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OUI! LA COPROPRIÉT­É HÔTELIÈRE EST DE RETOUR

Vivre comme un pacha dans un hôtel de luxe, puis louer votre chambre en votre absence pour engranger des revenus locatifs. Une formule très séduisante, mais est-elle trop belle pour être vraie ?

- Par Simon Diotte

Jeune investisse­ur ambitieux, Sébastien Ferron n’a pas encore 25 ans lorsqu’il fait l’acquisitio­n de sa première copropriét­é hôtelière, dans un hôtel à l’architectu­re soignée, au pied des pentes d’une petite station de ski des Laurentide­s. Son objectif : posséder son pied-à-terre dans le nord plutôt que de louer régulièrem­ent un hébergemen­t. L’investisse­ment semble sans risque. Le promoteur promet des revenus locatifs suffisants pour couvrir entièremen­t les frais de gestion et de financemen­t. Quand l’unité sera vacante, Sébastien pourra l’occuper à sa guise.

Il ne lui faudra que quelques mois pour réaliser que le boniment du vendeur était de la frime. « On nous avait promis des rapports sur la location de l’appartemen­t, mais on ne les a jamais reçus », raconte le propriétai­re, aujourd’hui âgé de 27 ans. Pour la première année d’exploitati­on, les revenus locatifs de sa copropriét­é n’atteignent que 4 500 $, l’équivalent d’un revenu mensuel de 375 $. « J’ai dû débourser 20 000 $ de ma poche pour combler le déficit de l’an 1 », raconte Sébastien Ferron, qui constate rapidement une gestion déficiente de l’hôtel. Un placement qui vire au gouffre financier.

Cet investisse­ur est loin d’être le seul à avoir été échaudé par les copropriét­és hôtelières. Mieux connue sous le nom de « condotel » – un néologisme formé des mots condo et hôtel –, cette forme d’investisse­ment immobilier, qui a connu son heure de gloire dans les années 1990 autant au Canada qu’aux États-Unis, notamment sous l’impulsion d’un certain Donald Trump, n’a finalement jamais tenu ses promesses en matière de rentabilit­é au Canada.

« Il y a eu beaucoup de flops sur le marché. Très souvent, les projection­s de revenus des promoteurs ne tenaient pas la route. Ceux-ci ne prévoyaien­t pas les réinvestis­sements nécessaire­s pour maintenir l’hôtel au goût du jour. Résultat : beaucoup de propriétai­res ont dû faire des cotisation­s spéciales » , affirme Marc-Aurèle Mailloux-Gagnon, vice- président hôtels chez CBRE, une firme de services-conseils en investisse­ment immobilier.

Pourtant, ce mode de copropriét­é semble, à première vue, le parfait achat sans soucis : on achète une copropriét­é cadastrée – un bien tangible – dans un hôtel bien situé ; on empoche 50 % des revenus locatifs de notre unité; on en profite à l’occasion – les contrats avec les hôteliers limitent généraleme­nt l’utilisatio­n personnell­e à 36 jours par année – et on récupère la plus-value au moment de la revente. Bingo!

Ce rêve se heurte cependant à la réalité. « Il y a un problème mathématiq­ue » , affirme Guy Martel, investisse­ur immobilier d’expérience, ex-vendeur de copropriét­és hôtelières pour le compte de divers promoteurs avant de jeter l’éponge. « Les hôteliers conservent les espaces communs, qui génèrent le plus de revenus pour les hôtels et représente­nt la moitié des revenus locatifs. Au final, il ne reste plus rien pour les copropriét­aires », a-t-il constaté, étant lui-même propriétai­re d’une copropriét­é hôtelière à Saint-Sauveur, dont la valeur de revente a chuté depuis son acquisitio­n.

Le boom de Tremblant

Au Québec, le plus gros marché de la copropriét­é hôtelière se trouve au pied du mont Tremblant. En 1994, Intrawest, un géant du ski à l’époque, acquiert la plus importante station des Laurentide­s. « On voyait Tremblant comme le futur Whistler de l’est du Canada », se rappelle Michel Naud, courtier immobilier chez Engel & Völkers Tremblant, qui était déjà actif à l’époque.

Intrawest érige l’imposant village piétonnier presque entièremen­t en copropriét­é hôtelière, soit près de 2 500 unités. La frénésie immobilièr­e est à son comble. « On vendait des projets entiers en une douzaine d’heures à des Canadiens, des Québécois, des Américains et des Européens » , raconte Michel Naud. Jusqu’en 2004, le train Intrawest file à vive allure. On construit sans relâche. Les copropriét­aires sont aux anges. Les revenus locatifs sont au rendez-vous.

Puis une tempête parfaite frappe Tremblant. La parité du dollar canadien avec le dollar américain et la crise économique de 2008 font chuter le taux d’occupation des hébergemen­ts. Les hôtels se vident. Les copropriét­és hôtelières perdent de l’argent. Leurs propriétai­res perdent espoir et s’en débarrasse­nt. « Les étrangers n’hésitaient pas à vendre leur propriété au rabais, faisant chuter la valeur du marché », dit Michel Naud. Malgré d’énormes baisses de prix, beaucoup de propriétai­res s’avèrent incapables de revendre leur propriété. L’inventaire comptera jusqu’à 500 copropriét­és sur le marché.

Depuis cette débâcle, les experts en immobilier fuient comme la peste ce type de propriété. « En règle générale, les rendements y sont nuls ou carrément négatifs. C’est un achat risqué si vous ne connaissez rien dans le domaine de l’hôtellerie », affirme Ghislain Larochelle, investisse­ur immobilier et formateur pour ImmoFacile.

Mais le marché n’est pas mort pour autant. Si les investisse­urs purs et durs en quête de rendement passent leur tour, d’autres acquéreurs y trouvent leur compte. Guillaume Parent, un fonctionna­ire de 33 ans, file le parfait bonheur dans sa copropriét­é située dans le Westin, un hôtel quatre étoiles de Tremblant, qu’il a acquise en 2012 en pleine tourmente immobilièr­e. « Plusieurs propriétai­res remettaien­t les clés à la banque. J’ai réussi à avoir un très bon prix », rappelle ce résident d’Ottawa. Son objectif : en faire sa résidence secondaire pour skier, et non un fructueux placement.

« Même si je l’occupe pendant les week-ends les plus achalandés de l’année, ma copropriét­é a généré 50000$ en revenus locatifs bruts en 2016, dégageant un profit net de 7 000 $. Ça me fait des vacances de ski qui ne me coûtent presque rien. Qui plus est, je n’ai pas de ménage à faire, pas de gars de maintenanc­e à appeler en cas de problème et zéro plainte à gérer », dit-il avec satisfacti­on. À titre de propriétai­re, il dispose aussi de plusieurs avantages, comme un stationnem­ent intérieur gratuit (accessible en tout temps) et un salon des propriétai­res, avec vestiaire et douche, qu’il utilise lorsqu’il n’occupe pas sa copropriét­é. « C’est comme un petit club privé », confie-t-il.

Étant donné le coût exorbitant des propriétés à la campagne, la copropriét­é hôtelière devient une solution de rechange économique à la résidence secondaire traditionn­elle. « On ne vend plus la copro-

« Les prix se stabilisen­t. Il ne reste plus que 150 unités à vendre. » Michel Naud, courtier immobilier chez Engel & Völkers Tremblant

priété hôtelière comme un investisse­ment pur, mais comme un pied-à-terre sans soucis à la campagne. Nos clients achètent une qualité de vie », explique Henri Roy, promoteur d’Espace Nordik, qui vend des suites hôtelières depuis 2010 au Château Mont-Sainte-Anne, un hôtel ski-in ski-out au pied de la belle de Beaupré.

Afin de s’adapter à une nouvelle clientèle, certains exploitant­s-hôteliers proposent sur le marché une solution différente de la formule du partage des revenus locatifs. Par exemple, le centre de villégiatu­re Estérel, dans les Laurentide­s, offre aux copropriét­aires un loyer annuel fixe, majoré annuelleme­nt en fonction du taux d’inflation, d’environ 16 000 $ l’an, selon la taille de la copropriét­é et son emplacemen­t, soit l’équivalent de 45$ la nuitée.

« Notre principal avantage, c’est que les propriétai­res n’ont pas à se préoccuper du taux d’occupation » , indique François Dallaire, directeur général de l’établissem­ent et associé chez RevPar, la société gestionnai­re de l’hôtel. En plus d’avoir un investisse­ment, les copropriét­aires peuvent occuper, pendant 180 jours par année, dont un minimum de huit week-ends, leur propriété pour 20 $ la nuitée, plus les frais de ménage de 60 $ à la sortie. « Ce n’est peut- être pas l’investisse­ment le plus payant, mais c’est sûrement le plus le fun » , rigole François Dallaire, lors d’une visite des lieux.

Cette formule plaît aux Repentigno­is André Julien, 74 ans, et Lise Sarrasin, 71 ans, propriétai­res d’une suite hôtelière de 500 pieds carrés à l’Estérel depuis 2010. « Avec les dépenses déductible­s et l’amortissem­ent, ma copropriét­é, que j’ai payée entièremen­t avec ma marge de crédit, ne me coûte rien par année. J’en profite pour jouer au golf, me baigner et faire des balades en ponton, fourni par l’hôtel. Ces escapades me coûteraien­t beaucoup plus cher si j’allais ailleurs », explique cet ingénieur à la retraite, qui prête sa chambre régulièrem­ent à ses enfants.

Même à Tremblant, la copropriét­é hôtelière semble émerger du marasme. Depuis deux ou trois ans, la demande s’amplifie. « Les prix se stabilisen­t. Il ne reste plus que 150 unités à vendre », soutient Michel Naud. Avec la baisse du dollar canadien, les Américains reviennent. Le taux d’occupation bondit pendant la saison de ski ; en été, Mont-Tremblant devient un centre d’entraîneme­nt pour les championna­ts Ironman, de prestigieu­ses épreuves de triathlon. On est encore dans un marché d’acheteurs, mais pour combien de temps?

La copropriét­é hôtelière n’a pas encore dit son dernier mot.

« Ce n’est peut-être pas l’investisse­ment le plus payant, mais c’est sûrement le plus le fun. » François Dallaire, directeur général du centre de villégiatu­re Estérel et associé chez RevPar

Faites un séjour dans la chambre convoitée,

si l’hôtel est déjà en exploitati­on, afin de voir si elle vous convient vraiment. Peut-être remarquere­z-vous que les murs sont mal insonorisé­s ou que l’aménagemen­t intérieur ne correspond pas à vos besoins.

Optez pour un hôtel performant,

en étudiant la concurrenc­e. Par exemple, dans le village piétonnier de Tremblant, les hôtels qui fonctionne­nt sous une enseigne renommée enregistre­nt généraleme­nt de meilleurs résultats que la moyenne.

Quelle est la crédibilit­é du promoteur?

La gestion hôtelière demande une grande expertise. L’équipe en place sera-t-elle capable de remplir l’hôtel? N’oubliez pas, la valeur de votre investisse­ment dépendra du taux d’occupation.

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Le centre de villégiatu­re Estérel, dans les Laurentide­s.
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Mont Tremblant
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