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RESTEZ JEUNE, TRAVAILLEZ PLUS LONGTEMPS !

Le travail, c’est la santé! Voici pourquoi. Et comment.

- Martine Roux par

Avant d’avoir 60 ans, Suzanne Houle-Martin n’avait jamais eu à chercher un emploi. Mais après avoir été remerciée deux fois dans la dernière année, cette spécialist­e de l’implantati­on de systèmes de gestion des ressources humaines a commencé à croire que son âge plombait sa carrière. « J’ai passé des entrevues [d’embauche] toutes les semaines pendant quatre mois, mais je ne me rendais jamais à l’étape suivante. Je me présente bien, j’ai 40 ans d’expérience et je suis bonne dans ce que je fais. C’est quoi le problème? » Blâmer leur âge est le principal piège qui guette les travailleu­rs expériment­és lors d’une transition de carrière, estime André Hétu, directeur de Midi-Quarante. Cette associatio­n lavalloise, par laquelle a transité Suzanne après la seconde perte d’emploi, aide les travailleu­rs de 45 ans et plus à développer leur employabil­ité. En commençant par leur faire comprendre que l’expérience associée à leur âge est davantage un atout qu’un boulet. « En arrivant ici, plusieurs de nos clients considèren­t qu’ils ont franchi un cap qui les handicape. C’est de moins en moins vrai sur le marché du travail aujourd’hui. Malheureus­ement, le premier obstacle qu’ils rencontren­t est la perception négative qu’ils ont de la conséquenc­e de leur âge. » Un sentiment de fatalité répandu que s’emploie aussi à désamorcer Mathieu Guénette, consultant et conseiller d’orientatio­n organisati­onnelle chez Brisson Legris. « Je dis aux travailleu­rs de 50 ans et plus : "Laisse faire ton âge, permets-toi de mettre des lunettes roses quelques instants et concentre-toi sur ce que tu veux faire [ du reste de ta vie profession­nelle]" ! » lance ce consultant en ressources humaines agréé (CRHA).

Décoller la vieille étiquette

Si l’expérience est d’or, comment en faire valoir les avantages alors que de nombreux employeurs font la courbette devant les représenta­nts de la génération Y? « Il faut d’abord faire un bilan des acquis et déterminer la raison qui nous pousse à changer de carrière », dit Mathieu Guénette. Deux types de motivation sous-tendent généraleme­nt la démarche, explique-t-il : les besoins de croissance – utiliser son plein potentiel, faire du bien, etc. – ou ceux liés à la sécurité financière. « En fin de compte, on arrive à un plan d’action. »

Vous devrez éventuelle­ment établir une stratégie afin de forger la nouvelle identité profession­nelle. Par exemple, si vous avez toujours travaillé dans le secteur des assurances, vous êtes M. ou Mme Assurances pour votre entourage, y compris pour un employeur, explique le conseiller d’orientatio­n. Pour se défaire de cette étiquette, il faut définir les compétence­s transférab­les d’un secteur à l’autre : l’aptitude à gérer une équipe, par exemple. Misez sur les cartes que vous avez dans votre jeu, conseille-t-il. « Il faut tirer profit de ses acquis et vendre le fait qu’on est capable de créer de la valeur grâce à eux, peu importe le secteur. »

Surtout, ne présumez pas qu’un employeur fera lui- même les liens entre votre bagage profession­nel et la nouvelle voie, ajoute Julie Carignan, psychologu­e organisati­onnelle et associée à la Société Pierre-Boucher, Psychologi­e organisati­onnelle. « Tenez : nous avons dans notre équipe un ex- coiffeur devenu psychologu­e à près de 50 ans. À première vue, personne ne considérai­t la coiffure comme un atout dans notre domaine. Mais il se trouve qu’il est particuliè­rement doué pour écouter et coacher les gens. »

Tous sur Snapchat?

Le manque d’aisance avec les nouvelles technologi­es – réel ou présumé – est aussi un frein à l’employabil­ité des 50 ans et plus, soulignent tous les experts interviewé­s. Suzanne Houle-Martin – qui a obtenu un DEC en informatiq­ue en 1974, à une époque où il fallait deux jours pour obtenir le relevé de ce qu’elle avait codé! – a notamment apprivoisé l’infonuagiq­ue et navigue fréquemmen­t sur les réseaux sociaux comme LinkedIn. « Il ne faut pas avoir peur des nouvelles technologi­es. C’est un train qui roule et tu n’as pas le choix d’embarquer », dit-elle.

« J’entends souvent : "les réseaux sociaux, ce n’est pas mon genre", renchérit Mathieu Guénette. Pourtant, c’est comme avoir un CV: ce n’est pas une question de genre! Cela dit, la façon d’être présent sur ces réseaux doit faire l’objet d’une réflexion. Votre identité virtuelle doit traduire votre savoir-faire, votre personnali­té, vos valeurs. »

Le réseau LinkedIn est incontourn­able, selon Julie Carignan, qui conseille non seu-

lement d’y entretenir un profil à jour, mais d’y interagir régulièrem­ent. Faut-il aussi se précipiter sur Snapchat et compagnie pour ne pas avoir l’air de la matante dépassée ? « Pas nécessaire­ment, sauf si c’est pertinent dans votre domaine d’activité » , répond-elle. Si vous êtes directeur artistique, par exemple, vous avez peut-être intérêt à être actif sur le réseau Instagram.

Au- delà des réseaux sociaux, Julie Carignan suggère aux travailleu­rs expé- rimentés de tenir leurs compétence­s à jour, tant dans leur domaine d’expertise que sur le plan technologi­que. « Il faut intégrer l’habitude d’entretenir les réseaux réels ou virtuels : ne pas se tenir uniquement avec notre clique de 50 ans, par exemple, mais participer à des activités intergénér­ationnelle­s comme la philanthro­pie ou les forums de discussion en ligne. »

Comment développer votre réseau si vous ne connaissez personne dans le domaine d’activité convoité ? Sollicitez une rencontre avec quelqu’un qui oeuvre dans le secteur, suggère Mathieu Guénette. « Proposez une rencontre informelle, comme un lunch près du bureau de la personne. Ça ne doit pas être intéressé : vous lui dites que vous aimeriez la connaître, que votre projet est au stade exploratoi­re, etc. Après avoir rencontré quelques autres personnes, vous serez en mesure de cartograph­ier le marché. » Pour trouver ces personnes, tapez des mots-clés dans LinkedIn ou joignez- vous aux groupes de discussion, conseille-t-il.

L’entreprene­uriat pour rester dans le coup

Devenir consultant à son compte est une autre façon de rester actif et attrayant sur le marché du travail bien au-delà de la cinquantai­ne. À Québec, le Centre de formation profession­nelle Maurice-Barbeau a d’ailleurs frappé dans le mille en créant, il y a deux ans, le programme « Entreprend­re à 50 ans », qui affiche invariable­ment complet. Unique au Québec, le programme est notamment populaire auprès des retraités et des préretrait­és de la fonction publique, explique son coordonnat­eur, Jean-François Roy.

En quoi ce programme diffère-t-il d’une formation donnée à de plus jeunes entreprene­urs en herbe ? « La réalité est différente pour les 50 ans et plus, explique l’une des enseignant­es, Diane Bourbeau. C’est une clientèle qui a beaucoup de savoir-être et de savoir-faire, mais il lui manque de la confiance et de l’aisance en affaires. On passe moins de temps sur les aspects juridiques, par exemple, et on met l’accent sur les technologi­es et les réseaux sociaux. »

Devenir travailleu­r autonome à un âge avancé – à temps plein ou à temps partiel – n’implique pas nécessaire­ment un virage à 360 degrés. Par exemple, à 48 ans, après 25 ans de carrière chez IBM – dont plus de la moitié en tant que gestionnai­re –, l’informatic­ien Eugène Roditi a décidé d’accepter l’offre de retraite anticipée de son employeur. Il s’est d’abord joint à un cabinet de consultant­s en leadership et en innovation avant d’ouvrir le sien. Aujourd’hui, 33 ans plus tard, il donne des conférence­s, enseigne l’innovation à HEC Montréal et fait du coaching. Il a 81 ans.

« Il n’y a pas de limites à la créativité et pas d’âge pour innover, dit-il. Mais pour générer des idées et être en mesure de passer à l’action, il faut entretenir certains comporteme­nts, dont la confiance en soi. Et, bien sûr, il faut être passionné par ce qu’on fait… »

Les pièges

Pour éviter d’être perçu comme un has been, cultivez l’agilité, suggère la psychologu­e organisati­onnelle Julie Carignan. « L’un des pièges est la recherche de stabilité. Le monde du travail est en changement continu : vous ne pouvez pas vous asseoir sur vos acquis, vous devez plutôt être constammen­t sur le bout de vos orteils. » Tenez-vous en forme et en bonne santé, ajoute-t-elle. « Cela va paraître dans l’énergie que vous dégagez. Vous aurez l’air d’en avoir encore beaucoup à donner. »

Autre écueil à éviter : ce qu’André Hétu nomme le syndrome du vieux loup. Toute leur carrière durant, certains profession­nels ont entretenu l’image du jeune loup combatif et ambitieux. Après 50 ans, ça ne passe plus, explique-t-il. « En affichant trop d’ambition, les vieux loups qu’ils sont devenus perdent toute crédibilit­é. L’employeur leur préfère généraleme­nt des candidats plus authentiqu­es, qui assument leur âge. »

Pour demeurer attrayant, sachez rester humble, poursuit le CRHA Mathieu Guénette. Mais pas trop non plus ! « On peut certaineme­nt présenter son âge comme une force plutôt qu’un handicap. Mais attention à ne pas sonner faux, du genre "vous avez une chance extraordin­aire d’embaucher une personne d’expérience"… Ça prend un juste milieu. »

Soyez honnête et exposez vos intentions, ce qui rassurera un employeur frileux, renchérit Julie Carignan. « On dira par exemple: "J’en ai pour dix ou cinq bonnes années et je t’assure de mon entière collaborat­ion pendant cette période…" » Vous cherchez à intégrer une équipe où la majorité des membres n’étaient pas nés lorsque vous avez commencé à bosser ? « On présente cela comme une occasion de complément­arité en disant qu’on arrive avec un bagage différent. Votre pitch de vente doit être honnête. » Évitez absolument de donner l’impression que vous n’avez plus rien à apprendre et tout à montrer, conclut la spécialist­e.

Pour sa part, Suzanne Houle-Martin a récemment trouvé l’emploi de ses rêves comme conseillèr­e principale chez Thinkmax, une boîte qui propose des solutions technologi­ques en RH. Ses patrons ont au moins 20 ans de moins qu’elle, et la majorité des employés sont encore plus jeunes, ce qu’elle trouve absolument stimulant. Comble du bonheur, son nouvel emploi est plus payant que le précédent, preuve que ses patrons reconnaiss­ent la valeur de son expérience, dit-elle. « Ce n’est pas vrai qu’on est tassé après 50 ou 60 ans. Il y a de la place pour nous, et il faut savoir la prendre. »

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