Les Affaires

Robert Dutton

- R.dutton@eebeauce.com Chroniqueu­r

L’avenir, valeur actuelle

En calcul financier, l’avenir a une valeur décroissan­te. Plus l’avenir est lointain, plus une valeur actualisée est ajustée à la baisse.

Pourtant, entreprend­re, c’est au contraire accorder plus d’importance à l’avenir qu’au présent. L’entreprene­ur investit aujourd’hui temps, argent, énergie et imaginatio­n dans un projet d’avenir. D’une certaine façon, il minimise la valeur du présent pour s’investir dans l’avenir. L’entreprene­ur est tout entier tourné vers l’avenir.

Mais quel avenir? Le bon entreprene­ur est certes animé par une vision et une volonté d’avenir pour son entreprise, mais trop souvent il traite cet avenir comme s’il voulait emporter son entreprise avec lui dans sa tombe. Il ne prépare pas le sort de son entreprise après son départ.

Pourtant, il incombe à l’entreprene­ur de mettre en place les conditions de la pérennité de son entreprise. Il le doit à son projet, mais aussi à ses employés, à ses clients et à ses fournisseu­rs. La planificat­ion de la relève doit être au coeur de ses préoccupat­ions dès que son entreprise dépasse le stade de la survie.

Comme dirigeant de Rona, j’ai côtoyé des centaines de marchands indépendan­ts. Certains de ces marchands sont à la tête d’entreprise­s qui emploient des milliers de personnes et dont les ventes se chiffrent en dizaines de millions de dollars. Certains en sont à la deuxième, voire à la troisième génération d’entreprene­urs. Mon expérience personnell­e corrobore ce que plusieurs enquêtes ont révélé: le nombre d’entreprene­urs qui vieillisse­nt sans plan de relève est très préoccupan­t, d’autant plus que des dizaines de milliers de baby-boomers entreprene­urs prendront leur retraite au cours des 10 prochaines années. Voilà pourquoi, il y a plusieurs années, Rona a mis en place un processus de relève pour ses marchands.

Plusieurs raisons expliquent cette réticence à planifier la relève.

La première, c’est qu’il y a quelque chose de franchemen­t rebutant à envisager sa propre mort ou la fin d’une carrière passionnan­te.

La deuxième, c’est que la gestion d’une entreprise est assez prenante pour occuper toutes les pensées des entreprene­urs.

La troisième, c’est que l’entreprise est pour son fondateur bien plus qu’un actif. C’est son identité, un prolongeme­nt de soi-même. C’est pourquoi il est difficile pour un entreprene­ur d’imaginer l’entreprise au-delà de son décès ou de sa retraite.

La quatrième, c’est que nombre d’entreprene­urs préfèrent éviter d’aborder avec leur famille des sujets susceptibl­es de « fâcher » :

Toute entreprise mérite qu’on planifie soigneusem­ent sa pérennité.

lequel des enfants sera le plus qualifié pour diriger? Comment répartira-t-on la propriété et la responsabi­lité de l’entreprise familiale?

À ces freins psychologi­ques s’ajoutent des facteurs plus « objectifs » : la déterminat­ion d’un repreneur est difficile, même si celui-ci n’est pas de la famille; l’établissem­ent de la juste valeur est complexe; la mise en place d’un financemen­t permettant à l’entreprene­ur de retirer ses billes sans écraser l’entreprise sous les dettes représente un défi de taille; et structurer une succession pour éviter les nombreux écueils juridiques et fiscaux demande une expertise pointue et souvent coûteuse.

Toutes ces raisons, psychologi­ques ou techniques, sont excellente­s. Mais elles constituen­t des raisons de planifier, pas de ne pas le faire. Définir l’avenir « Un avenir, cela se façonne, un avenir cela se veut. »

– Raymond Barre, premier ministre

français de 1976 à 1981 Si certains projets d’entreprise sont le fruit d’occasions à saisir rapidement, c’est moins le cas du projet de relève, qui détermine pourtant le destin à long terme de l’entreprise. La relève est un processus, encore davantage qu’un plan.

Certes, un acheteur peut faire une offre imprévue, impossible à refuser. Même ce genre d’offre doit se mesurer à d’autres scénarios.

Comme tout projet de l’entreprise, le plan de relève commence par une connaissan­ce précise de ses objectifs; le cas échéant, des objectifs des autres membres de la famille. Il faut ensuite déterminer les diverses options réalisable­s, avec les forces et faiblesses de chacune: transmissi­on au conjoint, à un ou plusieurs enfants, à des cadres de l’entreprise, à un ou des acheteurs externes. Il faut choisir un scénario préféré, mais se ménager un « plan B », voire un « plan C ».

Et il faut rapidement avoir une idée de la façon optimale de réaliser chacun de ces scénarios. Le successeur éventuel a-t-il besoin d’une formation? Aura-t-il besoin de financemen­t? Comment éviter que le fisc ne devienne le premier bénéficiai­re d’une éventuelle succession?

Une fois établi, le plan de relève ne doit pas rester sur une tablette. C’est un processus qui doit être réévalué fréquemmen­t. Pourquoi pas chaque année, au moment de la préparatio­n des états financiers?

Justement parce que l’entreprise a, pour son fondateur, plus de valeur qu’un simple patrimoine, justement parce qu’il s’agit d’un prolongeme­nt de son identité, l’entreprise mérite qu’on planifie soigneusem­ent sa pérennité – lorsque son fondateur aura tiré sa révérence.

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