VAINCRE LES OBSTACLES INVISIBLES
Les préjugés sexistes tenaces nuisent trop souvent au processus d’apprentissage du leadership. Voici comment remédier au problème.
Femmes aux commandes — Amanda, une banquière d’affaires dans la trentaine, voyait sa carrière atteindre un point mort, car, selon les dires, elle manquait de charisme face aux clients (majoritairement des hommes plus âgés) et n’intervenait pas assez pendant les réunions. Jusqu’au jour où on lui confia le dossier de deux clients, dont la direction financière était assurée par des femmes qui surent apprécier son intelligence et sa gestion habile de leurs besoins et inquiétudes. Chacune, à sa façon, prit l’initiative d’améliorer l’image d’Amanda, l’une en requérant sa présence à toutes les réunions importantes, et l’autre en refusant tout autre interlocuteur.
Ainsi, la crédibilité d’Amanda dans l’entreprise s’accrut. Ses collègues et ses superviseurs commencèrent à la considérer non plus comme une simple gestionnaire de projet compétente, mais également comme une conseillère de confiance pour les clients. Ces relations, à l’interne comme à l’externe, ont donné à Amanda la confiance nécessaire pour articuler des idées et les exprimer sans détour à ses collègues ou aux clients. Ses superviseurs ont conclu qu’elle était finalement « sortie de sa coquille » et qu’elle avait mis les bouchées doubles pour devenir une femme de tête.
Cet exemple illustre comment on devient un leader: en intériorisant l’identité de dirigeant et en acquérant une grande détermination. À mesure que les capacités de leadership d’une personne augmentent et que les occasions d’en faire la preuve se multiplient, elle accroît ses chances de se voir confier des tâches importantes et ardues, et de bénéficier d’autres appuis dans l’organisation. Une telle affirmation lui donne le courage de sortir de sa zone de confort et d’adopter des comportements nouveaux et de nouvelles méthodes de leadership.
Ce processus est souvent plus difficile pour les femmes que pour les hommes, en raison de préjugés insidieux. Par exemple, on félicitera un homme pour son assurance, tandis que la femme qui adoptera le même comportement sera considérée comme agressive et sera dénigrée.
C’est en montrant du doigt ces préjugés qu’on peut aider les hommes et les femmes à comprendre cet état de fait. Ainsi, les femmes pourront se concentrer sur leurs compétences en leadership plutôt que sur le jugement d’autrui.
L’histoire d’Amanda montre que le potentiel de leadership des femmes se traduit parfois de manière moins traditionnelle (en répondant aux besoins des clients, par exemple, plutôt qu’en étant campé sur ses positions) et que sa reconnaissance nécessite l’intervention de femmes influentes. Malheureusement, celles-ci sont peu nombreuses.
Malgré l’absence d’un biais discriminatoire, des formes de préjugés sexistes insidieux de « deuxième génération » peuvent entraver le développement de l’identité de leader chez tout le personnel féminin d’une entreprise. Il en résulte une sous-représentation des femmes aux postes à responsabilités, ce qui renforce les convictions bien ancrées et favorise la nomination d’hommes, maintenant ainsi le statu quo.
Voici les trois mesures que nous proposons pour favoriser l’accès des femmes à des postes de direction: 1 Sensibiliser les gens au sexisme de deuxième génération Les femmes sont confrontées à des barrières subtiles, voire invisibles, fondées sur des présupposés culturels et des structures, des pratiques et des modèles organisationnels d’interaction qui les désavantagent et profitent involontairement aux hommes: le manque de modèles féminins, des carrières et des métiers traditionnellement réservés aux hommes, l’accès insuffisant des femmes à des réseaux et à des mentors.
Le sexisme de deuxième génération repose sur des stéréotypes et des pratiques organisationnelles qui peuvent être difficiles à détecter, mais c’est en y étant sensibilisé qu’on peut les changer. Dans le cadre de notre travail sur des programmes de développement du leadership, nous adoptons une démarche fondée sur les « petites victoires ».
Ainsi, le groupe de travail d’une entreprise de fabrication s’est rendu compte que les chefs avaient tendance à embaucher et à promouvoir des personnes, principalement des hommes, au parcours et à la carrière similaires aux leurs. Et ils avaient de bonnes raisons d’agir de la sorte: en plus d’une certaine difficulté à trouver des ingénieurs chevronnés, la direction était soumise à des contraintes de temps pour pourvoir les postes. Toutefois, après s’être aperçue des coûts cachés de cette pratique (roulement de personnel élevé, difficulté à attirer des femmes et manque de diversité pour s’adapter à l’éventail de clients), la société a adopté la démarche des « petites victoires ». Certains cadres se sont par exemple engagés à revoir les critères des postes de direction. Un chef a déclaré: « Nous élaborons les descriptions de poste, c’est-à-dire la liste des compétences, en fonction d’un idéal. Nous savons que les hommes poseront leur candidature, même s’ils ne remplissent pas tous les critères, là où les femmes auraient tendance à s’abstenir. Désormais, nous dressons la liste des compétences requises pour le poste, plutôt que de chercher un profil irréaliste. Nous avons embauché davantage de femmes à ces postes, ce qui n’a absolument pas nui à la performance. »
Créer des 2 « milieux favorables à l’épanouissement du leadership féminin » Au sommet de l’organisation, les femmes se font de plus en plus rares, ce qui accroît leur visibilité et l’examen de leurs moindres faits et gestes. Elles sont ainsi susceptibles de développer une aversion au risque, de se concentrer sur les détails et de perdre leur détermination. C’est pourquoi un milieu favorable à l’apprentissage, l’expérimentation et l’esprit communautaire est essentiel aux programmes de développement du leadership féminin.
Les entreprises devraient encoura-
ger la formation de groupes dans lesquels des femmes de mêmes niveaux hiérarchiques pourraient discuter de leur rétroaction, échanger leurs impressions et offrir un soutien émotionnel à leurs pairs en ce qui a trait à leur apprentissage. En se rendant compte qu’elles partagent des expériences similaires, les femmes auront davantage envie de parler ouvertement, de prendre des risques et de se montrer vulnérables sans craindre le jugement ou l’incompréhension. Ces liens sont particulièrement importants quand les femmes discutent de sujets délicats tels que les préjugés sexistes, ou réfléchissent aux défis de leadership auxquels elles sont confrontées et qui peuvent facilement menacer leur identité et les pousser à rejeter toute critique. Quand elles évaluent sans détour les facteurs culturels, organisationnels et individuels qui façonnent leur comportement, les femmes peuvent définir avec cohérence leur identité et ce qu’elles veulent devenir.
Axer les efforts 3 sur une volonté de leadership Lors d’une récente entrevue avec l’équipe de presse de Hillary Clinton, un journaliste aguerri a déclaré: « Nos articles ne reprennent pas tant ce qu’elle dit que ce qu’on veut qu’elle dise. Quand elle s’exprime, on s’inté- resse toujours à son attitude. » De son côté, Hillary Clinton affirme qu’elle a baissé les bras et qu’elle se concentre entièrement sur la tâche à accomplir.
En adoptant une attitude déterminée, les femmes concentrent leur attention sur des objectifs communs et réfléchissent à la personne qu’elles souhaitent devenir et à ce qu’elles doivent apprendre pour y parvenir. Plutôt que de se définir en fonction de stéréotypes sexuels, qu’elles rejettent les stratégies typiquement masculines parce qu’elles sonnent faux ou qu’elles écartent les démarches jugées féminines par crainte de paraître incompétentes, les femmes leaders peuvent se comporter de manière à atteindre leurs objectifs.
En se concentrant sur leur détermination, les femmes peuvent également s’adonner à des activités essentielles à leur réussite, comme le réseautage. En ce qui les concerne, les liens ne se tissent pas d’eux-mêmes. Elles doivent prendre les devants. Cependant, nous avons également constaté que de nombreuses femmes évitent le réseautage, car elles y voient quelque chose de faux (il s’agit d’établir des relations purement transactionnelles qui leur semblent instrumentales) ou parce qu’il évoque des activités (le golf, par exemple) qui ne les intéressent pas ou pour lesquelles elles n’ont pas de temps en raison de leurs responsabilités familiales. Cependant, lorsqu’elles y voient un moyen d’atteindre un objectif plus vaste, comme le développement de nouvelles activités pour promouvoir leur vision de leur société, elles se sentent plus à l’aise d’y prendre part.
Apprendre à être un leader efficace revient à acquérir une compétence complexe: il ne s’agit pas d’un processus naturel, et cela requiert habituellement beaucoup d’entraînement. Les transitions réussies vers des postes de haute direction reposent sur l’abandon des identités professionnelles autrefois efficaces et sur l’acquisition de nouvelles identités, mieux adaptées. Pourtant, on éprouve souvent des sentiments ambivalents à l’idée d’abandonner le confort de fonctions dans lesquelles on excelle, car cela implique qu’on se lance dans une aventure dont l’issue est incertaine.
Le sexisme de deuxième génération peut rendre ces transitions plus difficiles pour les femmes. De plus, il ne suffit pas de se concentrer sur l’acquisition de compétences: l’apprentissage doit s’accompagner de l’intégration croissante de l’identité de leader. C’est pourquoi, en comprenant mieux le sexisme de deuxième génération, en établissant des milieux exempts de discrimination et propices au développement d’une identité de leader et en encourageant les femmes à se fixer un objectif de leadership, on obtiendra de meilleurs résultats que ceux qui sont récoltés actuellement par les organisations.