CONFIERIEZ-VOUS VOTRE ARGENT À UN ROBOT ?
Les blogueurs financiers en parlent depuis un certain temps déjà. Mais cette fois, c’est vrai : les robots-conseillers ont fait leur entrée dans le marché canadien, et ils sont solidement implantés. Leur confieriez-vous votre argent ?
«C’est en découvrant le montant des frais de gestion que je payais dans une banque traditionnelle que j’ai commencé à chercher une solution de rechange pour placer mon argent », confie Joshua Colp, 28 ans, un développeur informatique de Moncton.
Comme bien des jeunes adultes, Joshua Colp s’est tourné vers le Web pour résoudre son problème : « J’ai lu un article flatteur à propos de Wealthsimple et de leurs robots-conseillers. J’ai décidé d’ouvrir un compte ».
Start-up de Toronto qui vient tout juste de lancer ses activités, Wealthsimple est un des premiers acteurs canadiens à proposer une formule de robot-conseiller pour gérer ses placements financiers.
Il faut dire que le phénomène est encore nouveau au Canada. Joshua Colp peut en témoigner: il est le premier de son entourage à utiliser de tels services. Qui plus est, le sujet ne semble pas encore s’être ébruité au-delà des cercles de la finance et des technos.
Autrement dit, on est loin de la ruée que ces outils ont suscitée aux États-Unis. « Difficile de passer à côté, s’exclame au bout du fil Tricia Rothschild, conseillère principale chez Morningstar. Ici, à Chicago, tous les taxis de la ville font de la publicité pour une des grandes firmes de robot-conseil ! »
Parmi les entreprises les plus en vue, on trouve de grands noms comme Charles Schwab et The Vanguard Group, mais aussi de jeunes entreprises comme Betterment, FutureAdvisor ou Wealthfront. Et elles ont des milliards de dollars d’actif sous gestion automatisée, la plupart du temps sous forme de fonds négociés en Bourse (FNB).
Au Canada, l’avancée est plus timide. Mais on remarque que les joueurs placent leurs pions. Au printemps, la Financière Power, qui détient notamment Groupe Investors, a investi 30 millions de dollars dans Wealthsimple. Et le groupe médiatique Metroland, 1,5 million de dollars dans Nest Wealth. ShareOwner et Invisor se battent également pour se tailler une place. Quant à Gestion de patrimoine Assante, elle dit « surveiller ce qui se passe de très près ».
Au Québec, les services sont plus rares. Et on ne trouve rien encore en français. WealthBar, un robot-conseiller installé à Vancouver, offre actuellement ses services au Québec et s’est donné pour objectif de traduire sa plateforme en français d’ici la fin de l’année.
Lentement mais sûrement, l’offre prend forme tant au Québec que dans le reste du Canada. Mais que sont au juste les robots-conseillers ? Quels sont leurs avantages, leurs risques? À qui s’adressent-ils ? Et surtout, quel sera leur impact sur le secteur financier ?
Portrait du robot-conseiller
À la base, il s’agit d’automatiser la gestion et le rééquilibrage d’un portefeuille au moyen d’un algorithme sophistiqué pour le faire correspondre au profil de risque choisi par le client. Par la suite, le client consultera son portefeuille avec une application Web, afin de réduire au minimum les interventions d’un conseiller.
Forcément, cela a pour conséquence de réduire les frais de gestion. Aux États-Unis, une firme comme Charles Schwab peut ainsi se per- mettre d’offrir des placements sans frais de gestion. Au Canada, Wealthsimple a abaissé les siens jusqu’à 0,6% et 0,25 %, selon la somme investie (des frais qui normalement dépassent les 2 %).
Ces portefeuilles sont pour la plupart composés de FNB et ont une approche passive établie sur le long terme. Il y a toutefois des exceptions : la firme Invisor propose pour sa part un portefeuille de fonds communs de série F, moyennant des frais de gestion qui varient entre 0,2 et 0,3%.
Assante considère également cette option : « Le fonds commun est un outil bien structuré pour cette tâche-là, suggère Éric Lauzon, viceprésident, région de l’Est-du-Canada chez Assante. Il nécessite peu d’intervention humaine. On ne rééquilibre pas ce type de portefeuille tous les jours. »
Quant à savoir si le robot- conseiller vaut mieux que le conseiller, difficile de trancher: il faut savoir que de nombreux conseillers utilisent déjà des logiciels pour l’analyse du risque et le rééquilibrage du portefeuille. Et qu’au
« Nous voulons rejoindre une clientèle qui n’a pas un grand besoin de conseil financier, mais qui souhaite un meilleur rendement que ce que les grandes institutions peuvent lui offrir. » – David Nugent, gestionnaire de portefeuille chez Wealthsimple
Les robots-conseillers sont la dernière manifestation de la longue évolution technologique qui a transformé le secteur bancaire depuis une vingtaine d’années.
Entre autres, le guichet automatique, les services bancaires en ligne, le courtage en ligne, et maintenant, les services-conseils de placement en ligne.
Accueillis au départ avec appréhension, la plupart de ces changements ont en fin de compte donné aux consommateurs plus de liberté et d’autonomie, avec quelques économies au passage. final, la stratégie reste la même : suivre les indices boursiers.
L’être humain a encore sa place
Fait rassurant : les clients canadiens pourront encore parler à des êtres humains, et ce, même s’ils optent pour un robot-conseiller. En effet, la loi oblige les firmes canadiennes à attitrer un conseiller « humain » à chaque client.
David Nugent, gestionnaire de portefeuille chez Wealthsimple, reconnaît toute l’importance d’un conseiller, et ce, malgré le modèle d’affaires de son entreprise : « Je crois qu’un conseiller est d’une grande valeur dans certaines circonstances. Cependant, tout le monde n’a pas besoin d’un conseiller à temps plein… »
Éric Lauzon renchérit sur le rôle du conseiller : « Il restera toujours essentiel dans certains cas très précis : la période des REER, par exemple, lorsqu’on obtient une rentrée d’argent importante, pour établir une stratégie fiscale ou encore pour gérer un héritage ».
Éventuellement, les robots-conseillers permettront peut-être de séparer les frais de gestion des frais de planification. Autrement, le conseiller utilisera un robot-conseiller afin de diminuer ses frais de gestion au minimum.
Peut-on en conclure que les nouvelles sont bonnes pour les investisseurs ? « L’arrivée des robots-conseillers a certainement un effet bénéfique, pense la conseillère Tricia Rothschild. Ça permet à un plus grand nombre d’individus d’avoir plus d’options pour investir et épargner. »
« Je crains cependant que les gens ne prennent pas le temps de bien comprendre ce genre de produits automatisés, axés sur les FNB… Quand le marché descendra, plusieurs seront tentés de retirer leur argent, alors que c’est le meilleur moment pour investir » , ajoute-t-elle.
La chute boursière survenue à la fin de l’été constituait d’ailleurs un bon test pour les robots- conseillers. Chez Wealthsimple, on assure ne pas avoir été submergé d’appels de panique. « Au contraire ! lance David Nugent. J’ai reçu plusieurs courriels de gens qui voulaient savoir s’ils devaient investir davantage, pour profiter du rebond… Nos clients comprennent qu’on propose une approche à long terme. »
Joshua Colp, qui utilise Wealthsimple depuis deux mois, fait partie de cette catégorie : « Ce jour-là, j’étais loin de paniquer. Je regrettais surtout de ne pas avoir plus d’argent à placer! »
À qui s’adresse ce service ?
Ce n’est un secret pour personne: ce nouveau service financier vise d’abord et avant tout les Millennials, qui ont de 25 à 35 ans. La génération Y, comme on l’appelle aussi, adepte du do-it-yourself et très à l’aise avec les technos.
Il s’agit d’une bonne corrélation. Cette tranche d’âge a peu recours aux services d’un conseiller (16% des jeunes adultes américains seulement utilisent les services d’un conseiller financier, selon un sondage de Wells Fargo). Et les conseillers ne convoitent pas cette clientèle non plus (30 % d’entre eux seulement cherchent activement à les rejoindre, selon le même sondage).
Joshua Colp, quant à lui, ne voit carrément pas l’utilité d’un conseiller : « Les banques traditionnelles et les institutions de placement servent surtout à ceux qui ont besoin de sentir qu’on veille sur eux… »