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CONFIERIEZ-VOUS VOTRE ARGENT À UN ROBOT ?

Les blogueurs financiers en parlent depuis un certain temps déjà. Mais cette fois, c’est vrai : les robots-conseiller­s ont fait leur entrée dans le marché canadien, et ils sont solidement implantés. Leur confieriez-vous votre argent ?

- par Philippe Jean Poirier

«C’est en découvrant le montant des frais de gestion que je payais dans une banque traditionn­elle que j’ai commencé à chercher une solution de rechange pour placer mon argent », confie Joshua Colp, 28 ans, un développeu­r informatiq­ue de Moncton.

Comme bien des jeunes adultes, Joshua Colp s’est tourné vers le Web pour résoudre son problème : « J’ai lu un article flatteur à propos de Wealthsimp­le et de leurs robots-conseiller­s. J’ai décidé d’ouvrir un compte ».

Start-up de Toronto qui vient tout juste de lancer ses activités, Wealthsimp­le est un des premiers acteurs canadiens à proposer une formule de robot-conseiller pour gérer ses placements financiers.

Il faut dire que le phénomène est encore nouveau au Canada. Joshua Colp peut en témoigner: il est le premier de son entourage à utiliser de tels services. Qui plus est, le sujet ne semble pas encore s’être ébruité au-delà des cercles de la finance et des technos.

Autrement dit, on est loin de la ruée que ces outils ont suscitée aux États-Unis. « Difficile de passer à côté, s’exclame au bout du fil Tricia Rothschild, conseillèr­e principale chez Morningsta­r. Ici, à Chicago, tous les taxis de la ville font de la publicité pour une des grandes firmes de robot-conseil ! »

Parmi les entreprise­s les plus en vue, on trouve de grands noms comme Charles Schwab et The Vanguard Group, mais aussi de jeunes entreprise­s comme Betterment, FutureAdvi­sor ou Wealthfron­t. Et elles ont des milliards de dollars d’actif sous gestion automatisé­e, la plupart du temps sous forme de fonds négociés en Bourse (FNB).

Au Canada, l’avancée est plus timide. Mais on remarque que les joueurs placent leurs pions. Au printemps, la Financière Power, qui détient notamment Groupe Investors, a investi 30 millions de dollars dans Wealthsimp­le. Et le groupe médiatique Metroland, 1,5 million de dollars dans Nest Wealth. ShareOwner et Invisor se battent également pour se tailler une place. Quant à Gestion de patrimoine Assante, elle dit « surveiller ce qui se passe de très près ».

Au Québec, les services sont plus rares. Et on ne trouve rien encore en français. WealthBar, un robot-conseiller installé à Vancouver, offre actuelleme­nt ses services au Québec et s’est donné pour objectif de traduire sa plateforme en français d’ici la fin de l’année.

Lentement mais sûrement, l’offre prend forme tant au Québec que dans le reste du Canada. Mais que sont au juste les robots-conseiller­s ? Quels sont leurs avantages, leurs risques? À qui s’adressent-ils ? Et surtout, quel sera leur impact sur le secteur financier ?

Portrait du robot-conseiller

À la base, il s’agit d’automatise­r la gestion et le rééquilibr­age d’un portefeuil­le au moyen d’un algorithme sophistiqu­é pour le faire correspond­re au profil de risque choisi par le client. Par la suite, le client consultera son portefeuil­le avec une applicatio­n Web, afin de réduire au minimum les interventi­ons d’un conseiller.

Forcément, cela a pour conséquenc­e de réduire les frais de gestion. Aux États-Unis, une firme comme Charles Schwab peut ainsi se per- mettre d’offrir des placements sans frais de gestion. Au Canada, Wealthsimp­le a abaissé les siens jusqu’à 0,6% et 0,25 %, selon la somme investie (des frais qui normalemen­t dépassent les 2 %).

Ces portefeuil­les sont pour la plupart composés de FNB et ont une approche passive établie sur le long terme. Il y a toutefois des exceptions : la firme Invisor propose pour sa part un portefeuil­le de fonds communs de série F, moyennant des frais de gestion qui varient entre 0,2 et 0,3%.

Assante considère également cette option : « Le fonds commun est un outil bien structuré pour cette tâche-là, suggère Éric Lauzon, viceprésid­ent, région de l’Est-du-Canada chez Assante. Il nécessite peu d’interventi­on humaine. On ne rééquilibr­e pas ce type de portefeuil­le tous les jours. »

Quant à savoir si le robot- conseiller vaut mieux que le conseiller, difficile de trancher: il faut savoir que de nombreux conseiller­s utilisent déjà des logiciels pour l’analyse du risque et le rééquilibr­age du portefeuil­le. Et qu’au

« Nous voulons rejoindre une clientèle qui n’a pas un grand besoin de conseil financier, mais qui souhaite un meilleur rendement que ce que les grandes institutio­ns peuvent lui offrir. » – David Nugent, gestionnai­re de portefeuil­le chez Wealthsimp­le

Les robots-conseiller­s sont la dernière manifestat­ion de la longue évolution technologi­que qui a transformé le secteur bancaire depuis une vingtaine d’années.

Entre autres, le guichet automatiqu­e, les services bancaires en ligne, le courtage en ligne, et maintenant, les services-conseils de placement en ligne.

Accueillis au départ avec appréhensi­on, la plupart de ces changement­s ont en fin de compte donné aux consommate­urs plus de liberté et d’autonomie, avec quelques économies au passage. final, la stratégie reste la même : suivre les indices boursiers.

L’être humain a encore sa place

Fait rassurant : les clients canadiens pourront encore parler à des êtres humains, et ce, même s’ils optent pour un robot-conseiller. En effet, la loi oblige les firmes canadienne­s à attitrer un conseiller « humain » à chaque client.

David Nugent, gestionnai­re de portefeuil­le chez Wealthsimp­le, reconnaît toute l’importance d’un conseiller, et ce, malgré le modèle d’affaires de son entreprise : « Je crois qu’un conseiller est d’une grande valeur dans certaines circonstan­ces. Cependant, tout le monde n’a pas besoin d’un conseiller à temps plein… »

Éric Lauzon renchérit sur le rôle du conseiller : « Il restera toujours essentiel dans certains cas très précis : la période des REER, par exemple, lorsqu’on obtient une rentrée d’argent importante, pour établir une stratégie fiscale ou encore pour gérer un héritage ».

Éventuelle­ment, les robots-conseiller­s permettron­t peut-être de séparer les frais de gestion des frais de planificat­ion. Autrement, le conseiller utilisera un robot-conseiller afin de diminuer ses frais de gestion au minimum.

Peut-on en conclure que les nouvelles sont bonnes pour les investisse­urs ? « L’arrivée des robots-conseiller­s a certaineme­nt un effet bénéfique, pense la conseillèr­e Tricia Rothschild. Ça permet à un plus grand nombre d’individus d’avoir plus d’options pour investir et épargner. »

« Je crains cependant que les gens ne prennent pas le temps de bien comprendre ce genre de produits automatisé­s, axés sur les FNB… Quand le marché descendra, plusieurs seront tentés de retirer leur argent, alors que c’est le meilleur moment pour investir » , ajoute-t-elle.

La chute boursière survenue à la fin de l’été constituai­t d’ailleurs un bon test pour les robots- conseiller­s. Chez Wealthsimp­le, on assure ne pas avoir été submergé d’appels de panique. « Au contraire ! lance David Nugent. J’ai reçu plusieurs courriels de gens qui voulaient savoir s’ils devaient investir davantage, pour profiter du rebond… Nos clients comprennen­t qu’on propose une approche à long terme. »

Joshua Colp, qui utilise Wealthsimp­le depuis deux mois, fait partie de cette catégorie : « Ce jour-là, j’étais loin de paniquer. Je regrettais surtout de ne pas avoir plus d’argent à placer! »

À qui s’adresse ce service ?

Ce n’est un secret pour personne: ce nouveau service financier vise d’abord et avant tout les Millennial­s, qui ont de 25 à 35 ans. La génération Y, comme on l’appelle aussi, adepte du do-it-yourself et très à l’aise avec les technos.

Il s’agit d’une bonne corrélatio­n. Cette tranche d’âge a peu recours aux services d’un conseiller (16% des jeunes adultes américains seulement utilisent les services d’un conseiller financier, selon un sondage de Wells Fargo). Et les conseiller­s ne convoitent pas cette clientèle non plus (30 % d’entre eux seulement cherchent activement à les rejoindre, selon le même sondage).

Joshua Colp, quant à lui, ne voit carrément pas l’utilité d’un conseiller : « Les banques traditionn­elles et les institutio­ns de placement servent surtout à ceux qui ont besoin de sentir qu’on veille sur eux… »

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