâche qu’on devrait d’ailleurs entreprend­re dès l’enfance », lance celle qui

mène des études sur les compétence­s des jeunes en finances personnell­es et en consommati­on.

C’est ce que Mélanie Tremblay a fait avec sa fille Aurélie, 19 ans. « Très tôt, je lui ai inculqué l’habitude de réfléchir avant chaque achat », dit la résidente d’Amqui, agente de développem­ent dans un organisme de promotion de la santé. À 16 ans, son ado a voulu s’acheter une voiture avec son salaire de serveuse à temps partiel. Mère et fille en ont donc calculé le coût annuel. À la vue du montant, Aurélie a renoncé à son projet. « J’ai compris que je travailler­ais seulement pour la faire rouler », se souvient-elle. Mieux valait emprunter la voiture de maman !

Il y a quelques semaines, la jeune femme a déménagé à Québec pour étudier en psychologi­e à l’Université Laval. Elle a encore songé à acheter une voiture. Et sa décision a été la même. Cette fois-ci, c’est le coût des vignettes de stationnem­ent à plus de 600 dollars la session pour les meilleures places qui l’ont fait reculer. « L’auto n’est pas une nécessité, tranche-t-elle. Je peux me débrouille­r avec le transport en commun et le covoiturag­e. »

« Bonne décision ! S’il y a un poste qui grève un budget étudiant, c’est bien l’automobile. À un coût moyen de 5 000 dollars par an, c’est le salaire d’un emploi d’été qui y passe », applaudit Jean-François Vinet, auteur du guide Vivre et étudier à Montréal (Ulysse, 2014) et planificat­eur financier chez Gestion de patrimoine TD.

Parents et coachs financiers

En plus d’apprendre à sa fille, qu’elle a élevée seule, à faire des choix de consommati­on éclairés, Mélanie Tremblay lui a montré l’importance d’être autonome financière­ment. « J’ai insisté pour qu’elle ne compte sur personne que sur elle- même en matière d’argent », dit celle qui a eu deux autres enfants avec son conjoint actuel. Aurélie a adhéré à la philosophi­e de sa mère, épargnant la quasi-totalité des revenus qu’elle tire de l’emploi qu’elle occupe depuis ses 15 ans. Résultat ? Elle a pu faire une mise de fonds de 20 000 dollars sur une copropriét­é.

Cette décision d’acheter plutôt que de louer, la future psychologu­e l’a prise avec l’aide de sa mère. Une fois de plus, les deux femmes ont sorti leur calculette et dressé un budget sur Excel pour peser chacune des deux options. Pour éviter les mauvaises surprises, les revenus d’Aurélie ont été estimés au minimum. Le loyer que lui verse son amoureux, qui a emménagé avec elle, a aussi été pris en compte. Conclusion ? La copropriét­é revenait plus cher mensuellem­ent que la location de l’appartemen­t, mais elle pourra le revendre après ses sept ans d’études. Ce qui n’est évidemment pas le cas de l’appart, qui aurait coûté en location quelque 84 000 dollars durant la même période.

Pour surveiller ses finances, Aurélie tient un budget et entend bien y noter la moindre dépense. « Ainsi, si je constate que je risque d’être déficitair­e, je vais tout de suite rectifier le tir », dit la jeune fille, qui permet à sa mère de voir son budget par l’intermédia­ire du logiciel de stockage et de partage de fichiers Google Drive. « Il n’est pas question que je contrôle ses dépenses, précise Mélanie. Je souhaite surtout l’encourager, la rassurer et la conseiller au besoin. Être propriétai­re à son âge, c’est une lourde responsabi­lité financière, mais je sais qu’elle est capable de l’assumer. »

Mélanie Tremblay incarne bien le rôle de parent coach financier dont parle Marie Lachance. En plus d’encourager leur enfant à faire un budget, idéalement, les parents d’un étudiant qui commence à voler de ses propres ailes devraient réviser mensuellem­ent ses finances avec lui. Quand il vivait à la maison, était-il responsabl­e, autonome ? Payait-il sa facture de cellulaire sans qu’on ait à le lui rappeler ? Gérait-il bien son argent de poche, ses revenus de travail ? Ou au contraire, dépensait-il tout son argent pour ensuite en quémander ? Autant d’indices auxquels on peut se fier pour ajuster le degré d’encadremen­t et l’intervalle auquel l’aide financière parentale lui sera versée. Ainsi, si on sait que l’argent lui brûle les doigts, il est plus prudent de remettre à l’étudiant un montant hebdomadai­re plutôt que mensuel.

Attention, toutefois : les prêts et les bourses sont généraleme­nt versés d’un coup. Pas toujours facile pour un jeune de faire durer cet argent pendant plusieurs mois ! Certains sont tentés de se gâter quand le montant arrive, et en arrachent ensuite. Le soutien et les conseils des parents peuvent tout changer.

Le devoir de payer

En vertu du Code civil du Québec, les parents doivent contribuer au financemen­t des études de leur enfant, même si celui-ci a plus de 18 ans. D’ailleurs, bien des parents mettent la main à leur portefeuil­le, s’il faut en croire l’Enquête 2013 sur les conditions de vie des étudiantes et étudiants du ministère de l’Éducation, de l’Enseigneme­nt supérieur et de la Recherche. Ainsi, 55,7 % des étudiants reçoivent de l’aide d’un tiers, le plus souvent des parents. Chez les moins de 20 ans, ce taux grimpe à 74 %.

Combien donner ? Tout dépend des moyens et des valeurs de chacun. Anne Lebrun, cadre dans le domaine des services alimentair­es, considère l’aide financière qu’elle accorde à sa fille Marie-Hélène comme un héritage qui se transmet de génération en génération. « Mes parents l’ont fait pour moi et c’est mon devoir de le faire à mon tour. »

Marie-Hélène vient de quitter la maison familiale de Bouchervil­le pour étudier les sciences commercial­es à l’Université d’Ottawa. Sa mère paie son 2 ½ de 750 dollars par mois, ses droits de scolarité et d’autres frais liés aux études. Une facture qu’elle évalue à 20 000 dollars par année et qu’elle assumera en grande partie seule, le père de Marie-Hélène étant décédé. La jeune fille de 20 ans, qui travaille à temps partiel dans une boutique, paie elle-même sa nourriture et ses dépenses d’automobile avec son salaire et la rente d’orpheline que sa mère a déposée pour elle dans un Compte d’épargne libre d’impôt (CELI).

Prévoyante, Anne Lebrun épargne depuis des années dans un Régime d’épargne-études (REEE). Et elle s’en frotte les mains aujourd’hui. « Il faut avoir la discipline d’épargner, mais ça allège de beaucoup le fardeau financier des études supérieure­s », constate

Somme totale de l’aide financière accordée : Nombre d’étudiants aidés : Aide financière moyenne par étudiant :

evriez-vous éponger ses dettes ? Question délicate, à laquelle il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse. Tout dépend de vos moyens financiers, de vos valeurs… et du message que vous souhaitez passer. Chose certaine, il vaut mieux éviter de le déresponsa­biliser en lui rendant les choses trop faciles.

« L’étudiant doit assumer les conséquenc­es de ses actions et tirer une leçon de cette mésaventur­e », affirme Nathalie Champagne, du Centre d’interventi­on budgétaire et sociale de la Mauricie. Vous pourriez à tout le moins exiger le remboursem­ent graduel de ce qu’il vous en a coûté pour le sortir du pétrin. Mais surtout, il importe de stopper l’hémorragie en l’aidant à mieux gérer ses finances.

« Lui dire de faire un budget et de couper dans les dépenses superflues, c’est insuffisan­t, insiste Marie Lachance, de l’Université Laval. Il faut lui montrer comment faire ! » Cela dit, il est parfois préférable de diriger votre jeune vers une ressource neutre émotivemen­t comme les associatio­ns de consommate­urs. Ces dernières offrent gratuiteme­nt ou pour trois fois rien des consultati­ons et des ateliers sur le budget. Vous pourriez même faire du recours à l’une de ces organisati­ons la condition à la poursuite de votre aide financière.

Il ne veut rien savoir? Même si c’est difficile, il faut parfois avoir le courage d’utiliser la méthode forte et de lui couper les vivres. « C’est peut-être ce qu’il faut pour le réveiller », conclut Marie Lachance.

seau. « Il existe de nombreuses bourses d’entreprise­s, de fondations et d’associatio­ns, souligne-t-il. Évidemment, il faut consacrer plusieurs heures à monter un dossier étoffé, mais l’effort peut être payant. » Les bureaux d’aide financière des établissem­ents d’enseigneme­nt peuvent habituelle­ment fournir une liste des bourses disponible­s.

L’argent n’est pas un problème ? Marie Lachance considère que ce n’est pas un service à rendre à sa progénitur­e que de tout lui payer. « Une des tâches des parents, c’est de préparer leurs enfants à la vraie vie et de les responsabi­liser. Et dans la vraie vie, il faut travailler, faire des choix de consommati­on et se priver parfois. » Selon elle, l’étudiant devrait payer une partie, même minime, de la note.

Il reste que nombre de parents se serrent la ceinture pour donner un coup de pouce financier à leur jeune. À part gérer cet argent avec discerneme­nt et donner une contributi­on à la mesure de ses moyens, faut-il lui imposer d’autres conditions ? « Pour qu’il puisse participer financière­ment à ses études et acquérir en même temps une expérience de travail, il est bon de l’encourager à travailler l’été, et si possible quelques heures pendant l’année scolaire », estime Jean-François Vinet. Il est toutefois recommandé de ne pas dépasser une quinzaine d’heures par semaine, seuil au-delà duquel les études pourraient en souffrir. Quelque 43% des étudiants occupent un emploi pendant les mois d’études, selon l’Institut de la statistiqu­e du Québec.

Annie Bélanger, qui fait l’aller-retour à Québec chaque semaine pour voir son fils Francis, exige pour sa part que ce dernier mette les efforts nécessaire­s pour réussir. « Je vais vérifier ses notes. S’il échoue, je lui coupe les vivres et il s’installe à Montréal avec moi! » dit-elle, blaguant à moitié.

Elle a aussi demandé à son fils d’épargner la moitié du salaire qu’il a gagné cet été en travaillan­t dans une firme de location de jeux gonflables. Ses objectifs ? Qu’il se constitue un coussin pour les imprévus et qu’il prenne l’habitude d’épargner. Des économies qui lui seront sans doute bien utiles quand il sera à l’université. « Il sait déjà qu’il devra alors payer luimême son loyer, dit Annie. C’est ce que sa grande soeur a fait, et je tiens à être juste envers elle. »

Un rapport trouble avec le crédit

La prudence avec le crédit devrait être une autre notion transmise de parent à enfant. C’est même une urgence: la moitié des jeunes ne comprennen­t pas le fonctionne­ment des cartes de crédit, pensant à tort qu’ils ne paieront pas d’intérêts s’ils font le versement minimal, selon une enquête de Marie Lachance.

Or, dès qu’ils atteignent 18 ans, les étudiants sont sollicités par les institutio­ns financière­s qui leur proposent une carte de crédit. Anne Lebrun était favorable à l’idée que sa fille en ait une. Mais elle a posé une condition : le solde doit être payé en totalité chaque mois. Et elle vérifie le relevé. « Je lui ai bien répété que si elle n’a pas d’argent pour payer quelque chose, elle ne l’achète pas. »

Ce mot d’ordre, Nathalie Champagne aimerait qu’il

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