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Quand une chute à la Bourse fait plus mal

Les pertes en Bourse font partie de la vie des investisse­urs. À l’approche de la retraite, une séquence de mauvais rendements peut cependant chambouler complèteme­nt nos projets. Comment s’en protéger ?

- par Sophie Stival

À l’approche de la retraite, une perte en Bourse peut chambouler ses projets. Comment s’en protéger?

Trébucher en Bourse alors qu’on approche de la retraite peut faire très mal. Une récente étude de CFA Montréal montre que l’évolution défavorabl­e des rendements au cours des cinq premières années de la retraite peut grandement affecter le revenu par la suite, et ce, même si le rendement moyen généré sur vos placements est adéquat à long terme.

D’abord, il faut comprendre que le risque financier du retraité atteint son niveau presque maximal au moment de se retirer de la vie active. « En supposant que cette personne ne travaille plus, elle ne contribuer­a plus à son capital sous forme d’épargne, alors qu’elle a devant elle le plus long horizon de retraits à faire. Elle sera donc exposée davantage à une crise qui pourrait survenir tôt à la retraite », explique Jacques Lussier, pré- sident et chef des placements chez Ipsol Capital et auteur de cette recherche.

Afin d’illustrer le phénomène, Jacques Lussier propose d’analyser deux scénarios de rendement sur une période de cinq ans (voir le tableau). On remarque que dans le second scénario, la séquence commence avec un rendement de -20 % alors que dans le premier, elle se termine avec un rendement de -20 %, soit la situation inverse. Dans les deux cas, le rendement moyen composé est identique, soit +5,03 % par année. « Si l’investisse­ur dépose initialeme­nt un montant unique de 5 000 dollars, dans les deux cas, le montant accumulé au bout de cinq ans sera de 6 390 dollars, même si la séquence de la richesse diffère », souligne le chercheur.

La situation devient plus délicate lorsqu’une personne épargne régulièrem­ent et qu’elle dépose, comme dans notre exemple, 1 000 dollars par année pendant

cinq ans. Dans ce cas, le scénario dont la perte survient la dernière année obtient seulement 5 134 dollars alors que celui dont la perte se produit au début de la séquence accumulera un montant de 6 998 dollars. La différence est de près du tiers. Avec des centaines de milliers de dollars en jeu, on devine qu’une perte importante à la toute fin de la phase d’accumulati­on peut causer beaucoup de dégâts.

Selon le cycle de vie de nos épargnes

Pendant la trentaine, alors qu’on commence à épargner, une perte boursière importante est un moindre mal puisqu’elle touche des actifs modestes. Elle peut même nous être favorable si on profite de la reprise du marché en continuant à investir. Quand la perte arrive tardivemen­t, elle touche des sommes nettement plus substantie­lles. « Lorsque notre patrimoine devient important par rapport à notre aptitude à épargner, on souhaitera réduire notre prise de risque en ayant un portefeuil­le de placement moins agressif », rappelle Jacques Lussier.

« Il est impossible de prévoir avec exactitude quel sera le rendement de notre portefeuil­le d’une année à l’autre. Tant et aussi longtemps qu’on n’a pas besoin d’argent, la séquence de nos rendements ne fait aucune différence » , souligne Hélène Gagné, gestionnai­re de portefeuil­le chez Gestion privée Peak et auteure du livre Votre retraite crie au secours. Toutefois, lorsqu’un marché baissier survient au moment d’amorcer nos retraits de capital, cela réduira la durée de vie de notre portefeuil­le.

Tout dépend aussi du taux de décaisseme­nt au moment de prendre sa retraite. « Il faut trouver un juste équilibre entre la préservati­on du capital et un certain potentiel de croissance durant la retraite », précise-t-elle. Les titres obligatair­es vont généraleme­nt jouer le premier rôle, et les actions, le second. Trois ou quatre ans avant les décaisseme­nts, on place une partie de ces sommes dans des placements à revenu fixe de plus courte durée et de grande qualité. Ces montants peuvent être des prises de profits du marché des actions lorsqu’on rééquilibr­e le portefeuil­le.

Envisager une rente viagère

Plusieurs solutions de placement permettent d’atténuer les effets d’une séquence de rendements défavorabl­es. Les fonds à date cible et les produits cycle de vie, par exemple, vont limiter les risques puisque la portion à revenu fixe du portefeuil­le augmente à mesure que les détenteurs vieillisse­nt. « Ces produits ont tendance à réduire de façon significat­ive l’allocation en actions, ce qui diminue le risque, mais aussi le rendement pendant plusieurs décennies », rappelle Jacques Lussier.

Pour contrer ce risque financier, il faudrait plutôt se tourner du côté de la rente viagère, qui permet de retirer un revenu stable garanti à vie. Cela nécessite une ponction de capital en début de retraite, mais procure aussi une paix d’esprit. Un portefeuil­le ayant un pourcentag­e important en rentes pourra soutenir un niveau de risque plus élevé pour la portion restante et donc contenir une plus grande portion d’actions.

Selon les calculs de Jacques Lussier, toucher 30 % de son revenu de retraite en rentes est un choix sensé. Cela inclut les prestation­s de la pension de la Sécurité de la vieillesse ( SV) et du Régime de rentes du Québec (RRQ), qui sont, de plus, indexées au coût de la vie, une clause souvent très coûteuse chez un assureur. Prenons le cas de Marc, un nouveau retraité de 65 ans dont le revenu net individuel s’élève à 65000 dollars

« Je travaille actuelleme­nt à une mécanique de décaisseme­nt qui s’ajuste en période de crise en fonction de la gravité de celle-ci. »

Jacques Lussier, président et chef des placements chez Ipsol Capital

en 2018. Marc a droit au montant mensuel maximal de la SV et du RRQ et reçoit donc des prestation­s mensuelles de 586 dollars et de 1 134 dollars respective­ment. Ses rentes totalisent environ 20000 dollars par année et représente­nt quelque 30 % de son revenu total. Marc ne reçoit aucun autre revenu de pension et doit piger dans ses REER et ses comptes non enregistré­s les sommes manquantes, ce qui nécessite un bon bas de laine. Quant à Marie, 60 ans, sa situation est bien différente puisqu’elle prévoit gagner environ 125 000 $ par année à la retraite, qu’elle souhaite prendre dans cinq ans. Puisque ce montant excède le seuil de 122 843 dollars (en 2018) à partir duquel on n’a plus droit à la SV, elle doit envisager l’achat d’une rente viagère. Si elle veut toucher 30 % de ses revenus sous forme de rentes, soit 37 500 dollars, elle devra déduire de ce montant ses prestation­s du RRQ et tout revenu de pension d’employeur. Elle comblera la portion manquante en magasinant une rente.

Autre donnée qui brouille les cartes : le prolongeme­nt de la durée de la retraite. Nous sommes de plus en plus nombreux à franchir le cap des 90 ans, ce qui augmente le risque de ne pas survivre à notre épargne-retraite. Imaginez si, en plus, vous amorcez votre retraite en pleine crise boursière ! Afin de contrer ce risque de longévité, on peut différer nos rentes viagères. « Puisque la certitude de survie est très élevée dans la soixantain­e, on voudra, dans un monde idéal, différer nos rentes à partir de 80 ans, sinon on risque de payer très cher puisque l’assureur sait bien qu’il est peu probable que cette personne décède » , souligne Daniel Laverdière, directeur principal, Planificat­ion financière et services-conseils chez Banque Nationale Gestion privée 1859.

Malheureus­ement, peu d’assureurs offrent de tels produits chez nous. « Il est possible de différer certaines rentes jusqu’à 5 ans, parfois 10 ans, alors qu’aux États- Unis, c’est beaucoup plus commun » , constate Jacques Lussier. On pourrait également la préfinance­r soi-même en mettant de côté des sommes à 65 ans qu’on investit de manière prudente afin d’atteindre, dans 15 ans, par exemple, le coût de la prime. « Si, dans une dizaine d’années, je réalise que je n’en ai plus besoin en raison de ren-dements favorables ou encore, si je suis malade, j’aurai l’option de ne pas l’acheter », précise Daniel Laverdière.

Faire des projection­s avant la retraite

Dans un monde idéal, on voudrait que nos décaisseme­nts à la retraite soient plus faibles en cas de rendements défavorabl­es ou de crise majeure, notamment au début de la retraite. Il y a toutefois une limite à notre capacité à ajuster les retraits à la baisse. Si la valeur de nos placements chute de 20 %, on ne peut pas nécessaire­ment diminuer notre train de vie de façon aussi draconienn­e. Personne n’envisagera de manger des macaronis au fromage quand ça va mal et de magasiner une croisière autour du monde quand le marché s’emballe… « Je travaille actuelleme­nt à une mécanique (algorithme) de décaisseme­nt qui s’ajuste en période de crise en fonction de la gravité de celle-ci, de l’âge et de la santé du retraité. Cela fera partie d’un livre que j’écris présenteme­nt », indique Jacques Lussier.

Soyons francs: des chutes boursières de 20 % ou de 25 %, ça n’arrive pas chaque année. Ceux qui ont pris leur retraite pendant la crise financière de 2008-2009 ont donc été assez malchanceu­x.

Selon Daniel Laverdière, on peut déjouer ces scénarios catastroph­es en faisant, dans la quarantain­e et la cinquantai­ne, des projection­s financière­s qui nous donneront une meilleure idée de notre revenu annuel soutenable à la retraite. N’oublions pas non plus que les retraités ont rarement tous leurs avoirs investis dans les actions. Ces scénarios tiendront compte de notre profil d’investisse­ur et reposeront sur différente­s hypothèses quant à l’inflation future, à l’espérance de vie et aux rendements moyens projetés des différente­s catégories d’actifs. Il est alors possible de simuler une forte baisse boursière la première année suivant la retraite afin d’en mesurer les effets. On peut aussi projeter un rendement moyen de 1% inférieur aux attentes afin d’avoir un portrait plus prudent de la situation. « Prendre une seule photo au haut du marché ou au lendemain d’une débâcle financière peut mener, croit Daniel Laverdière, à des attentes irréaliste­s ou à des scénarios trop pessimiste­s. »

« Tant et aussi longtemps qu’on n’a pas besoin d’argent, la séquence de nos rendements ne fait aucune différence. » Hélène Gagné, gestionnai­re de portefeuil­le chez Gestion privée Peak

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