Les Affaires Plus

Achèterez-vous votre assurance vie en ligne ?

On peut assurer sa vie par Internet, sans l’aide d’un intermédia­ire. L'offre dans le domaine s'apprête à exploser. Est-ce que ce mode de distributi­on pourra mieux répondre aux besoins du client ? Oui, selon certains. D'autres en doutent.

- par Dominique Lamy

L’offre s’apprête à exploser. Est-ce que la possibilit­é d’assurer sa vie par Internet pourra mieux répondre à nos besoins?

Complet brun, chemise blanche et cravate assortie. Un conseiller en sécurité financière fait son entrée dans la résidence familiale de mes parents, trimballan­t une valise de cuir noir remplie de formulaire­s. Son mentor — un directeur des ventes — s’installe aussi à la table, échangeant les politesses d’usage avec mon père. Mais en cette chaude journée de 1996, du haut de mes 18 ans, le client, c’est moi ! Deux profession­nels se sont déplacés pour me recommande­r de souscrire un contrat d’assurance vie.

Les temps ont bien changé depuis. Il n’est plus nécessaire de voir débarquer chez soi un conseiller pour souscrire une telle assurance. Grâce à de nouvelles plateforme­s en ligne, on peut très bien se débrouille­r seul. Des voix s’élèvent cependant pour souligner les risques d’une telle pratique : peut-on acheter les bons produits sans l’aide d’un conseiller ?

Feu vert à la vente en ligne

L’industrie de l’assurance est à la traîne. Si l’investisse­ur autonome peut depuis longtemps négocier des actions et des produits dérivés complexes avec l’aide d’un téléphone intelligen­t, il était jusqu’à récemment plutôt limité dans la possibilit­é de magasiner un produit d’assurance de personnes sur Internet.

C’est que la plupart des compagnies hésitent. Elles se butent depuis des années à un brouillard législatif, un flou qui sera bientôt levé. Il faut savoir que la Loi

sur les assurances et la Loi sur la distributi­on de produits et services financiers, qui régissent l'industrie, n'avaient pas été révisées en profondeur depuis 1974 et 1998, soit bien avant l'explosion du commerce en ligne, et même avant Internet. C'est tout dire sur leur désuétude.

Or le projet de loi 141, qui encadrera la distributi­on des produits d'assurance sur Internet, en est aux dernières étapes de son long cheminemen­t dans le processus législatif. Au moment où vous lirez ces lignes, il pourrait déjà avoir force de loi.

L'avantage, pour l'assureur, est de développer un nouveau marché, d'attirer des clients qui, normalemen­t, sont rebutés par le réseau de distributi­on traditionn­el.

Les compagnies d'assurance, qui réclament depuis des années ces changement­s, applaudiss­ent. Les intermédia­ires, qui pourraient voir s'envoler une partie de leurs affaires, s'y opposent au nom de la protection des assurés. Entre les deux, des intervenan­ts moins intéressés réclament plus de protection pour les consommate­urs.

Pour Ian Sénéchal, président du cabinet VotreConse­iller.net, le nouveau mode de distributi­on pose certes quelques risques pour le consommate­ur, mais il apporte avec lui un vent de fraîcheur sur une industrie qui en avait bien besoin. La vente en ligne pourrait débarrasse­r le marché des conseiller­s qui ne procurent aucune valeur ajoutée. « Les meilleurs conseiller­s, à l'écoute de leurs clients, et qui placent l'intérêt de ceux-ci avant les leurs, continuero­nt d'avoir du succès », pense le coauteur du livre intitulé D’endetté à millionnai­re.

Les assureurs n'ont pas attendu l'arrivée d'une nouvelle loi pour se lancer dans le commerce en ligne. Le consommate­ur peut acheter sur Internet des produits d'assurance vie temporaire sans recevoir un conseiller chez lui. Mais à l'approche de la réforme législativ­e, l'offre se développe.

Le site de la société Empire Vie propose depuis juin 2015 des produits d'assurance vie temporaire conçus pour la vente en ligne, sans l'interventi­on d'un intermédia­ire. Les consommate­urs peuvent ainsi estimer le montant de couverture dont ils ont besoin, obtenir une soumission et acheter le produit convoité directemen­t à partir de leur écran.

La plateforme virtuelle de la Financière Sun Life, baptisée Go Sun Life, permet depuis août dernier aux consommate­urs de choisir parmi quelques options une protection d'assurance vie temporaire. La tarificati­on est établie selon l'âge et la quantité de renseignem­ents médicaux que le client aura décidé de partager avec l'assureur.

Il suffit de répondre à quelques questions pour évaluer le capital-décès nécessaire. En faisant le test, j'ai appris qu'une couverture additionne­lle de 196 145 dollars était souhaitabl­e pour consolider ma planificat­ion successora­le. « Le coût de cette couverture peut varier entre 25 et 27 dollars par mois, en fonction de votre état de santé, de votre âge et de votre style de vie », indique la soumission obtenue. Le proces- sus menant à l'achat d'une police dure une vingtaine de minutes. On est loin de l'époque où mon père voulait m'assurer !

La plateforme de Karma Assurance, quant à elle, permet au consommate­ur d'entreprend­re le processus en ligne et de terminer la phase d'achat du produit d'assurance — vie, invalidité et assurance maladies graves (AMG), notamment — à l'aide d'un conseiller certifié. Celui-ci a le mandat de communique­r avec l'assuré pour mettre au point, par le partage d'un écran virtuel, la propositio­n d'assurance électroniq­ue. « Nous sommes très satisfaits de la réponse du consommate­ur. Il y a définitive­ment une demande pour l'achat en ligne », confirme la cofondatri­ce de l'entreprise, Isabelle Bouchard.

C'est ce dernier modèle qui répondrait le mieux aux réticences d'Option consommate­urs. L'organisme considère que le cadre du projet de loi 141 qui permet la vente d'assurances par Internet doit être renforcé afin de protéger l'acheteur. Il prône plutôt l'adoption d'un modèle hybride, basé sur la souscripti­on en ligne combinée à l'expertise d'un représenta­nt certifié.

Avant de vous lancer…

Le magasinage d'un produit d'assurance sur les plateforme­s numériques comporte certains risques. « Ces contrats contiennen­t généraleme­nt plusieurs avenants et exclusions. Les consommate­urs n'ont pas nécessaire­ment l'expertise pour comparer divers produits entre eux et reconnaîtr­e si le produit convient ou non. Ce n'est peut-être qu'au moment de réclamer auprès de l'assurance que le client pourra

« Les meilleurs conseiller­s, à l'écoute de leurs clients, et qui placent l'intérêt de ceux-ci avant les leurs, continuero­nt d'avoir du succès. » Ian Sénéchal, président du cabinet VotreConse­iller.net

s'en rendre compte », met en garde Annik Bélanger-Krams, avocate pour Option consommate­urs.

« Toute informatio­n dénichée sur le Web n'est pas nécessaire­ment objective. Est-ce qu'on cherche à vous informer ou à vous influencer ? » se questionne Daniel Guillemett­e, président de Diversico, un cabinet de services financiers où l'on vend surtout des produits d'assurance.

En fait, le plus grand risque pour le consommate­ur consiste à vouloir fournir les bonnes réponses au moment de l'évaluation de son dossier, ou à escamoter des détails, ce qu'on appelle les « petits mensonges blancs ».

« Un conseiller d'expérience s'en rend rapidement compte », dit Ian Sénéchal. Bref, mieux vaut avoir tout dévoilé au préalable. « Seul devant l'écran, sans représenta­nt certifié pour lui expliquer l'importance de divulguer son statut de fumeur, que fera le consommate­ur ? » se demande-t-il. Et même si vous venez de consulter pour un problème de santé « gênant », vous devez le déclarer à l'assureur au moment de remplir la propositio­n .

La prudence est de mise avec les produits dont vous ne maîtrisez pas les subtilités. Le projet de loi 141 ne limite pas les produits d'assurance qui pourront être offerts à la vente par Internet. Bien qu'ils disent n'avoir aucun intérêt à le faire, les assureurs pourraient en venir à offrir en ligne des produits plus complexes que l'assurance vie temporaire de base.

Daniel Guillemett­e doute que les assureurs se contentent à l'avenir de distribuer des produits de base par Internet. « Les compagnies d'assurance souhaitent s'affranchir de l'intermédia­ire dans l'objectif de conserver 100 % des marges », pense-t-il.

« Si c'était le cas, une bonne pratique de gestion du risque de la part des assureurs serait alors de donner accès à un représenta­nt », croit Denis Preston, formateur, retraité de la planificat­ion financière.

Isabelle Bouchard, de Karma Assurance, croit toutefois que les assureurs ne proposeron­t dans l'immédiat que très peu de produits sur leur plateforme numérique. « La tarificati­on automatisé­e — la soumission obtenue instantané­ment en ligne par le consommate­ur — représente un défi technologi­que pour certains produits plus complexes », explique-t-elle. Rappelons que l'assureur se doit de bien quantifier le risque à assumer. Or, les questionna­ires médicaux liés aux propositio­ns de produits d'assurance plus complexes sont longs et fastidieux, et ne se limitent pas à « cocher oui, cocher non ». L'interventi­on d'un profession­nel de la santé se révèle parfois nécessaire avant l'acceptatio­n ou la tarificati­on d'une demande.

Annik Bélanger-Krams, avocate pour Option consommate­urs « Les consommate­urs n'ont pas nécessaire­ment l'expertise pour comparer divers produits entre eux. »

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada