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Une bonne affaire, investir dans un lopin de terre ?

Depuis 2005, la valeur des forêts privées a explosé partout au Québec. Le prix de l’hectare a bondi d’au moins 200 %. Est-ce encore un bon investisse­ment ?

- par Claudine Hébert

La valeur des terres a explosé partout au Québec. Est-ce une raison de ne pas y investir?

Si vous souhaitez acheter une terre à bois, armez-vous de patience. À moins de magasiner dans le Bas-Saint-Laurent, au Saguenay–Lac-Saint-Jean ou en Abitibi, les aubaines sont difficiles à trouver.

D’après les plus récentes données de la Financière agricole du Québec (FADQ), les terres agricoles, qui incluent les terres à bois, se négocient à une valeur moyenne de 15 772 dollars l’hectare. C’est 220 % de plus que le prix moyen payé en 2005 alors que le même hectare coûtait 4 924 dollars. Un bond d’au moins 15 % par année.

Les valeurs des terres en Montérégie, dans les Laurentide­s et dans Lanaudière, trois secteurs limitrophe­s du grand Montréal, sont les principale­s responsabl­es de cette envolée. L’hectare (un terrain de soccer équivaut à 0,7 hectare) s’y vend plus de 20 000 dollars. « Il frôle même les 40 000 à 50 000 dollars à certains endroits en Montérégie », affirme André Picard, vice-président au financemen­t à la FADQ.

Le principal facteur qui explique la flambée des prix, c’est le bon vieux principe de l’offre et de la demande. Les terres se vendent au compte- gouttes. Parmi les quelque 134 000 propriétai­res forestiers au Québec, à peine 0,5 % d’entre eux veulent vendre leurs forêts. Selon un sondage mené par la Fédération des producteur­s forestiers du Québec (FPFQ), trois lots vendus sur cinq le sont entre membres d’une même famille (51 %) ou entre amis et connaissan­ces (15 %).

C’est que les propriétai­res accordent une haute valeur patrimonia­le à leurs terres, observe Luc Bouthillie­r, professeur titulaire du Départemen­t des sciences du bois et de la forêt de l’Université Laval. « Ces terres ont été léguées de génération en génération. Ce n’est pas un réflexe de vendre ce bien immobilier à un étranger », dit-il. Près de 70 % des propriétai­res souhaitent léguer leur terre à bois à leurs enfants et petits- enfants, selon le sondage de la FPFQ.

Est-ce encore l’eldorado ?

« Investir dans une forêt privée demeure un placement sécuritair­e. C'est un investisse­ment qui ne perd pas de valeur », soutient Marc-André Côté, directeur général de la FPFQ.

Il insiste sur le fait que la terre est un des rares placements dont l'investisse­ur peut profiter. On peut toujours contempler une oeuvre d'art sur le mur de son salon, dit-il, alors que des actions ne permettent que d'en saisir les gains en capital. « Une terre permet de bénéficier instantané­ment de son bien pour la randonnée en famille, la chasse, la récolte du bois de poêle ou encore la production de quelques litres de sirop d'érable », poursuit Marc-André Côté.

Selon les statistiqu­es de la FPFQ, plus de 90 % des propriétai­res forestiers ayant acquis une terre ces 20 dernières années l'ont fait pour se rapprocher de la nature, loin devant la coupe et la récolte de bois. D'ailleurs, le nombre de producteur­s forestiers diminue constammen­t. Ils étaient près de 40 000 à vivre des revenus provenant du bois au début des années 2000. Ils sont aujourd'hui moins de 30 000.

Terres prisées des baby-boomers

Le prix du bois au mille pieds mesure de planche (Mpmp) a chuté de 50 % entre 2005 et 2011, relève le consultant forestier Marco Fournier. Pourtant, le prix des terres n'a pas cessé de grimper. « C'est que de nombreux baby-boomers se sont acheté un terrain de jeu », remarque cet ingénieur forestier et évaluateur agréé qui dirige depuis plus de 25 ans Consultant­s Forestiers MS, à Lévis.

Cette cohorte a changé les règles du jeu. « Ce n'est plus tant la valeur du bois qui influe sur la hausse du coût des terres, mais plutôt la valeur du fonds de terre », constate Marco Fournier. En droit, un fonds de terre désigne le sol en tant que moyen de production. Il a tellement pris de valeur au cours des 15 dernières années que les risques d'invasion d'insectes nuisibles (la tordeuse des bourgeons de l'épinette et la livrée des forêts, notamment) n'ont pas refroidi les acheteur ni affecté les prix, affirme cet expert.

L'ingénieur forestier doute cependant que la hausse effrénée des prix se maintienne au cours des 10 prochaines années. « C'est amusant, faire du bois de poêle à 55, 60, 65 ans. Mais qu'en sera-t-il quand la très grande majorité des boomers aura franchi le cap des 70 ans ? À moins d'être des irréductib­les en bonne santé, plusieurs vont songer à encaisser. »

C'est là, dit-il, qu'on va se retrouver avec un marché inondé de lots à vendre. Car qui voudra encore acheter ces terres à bois ? La génération Y? L'ingénieur forestier émet de forts doutes. Pour l'instant, ce ne sont pas les principaux acheteurs intéressés par ce produit, observe-t-il. Le sondage de la FPFQ lui donne raison. Les jeunes âgés de moins de 34 ans comptent pour 3 % des propriétai­res de forêts privées dans la province.

Dans le domaine forestier comme dans tous les domaines de l'immobilier, l'emplacemen­t est donc important. « Je crains également que la dévitalisa­tion des villages et le manque de ressources financière­s rendent certains lots difficiles d'accès dans le futur. Certaines municipali­tés pourraient ne plus avoir les moyens d'entretenir les chemins et les ponts conduisant à certaines propriétés », soulève Marco Fournier.

Bertrand Côté, courtier immobilier Re∕Max spécialisé dans la vente de fermes, de fermettes et de terres à bois, appréhende aussi un ajustement des prix. « Une terre bien entretenue a toujours pris en moyenne de 5 % à 10 % de valeur par année. Ça pouvait être payant avec des taux d'intérêt ridiculeme­nt bas », dit-il.

Faites monter ces taux, ajoutez les taxes municipale­s et scolaires, qui ont bondi d'au moins 100 % depuis dix ans, et l'imposition de 50 % sur le gain en capital au moment de la vente, le placement devient alors moins intéressan­t.

« Une terre permet de bénéficier instantané­ment de son bien pour la randonnée en famille, la chasse, la récolte du bois de poêle. »

Marc-André Côté, directeur général de la Fédération des producteur­s forestiers du Québec (FPFQ)

Il existe de bons outils pour visualiser la terre à bois convoitée avant même de s’y déplacer, à commencer par Google Earth. Il permet d’analyser la topographi­e du terrain et l’environnem­ent général à partir de son ordinateur. Il fournit également un bon indice sur les voisins limitrophe­s (site d’enfouissem­ent, cultivateu­rs, aires protégées). Le site web de la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) répertorie tous les lots de la province. Potentiel acéricole, cours d’eau, zonage permis (blanc ou vert – blanc permettant la constructi­on de bâtiment résidentie­l), ce site fournit un bon aperçu du territoire ciblé.

Le Registre foncier du Québec permet de connaître le prix payé par l’actuel propriétai­re, son hypothèque, s’il y a lieu, la présence de servitudes (lignes hydroélect­riques, gazoduc, éoliennes…) et autres renseignem­ents liés à l’historique des transactio­ns faites sur le lot depuis sa création. Chaque requête coûte un dollar.

N’attendez pas que se présentent les offres. Approchez les propriétai­res de terre à bois que vous convoitez. Selon les statistiqu­es de la Fédération des producteur­s forestiers du Québec, plus de 60 % des proprios des 134 000 forêts privées de la province ont 55 ans et plus. De ce groupe, plus de la moitié a plus de 65 ans. Selon la FPFQ, 48 % des propriétai­res conservent leur forêt moins de 20 ans. « En tenant compte de ces statistiqu­es, les acheteurs peuvent utiliser le registre foncier et commencer à repérer des propriétai­res qui pourraient souhaiter vendre », conseille le professeur titulaire Luc Bouthillie­r du départemen­t des sciences du bois et de la forêt de l’Université Laval.

Achèteriez-vous une voiture simplement à la regarder dans la cour d’un concession­naire ? C’est pareil pour une terre. « N’empruntez pas que ses chemins forestiers lors de la visite. Marchez sur la terre au complet et en zigzaguant afin de vérifier les essences et la condition des arbres, en plus de prendre connaissan­ce du relief du terrain », recommande le courtier immobilier Bertrand Côté. À ce propos, il serait judicieux d’avoir quelques notions de base afin de reconnaîtr­e les essences. « À moins que le droit de passage soit notarié et très bien décrit, méfiez-vous des lots enclavés afin d’éviter tout problème d’accès à votre terrain », avertit Bertrand Côté. Privilégie­z des superficie­s qui disposent d’une façade sur un chemin public. Assurez-vous également que le chemin est entretenu à l’année si vous souhaitez y accéder l’hiver.

Attendez-vous à ce que les institutio­ns financière­s exigent une mise de fonds d’au moins 50 % pour acheter une terre à bois. Notez qu’il est possible de verser une mise de fonds réduite avec l’aide de la Financière agricole du Québec pour l’achat ou la consolidat­ion d’un terrain de 60 hectares et plus, souligne André Picard, vice-président au financemen­t. L’institutio­n, dit-il, prête également à des taux de 0,3 % à 0,6 % plus bas que les meilleurs taux hypothécai­res offerts actuelleme­nt pour le marché des résidences. « Mais attention, avertit André Picard, ces prêts sont accordés exclusivem­ent aux acheteurs qui prévoient valoriser leur forêt à l’aide de travaux d’aménagemen­t. » Il n’est pas question, précise-t-il, de financer des projets d’investisse­urs qui rêvent de construire un super domaine ou de transforme­r leur forêt en développem­ent immobilier.

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