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COMPRENDRE LA PERFORMANC­E ET SES FRAIS DE PLACEMENTS

De récentes règles permettent aujourd’hui aux investisse­urs de mesurer la valeur des conseils financiers reçus. Encore faut-il trouver et comprendre l’informatio­n fournie par notre institutio­n financière.

- Par Sophie Stival

L’acronyme est rebutant. Le MRCC2 ou « Modèle de relation client-conseiller - Phase 2» est une série de règles qui obligent le secteur des valeurs mobilières à plus de transparen­ce. Désormais, si vous faites affaire avec un courtier en placement ou un représenta­nt en épargne collective, par exemple, on doit vous remettre chaque année un relevé, papier ou numérique, qui détaille la performanc­e de vos placements et les frais en dollars (une partie du moins) prélevés dans votre portefeuil­le. Ces changement­s réglementa­ires mis de l’avant par les Autorités canadienne­s en valeurs mobilières (ACVM) visent à informer les investisse­urs afin qu’ils prennent des décisions financière­s plus éclairées.

Jany Renaud traite avec trois institutio­ns financière­s pour ses placements. Comme bien des Québécois, son épargne est essentiell­ement investie dans des fonds communs de placement. Elle reçoit des relevés trimestrie­ls de ces firmes. Jusqu’ici, la comptable de 56 ans colligeait les valeurs marchandes de ses placements dans un chiffrier Excel afin d’avoir une vue d’ensemble de ses actifs et de mieux comprendre sa situation financière. Elle pointe le diagramme circulaire qui détaille son allocation d’actifs. « Où se trouvent mes rendements? Ce n’est pas clair. Je ne sais pas où regarder », observe-t-elle. Les pourcentag­es représenté­s par des pointes de tarte colorées oscillent entre 5,68% et 33,16 % et sont des pondératio­ns accordées aux types d’actions et d’obligation­s détenues dans son portefeuil­le. Ce ne sont en rien des taux de rendement.

Jany n’avait pas remarqué que ses relevés au 31 décembre 2018 lui fournissai­ent davantage d’informatio­ns qu’habituelle­ment. Dans le cas de ses comptes enregistré­s de régimes d’épargne-retraite (REER), deux annexes sont ajoutées à la fin de son relevé de 10 pages: Rapport de rendement des placements (2018) et Rapport de frais et de

rémunérati­on (2018). L’écriture est très petite et il y a quelques définition­s. Dans le premier rapport, on trouve son taux de rendement personnel des trois dernières années et celui de 2018, qui est négatif. « Je sais que le marché boursier canadien n’a pas bien performé l’an dernier, alors cela ne m’étonne pas, précise-t-elle. Mon conseiller m’en avait fait part. »

Notons que le taux de rendement personnel tient compte des dépôts et des retraits effectués par Jany durant la dernière année. Cela lui permet de voir si elle atteint ses objectifs financiers personnels, mais cette mesure n’est pas utile pour évaluer la performanc­e des gestionnai­res de fonds commun de placement qu’a choisi son représenta­nt. Pour ce faire, il faudrait plutôt calculer le taux de rendement pondéré en fonction du temps qui exclut les mouvements d’encaisse dans son compte. En d’autres mots, si Jany n’effectue aucun dépôt ou retrait en argent dans son compte une année donnée, son taux de rendement personnel sera équivalent au taux de rendement pondéré en fonction du temps.

Pourtant, ce taux de rendement n’est pas fourni dans les rapports de Jany. « On veut probableme­nt éviter que l’investisse­ur soit encore plus mêlé en observant deux taux de rendement pour un même compte », souligne Maxime Gauthier, chef de la conformité et représenta­nt en épargne collective chez Mérici services financiers. Le taux de rendement personnel permet à l’investisse­ur de mieux mesurer les impacts de ses comporteme­nts sur ses rendements lorsqu’il dépose ou retire des sommes dans son compte. « Contrairem­ent à ce que certains croient, ce rendement ne permet pas de juger de la valeur ajoutée du courtier ou du représenta­nt quant à la sélection des fonds qu’il a faite pour son client », explique Maxime Gauthier.

Certaines firmes de courtage de plein exercice fournissen­t ces deux taux dans leur relevé annuel, mais cela demeure assez rare, semble-t-il. Lorsque c’est le cas, en plus du taux de rendement pondéré en fonction du temps, on pourrait ajouter le rendement d’un indice de référence. Cela permet à l’investisse­ur de comparer sa performanc­e à celle du marché. « Le relevé annuel devra alors donner une descriptio­n de l’indice utilisé, et son choix doit être pertinent par rapport aux placements dans le portefeuil­le du client », ajoute Maxime Gauthier. Ainsi, on pourrait trouver dans un même rapport de performanc­e trois taux de rendement. Il va sans dire qu’en l’absence d’explicatio­ns, l’investisse­ur risque de s’y perdre…

Comprendre ses frais

Qu’en est-il de frais? Dans son compte REER, Jany a payé l’an dernier 425,22 dollars, soit un peu plus de 1 % de ses actifs en commission de vente et commission de suivi à son représenta­nt. Elle trouve cela raisonnabl­e. Jany ignore cependant que tous les frais de gestion de ses fonds ne sont pas divulgués dans ce rapport annuel. «Présenteme­nt, la portion des frais qui est versée aux gestionnai­res des fonds n’est pas divulguée, ce qui pourrait s’élever à 1% par année, voire plus», confirme Maxime Gauthier. Ils n’apparaisse­nt donc pas dans le relevé annuel de frais, bien qu’ils viennent réduire la performanc­e financière du fonds et, ultimement, celle de l’investisse­ur.

Ainsi, seule une partie des frais payés au gestionnai­re du fonds est versée à la société de courtage ou au représenta­nt en échange des services offerts à leurs clients. Ce qu’on appelle habituelle­ment les commission­s de suivi est versé annuelleme­nt durant toute la période de détention du fonds par l’investisse­ur. Cette rémunérati­on pourrait aussi inclure des frais d’acquisitio­n qui sont prélevés sur le montant lors de l’achat. Finalement, dans ce relevé annuel de frais, on trouve aussi tous les dépenses administra­tives liées au compte, comme des frais de transfert, des frais annuels, etc.

«Nous sommes en faveur d’une pleine divulgatio­n du ratio de frais de gestion (RFG) et des sommes versées aux gestionnai­res des placements », tient à préciser Paul Bourque, président de l’institut des fonds d’investisse­ment du Canada (IFIC). Ce dernier travaille en collaborat­ion avec l’associatio­n canadienne des courtiers de fonds mutuels afin de trouver des moyens de produire ces chiffres. Les manufactur­iers de fonds doivent adapter leurs systèmes informatiq­ues afin de ventiler client par client les montants payés par chaque investisse­ur, ce qui prendra encore un certain temps. De toute façon, aucune exigence réglementa­ire n’oblige encore la divulgatio­n complète du RFG.

Quant aux épargnants qui placent leur pécule avec une firme de courtage de plein exercice, tel qu’un conseiller en placement ou un gestionnai­re de portefeuil­le inscrit, ils paieront parfois des honoraires.

Ce pourcentag­e annuel dépend généraleme­nt des actifs sous gestion avec la firme. D’autres vont facturer des frais à la transactio­n, soit à l’achat ou à la vente de titres. L’ensemble de cette rémunérati­on devra se trouver dans le sommaire des frais à la fin de l’année tout comme les frais d’exploitati­on ainsi que les frais reçus de tierces parties par le courtier.

Il est important de rappeler que cette plus grande transparen­ce imposée au secteur des valeurs mobilières ne touche pas seulement les fonds communs de placement. Ceux qui détiennent des actions et des obligation­s individuel­les, par exemple, doivent également recevoir des relevés de performanc­e et de rémunérati­on chaque année de la part de leur institutio­n financière. Il y a cependant des exceptions : les certificat­s de placement garanti (CPG) bancaires, les produits d’assurance, comme les fonds distincts et les rentes, ne sont notamment pas assujettis à cette règle de divulgatio­n des frais et des rendements. Rien pour faciliter la compréhens­ion des investisse­urs !

Que disent les sondages ?

Soyons francs, l’investisse­ur ne sait bien souvent pas quel rendement son portefeuil­le a généré ni combien il paie son représenta­nt. Selon un sondage pancanadie­n mené par Credo Consulting, en partenaria­t avec le journal Finance et Investisse­ment, la proportion de Canadiens croyant payer pour les conseils financiers qu’ils reçoivent demeure faible.

L’étude « Zone de confort financier », menée en ligne tous les mois, a permis jusqu’ici d’interroger 38 500 Canadiens. « Alors qu’au deuxième trimestre de 2016, seulement un tiers des investisse­urs sondés admettent avoir payé des frais pour les conseils financiers reçus, ce pourcentag­e grimpe à 42 % au troisième trimestre de 2018. Malgré cette améliorati­on, on constate que la majorité des répondants pensent ne rien débourser, ce qui est étonnant », affirme Brandon Bertelsen, directeur de la recherche de la firme ontarienne.

Pour bien des épargnants, gérer ses placements demeure un sujet fastidieux et intimidant. «Si l’investisse­ur comprenait mieux l’impact financier de payer trop de frais, année après année, il se renseigner­ait davantage, souligne Yves Rebetez, consultant chez Credo. Lorsqu’on réalise que des frais démesurés peuvent gruger jusqu’à 30 % de notre pécule au cours d’une vie, ne pas savoir et ne pas comprendre sont effectivem­ent des erreurs coûteuses. Cela représente des dizaines voire des centaines de milliers de dollars. »

Selon Maxime Gauthier, cette perception de ne pas payer pour des conseils financiers est probableme­nt plus importante dans la frange de la population qui traite avec une succursale bancaire. «La personne qui prodigue des conseils en succursale est souvent payée par l’institutio­n financière et non par le manufactur­ier des fonds d’investisse­ment. Ce ne sont pas des commission­s de suivi comme c’est le cas dans les réseaux indépendan­ts ou les firmes de courtage en valeurs mobilières », avance le représenta­nt en épargne collective.

L’IFIC sonde également chaque année 1 000 investisse­urs en fonds communs de placement et, pour la première fois, en 2019, 500 détenteurs de fonds négociés en Bourse (FNB). Cette enquête téléphoniq­ue menée par la firme de recherche indépendan­te Pollara permet de dresser certains constats postmrcc2.

Ainsi, environ les trois quarts des répondants se rappellent avoir reçu leurs relevés annuels de frais et de rendement. Encore doivent-ils les lire : le plus récent sondage révèle que 63 % des investisse­urs en fonds communs de placement l’ont fait. Là où le bât blesse, c’est lorsqu’on évalue la qualité de l’informatio­n qui se trouve dans ces relevés annuels. À la question «Le relevé indique clairement les frais que je paie à la société de mon conseiller ou courtier », environ la moitié seulement des répondants considère que cette informatio­n est bonne ou excellente. Quant à la facilité à comprendre ces relevés, plus des deux tiers (67%) des répondants disent que c’est le cas, bien que ce chiffre s’élevait à 82 % en 2017. Il reste donc du travail à faire pour améliorer les perception­s, reconnaît Paul Bourque.

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