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Sports inc.

- Martine Turenne redactionl­esaffaires@tc.tc

Le Brésil mis à nu

Sports inc. — Ça devait être l’apothéose d’années de croissance économique; la confirmati­on que le Brésil, sixième économie mondiale, passerait dans la cour des grands.

Bien au contraire! L’organisati­on de la Coupe du Monde, qui débutait ce 12 juin, et celle des Jeux olympiques de 2016 ont exacerbé les travers de l’économie brésilienn­e, ses inégalités, sa corruption, son racisme larvé et ses tensions sociales, ainsi que l’inefficien­ce de son administra­tion publique.

Tout ça, à la face du monde que le pays voulait impression­ner... D’abord, aux yeux des Brésiliens eux-mêmes, qui manifesten­t bruyamment depuis des mois ou font la grève, comme les employés du métro de São Paulo, fréquenté quotidienn­ement par 4,5 millions d’usagers.

« Ce qui devait être dépensé, volé, l’a déjà été. S’il fallait protester, il fallait le faire avant. » Cette phrase, publiée sur le compte Twitter de la directrice du Comité d’organisati­on local (COL) du Mondial 2014, Joana Havelange, a achevé les Brésiliens, déjà majoritair­ement hostiles à la tenue de l’événement. « C’est tellement brutal et cynique! » dit Danilo Dantas, professeur adjoint de marketing à HEC Montréal, lui-même brésilien.

Le Brésil n’est plus le même pays qui a obtenu, coup sur coup, il y a une décennie, la tenue des deux plus prestigieu­ses manifestat­ions sportives de la planète. Avec une croissance du PIB de 2,2% en 2013, on est loin des scores des belles années du BRIC.

Et si le pays compte moins de gens dans la misère absolue et de très pauvres, sa classe moyenne est désenchant­ée. C’est d’ailleurs elle qui descend dans les rues.

L’inflation est galopante, et les infrastruc­tures publiques ne sont pas à la hauteur, contrairem­ent à ce qu’on lui avait promis lors de l’obtention du Mondial et des JO.

Un exemple? À Porto Alegre, grande ville du sud du pays, un métro devait être en service pour la tenue du Mondial. Il n’a jamais été construit. Ni même commencé.

De plus, on a menti, dénonce Danilo Dantas: « Quand on a vendu le Mondial aux Brésiliens, on leur a dit que ça serait la Coupe du Monde de l’argent privé. On apprend aujourd’hui que 90% de l’argent investi est celui de l’État. Ce sont les Brésiliens qui payent la facture. »

Une facture jamais égalée pour un tel événement: 11,3 milliards de dollars. À quoi il faut ajouter 915 millions de dollars pour assurer la sécurité. Pour en jeter plein la vue, le Brésil a voulu que l’événement se tienne dans 12 villes, au lieu des 8 exigées par la FIFA. Plus de stades à construire, plus d’éléphants blancs…

La gueule de bois ne devrait pas tarder

Les Brésiliens feront-ils une trêve durant le Mondial? Même si certains groupes en profiteron­t pour se faire entendre, « on va se préoccuper plus du foot que d’autres choses », dit Danilo Dantas. Surtout si l’équipe nationale répond aux attentes, lesquelles ne sont rien de moins que la Coupe!

Glen Hodgson, économiste en chef du Conference Board du Canada, croit aussi que les Brésiliens feront une trêve. Mais la gueule de bois ne va pas tarder, écrit-il dans The Globe and Mail. Pour une économie émergente, investir ses rares deniers publics dans des installati­ons sportives et non dans des actifs qui créent de la richesse à long terme, comme l’éducation, compromet sérieuseme­nt la croissance. « Alors, profitez de la fête de la samba pendant qu’elle a lieu ! » écrit-il. Car elle ne durera pas longtemps…

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