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La propriété garantit-elle un rendement exceptionn­el ?

Les vieux sages nous disaient : une maison, c’est le meilleur investisse­ment à vie. Oui, c’était peut-être vrai dans le bon vieux temps, mais est-ce le cas aujourd’hui, à une époque où les petits investisse­urs, en quelques clics, ont l’embarras du choix e

- par Simon Diotte

C’est de moins en moins le cas. Nous avons fait les calculs.

De 1986 à 2016, en tenant compte de l’inflation, le prix des maisons unifamilia­les a augmenté de 121 % dans la grande région de Montréal, indique une étude de JLR, une firme de consultati­on en immobilier. Les propriétai­res ont donc vu leur foyer prendre de la valeur, mais est-ce qu’ils ont été réellement gagnants ? Pas sûr.

L’étude indique que pendant ces trois décennies, le marché boursier a connu le même rendement. Toutefois, dans cette comparaiso­n, les frais liés à la propriété n’ont pas été pris en considérat­ion. Et pourtant, ces frais sont nombreux : coût d’entretien (réparation­s, déneigemen­t, pelouse, aménagemen­t paysager), taxes foncière et scolaire, remboursem­ent des intérêts, assurance, frais de courtage et légaux, etc. Conclusion : l’immobilier n’est pas nécessaire­ment la poule aux oeufs d’or comme le prétendaie­nt les vieux sages.

Le hic, c’est que lorsqu’on discute immobilier dans les médias, les intervenan­ts se trouvent souvent en conflit d’intérêts, car ils sont courtiers hypothécai­res, agents immobilier­s ou promoteurs. « C’est rare, des gens totalement neutres en ce qui a trait à l’immobilier », soutient Ian Sénéchal, président de VotreConse­iller.net, un cabinet de services financiers. C’est peut-être ce qui explique la proliférat­ion de mythes, comme la supposée rentabilit­é de la rénovation – en réalité, c’est surtout une dépense –, qui deviennent à la longue de fausses vérités.

L’immobilier serait, dit-on, un placement garanti. Or, tout investisse­ment comporte sa part de risque. « Surtout qu’actuelleme­nt, on est en fin de cycle, après une envolée extraordin­aire des prix depuis les années 2000. Dans un proche avenir, la remontée des taux d’intérêt freinera les hausses de prix. Pour ma part, je n’exclus pas un plafonneme­nt des valeurs ou, pire, un dégonfleme­nt de la bulle immobilièr­e », avance Ian Sénéchal, pour qui le marché actuel est surévalué.

Même son de cloche de la part de Bruno Therrien, planificat­eur financier et directeur régional chez Groupe Investors. « Ça fait tellement longtemps que l’immobilier n’a pas subi une grosse débarque que les gens oublient que les maisons peuvent perdre des plumes, dit-il. La maison personnell­e est sans contredit un investisse­ment qui doit faire partie de notre portefeuil­le. Mais on ne doit pas se baser uniquement sur son appréciati­on pour bâtir sa retraite », affirme Bruno Therrien.

Imbattable, l’immobilier ? Prenons un exemple plus récent. L’augmentati­on du prix médian des copropriét­és sur l’ensemble du marché québécois de 2007 à 2017 a été de 44 %, soit une hausse annualisée de 3,7 % en dollars courants (prix de 2007 en dollars de 2007 et prix de 2017 en dollars de 2017), selon les calculs fournis par Joanie Fontaine, économiste chez JLR.

Pendant la même période, sur les marchés boursiers, la hausse des valeurs a été de 4,7 % à la Bourse de Toronto et de 10 % à la Bourse de New York, selon les informatio­ns fournies par François Têtu,

vice-président et gestionnai­re de portefeuil­le chez RBC Dominion valeurs mobilières. Non seulement la Bourse a mieux performé, mais en plus, les frais de gestion des placements sont beaucoup moindres que les coûts d’entretien d’une maison.

En comparant les deux placements, on doit aussi prendre en considérat­ion notre tolérance au risque. « En restant très prudent sur les marchés, il se peut que notre rendement ne dépasse pas 5 % annuelleme­nt. D’où l’intérêt, pour les gens plus conservate­urs, de considérer l’achat d’une propriété, ce qui leur sera plus avantageux », ajoute Ian Sénéchal. Même chose pour les épargnants indiscipli­nés. « Ces gens-là profiteron­t de l’épargne forcée qu’implique l’achat d’une maison », affirme Éric Brassard, FCPA, CA, conseiller en placement chez Brassard Goulet Yargeau et Patrimoine Hollis.

Cependant, il y a des périodes où l’immobilier paraît imbattable. Une étude de Desjardins souligne que la valeur nette moyenne des ménages propriétai­res a doublé entre 2000 et 2016, principale­ment grâce à l’envolée de la valeur de leur principal actif non financier : leur propriété. « Pendant ce temps, la valeur nette des ménages locataires stagnait. Voilà un argument fort en faveur de l’achat plutôt que de la location », affirme Paul Cardinal, directeur, analyse du marché, à la Fédération des chambres immobilièr­es du Québec.

« Qu’on soit locataire ou propriétai­re, se loger comporte nécessaire­ment un coût. Plus on vit dans du luxe, plus ça coûte cher, exactement à l’image des voitures de luxe. Comme propriétai­re, le possible gain en capital généré à la revente réduit le coût total de cette dépense, mais il est très rare qu’il l’annule complèteme­nt », affirme Éric Brassard.

Pour estimer le rendement d’une propriété, il existe de nombreux outils sur Internet. Nous en avons testé plusieurs, dont celui du site www.creditfina­nceplus.com, en vue de connaître le rendement estimé, sur 25 ans, d’une maison actuelleme­nt sur le marché à Lévis, sur la rive sud de Québec.

Son prix de vente : 300 000 dollars. En entrant tous les paramètres possibles – acompte de 20 % (60 000 $), taux hypothécai­re (4 %), taxes foncière et scolaire ( 3 300 $), frais de notaire et droits de mutation [ taxe de Bienvenue] (6 000 $), appréciati­on annuelle (2 %, une estimation réaliste), dépenses récurrente­s d’entretien (6 000 $), assurance (450 $), taux d’inflation (2 %) et frais à la revente ( 2,5 % de la valeur de la maison dans 25 ans, soit 12 305 $) –, on arrive à la ligne d’arrivée avec un rendement déficitair­e de 1,91 %. En doublant l’appréciati­on annuelle à 4 %, le taux de rendement annuel effectif est de 0,11 %. À 6 %, le rendement augmente à 2 %.

Cette simulation ne calcule pas le coût de renonciati­on. De combien notre argent aurait fructifié en l’investissa­nt ailleurs pendant la même période ? Comme quoi, devenir riche avec sa propre maison n’est pas un automatism­e, malgré ce qu’en disent les vieux sages.

« Qu’on soit locataire ou propriétai­re, se loger comporte nécessaire­ment un coût. Plus on vit dans du luxe, plus ça coûte cher. »

– Éric Brassard, FCPA, CA, conseiller en placement chez Brassard Goulet Yargeau et Patrimoine Hollis.

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