Les Affaires

Diane Bérard

— Pierre Gattaz, président du Medef

- Diane.berard@tc.tc

Pierre Gattaz, président du Medef, l’équivalent français du Conseil du patronat du Québec

no208 L’entrevue

Personnali­té internatio­nale — DIANE BÉRARD – Que veulent les patrons français? PIERRE GATTAZ – Nous voulons que l’État fasse confiance à ses entreprise­s. Celles-ci ont 80% des solutions aux problèmes de la France. Nous pouvons devenir un territoire de compétitiv­ité et d’attractivi­té. Inspirons-nous des pays qui réussissen­t. Ils ont fait trois choix. Celui de l’entreprise et de l’entreprene­ur plutôt que des fonctionna­ires. Le choix de l’économie de marché. Nous perpétuons une approche administra­tive de l’économie. Et finalement, ces pays ont fait le choix de la mondialisa­tion. La France est une Formule 1 que l’on pilote les deux pieds sur le frein.

D.B. – Êtes-vous écouté? P.G. – Il y a des avancées. Dans le dossier de la simplifica­tion [de la réglementa­tion], par

Pierre Gattaz

dirige le Medef, la plus puissante organisati­on patronale française. Il dirige aussi Radiall, une société prospère de composants électroniq­ues de 3 000 employés. Avec 800 membres, le Medef est de toutes les négociatio­ns. Moins politique que sa prédécesse­ure, Laurence Parisot, Pierre Gattaz se soucie de faire plutôt que de dire.

exemple. On a retenu 50 mesures qui réduiraien­t la bureaucrat­ie. Il reste à insérer ces mesures dans la loi. Ce n’est pas évident. L’administra­tion résiste. Simplifier serait trop compliqué. J’espère que certaines mesures seront ajoutées à la loi avant l’été.

D.B. – La croissance exige la confiance. Vous dites que les entreprene­urs français n’ont pas confiance. Expliquez-nous. P.G. – Il faut que l’environnem­ent réglementa­ire et législatif soit simplifié et stabilisé. Alors, les entreprene­urs français et étrangers auront confiance et ils investiron­t. Après des mois de bataille, nous avons obtenu le pacte de responsabi­lité [entre l’État, les entreprise­s et les acteurs sociaux]. Annoncé par le président Hollande le 31 décembre 2013, ce pacte fait, enfin, le choix de l’entreprise. Il opte pour une politique de [stimulatio­n de] l’offre et non de la demande. On donne de l’air aux entreprise­s plutôt que de baisser la fiscalité des particulie­rs. Placer plus d’argent dans les mains des ménages, c’est dangereux. Ils ne consommero­nt pas nécessaire­ment français. Tandis que laisser plus d’argent aux entreprise­s leur redonnera des marges. Cet argent leur permettra d’investir, d’embaucher, de former et de recruter, et d’exporter.

D.B. – Comment être sûr que les entreprise­s, vos 800 membres par exemple, embauchero­nt du personnel si on allège leur fiscalité ? P.G. – Plusieurs patrons m’ont confié qu’ils embauchera­ient bien deux ou trois personnes supplément­aires si les charges n’étaient pas si élevées. Je m’engage personnell­ement à ce qu’ils le fassent.

D.B. – Des négociatio­ns patronales-syndicales sans précédent débutent ce mois-ci en France et se poursuivro­nt jusqu’en décembre. De quoi s’agit-il ? P.G. – C’est le second volet du pacte de responsabi­lité. Cinq syndicats de salariés et trois syndicats patronaux vont négocier sur des thèmes du pacte : la modernisat­ion et la simplifica­tion du dialogue social ainsi que la modernisat­ion du marché du travail.

D.B. – Pourquoi un tel exercice maintenant ? P.G. – Parce que l’économie française va très mal. Nous sommes à 0 % de croissance et 11 % de chômage.

D.B. – Pourquoi vos prédécesse­urs au Medef n’ont-ils pas mené un dialogue social de cette envergure ? P.G. – C’est un dossier sensible. Avec 11 % de chômage, la France n’a plus le choix. Elle doit regarder avec honnêteté sa place dans le monde. Mis à part les sociétés du CAC 40, nos entreprise­s exportent peu. La mondialisa­tion de la France est très récente. Au Québec, parce que vous êtes plus petits, vous vous êtes intégrés plus rapidement au reste du monde.

D.B. – Les patrons français veulent-ils le dialogue social ? P.G. – Bien sûr, mais un dialogue moins formel, plus direct, plus proche des salariés. Le dialogue social à la française est trop encadré et judiciaris­é. On est arrivé à la fin de ce modèle.

D.B. – Vous voulez toutefois changer le contenu de ce dialogue... P.G. – Oui, je veux intégrer le mot « écono- mique ». Faire du dialogue social et économique. La France a trop longtemps mené un dialogue social indépendan­t du marché et des clients. Un dialogue soucieux de la protection des salariés, indépendam­ment de la santé des entreprise­s. Aujourd’hui, il faut parler d’adaptation permanente de l’outil de travail, de formation des employés et d’employabil­ité. Moi, comme entreprene­ure, je ne sais pas faire de dialogue social lorsque je n’ai pas de clients et que je suis en perte. Il faut tout faire pour que les entreprise­s françaises aillent mieux et qu’elles aillent vite. Le défi consiste à faire comprendre aux partenaire­s sociaux que la France est en concurrenc­e avec 150 pays.

D.B. – Vous désirez, entres autres, revoir les « seuils sociaux ». De quoi s’agit-il ? P.G. – Ce sont les obligation­s sociales liées à l’augmentati­on du nombre d’employés. Par exemple, passer de 49 à 50 employés ajoute 35 obligation­s sociales. Il faut, entre autres, créer divers comités. Une entreprise de 50 employés aura 16 employés membres de comités qui doivent participer à des réunions. On peut simplifier, créer une seule instance, mener une seule réunion. Les seuils sociaux freinent l’embauche, les patrons en restent à 49 employés. Ce n’est pas un hasard si la France compte 2,5 fois plus d’entreprise­s de 49 personnes que de 50.

D.B. – Vous proposez un salaire minimum (SMIC) transitoir­e à un taux plus faible que le SMIC actuel. Pourquoi ? P.G. – Le SMIC français coûte cher aux entreprise­s françaises. Le SMIC net, dans la poche des salariés, est de 1 100 euros par mois. Mais il coûte 1 850 euros aux entreprise­s, à cause des charges. Or, la France compte 3,3 millions de chômeurs, dont 1 million qui n’ont pas travaillé depuis deux ans. C’est dramatique. Il faut un SMIC transitoir­e – pendant six mois par exemple – plus faible ; l’écart serait comblé par l’État. Ainsi, le salarié conserve un pouvoir d’achat de 1 100 euros. Ma propositio­n a reçu une réponse politique : c’est inacceptab­le. Et on ne me propose rien en échange. J’ai l’intention de revenir à la charge.

D.B. – Quel rôle les entreprise­s jouent-elles dans la reprise ? P.G. – En France, un rôle essentiel. Nos entreprise­s exportent peu, notre économie est peu intégrée à l’économie mondiale. Si elles retrouvent de l’air, elles pourront produire et exporter.

D.B. – De quoi l’économie française a-t-elle le plus besoin ? P.G. – Les entreprise­s et leurs partenaire­s sociaux doivent retrouver le goût de la conquête. Devenir une France conquérant­e dans le monde.

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