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INSCRIVEZ FIÈREMENT « SERVEUSE » DANS VOTRE CV

- Une entrevue réalisée par Adam Bryant THE NEW YORK TIMES

Selon Amy Astley, rédactrice en chef de Teen Vogue, plusieurs postulante­s à des emplois n’ont jamais travaillé dans une crémerie ou comme serveuse. Pourtant, elle apprécie ce type d’expérience, qu’elle perçoit comme un indice

d’une solide éthique de travail.

Leadership au féminin — Quand êtes-vous devenue gestionnai­re? J’ai obtenu mon premier vrai poste de gestion de personnel chez Vogue. J’avais environ 25 ans, et je travaillai­s pour Anna Wintour. Je n’étais qu’une jeune rédactrice de l’équipe, mais elle m’a confié la responsabi­lité de la section Beauté, ce qui signifiait que j’allais superviser une petite équipe de trois personnes.

Je n’avais jamais dirigé d’équipe. J’avais toujours été un membre junior d’une équipe ou l’assistante de quelqu’un. À mon avis, la grande découverte qu’on fait aussitôt, c’est que tout d’un coup, on ne se concentre plus sur soi ou sur sa carrière: il faut penser aux autres. Comment les soutenir, les organiser, les amener à effectuer le travail qu’on attend d’eux. C’est beaucoup pour une personne de 25 ans. C’était une grande responsabi­lité.

Qu’avez-vous appris sur le plan du leadership? Nous gérons du personnel créatif. C’est très différent de la gestion d’employés qui accompliss­ent un travail quantitati­f. C’est purement qualitatif, et je dois évaluer moi-même leur travail. Et cela devient très émotif. Je me souviens d’avoir retiré un mandat à un jeune membre de mon équipe afin de faire appel à un rédacteur plus aguerri chez Vogue. J’essayais de concevoir les meilleurs produits possibles parmi ceux dont j’avais la responsabi­lité. J’ai heurté bien des gens en cours de route. Et j’ai beaucoup appris de tout ça.

Cela dit, qui aime bien châtie bien, et je disais à mes subordonné­s: « Nous devons créer le meilleur produit possible. Et j’ai besoin de vous. Vous faites partie de mon équipe. Voici vos cinq meilleurs coups. Je suis désolée de devoir transférer ce dossier à quelqu’un d’autre. Je pense que vous en apprendrez beaucoup si vous regardez ce qu’il en fera. » À ce momentlà, cette personne doit comprendre qu’un autre apportera davantage au projet. C’est un peu dur. Mais quand on travaille dans ce milieu, il faut l’accepter.

Comment les gens ont-ils réagi à cette « fermeté affectueus­e » à vos débuts? Ils m’en voulaient. Peut-être parce que j’étais jeune et que nous étions de la même génération. On doit composer avec cela quand on est jeune et qu’on dirige des personnes de son âge ou plus âgées. Selon moi, ça devient plus facile avec le temps, et ça l’est pour moi depuis que j’ai vieilli. Les gens l’acceptent beaucoup mieux. Mais pour un jeune dirigeant, il est extrêmemen­t difficile, à mon sens, de faire accepter son autorité. Aujourd’hui, j’essaie d’y aller en douceur avec les gens, mais je n’ai pas à m’excuser: quand on dirige une entreprise, il faut prendre des décisions difficiles. Tout doit être à son meilleur. Si quelqu’un peut faire le travail mieux que vous, la tâche doit lui revenir. Moi, je veux que ce soit le cheval le plus fort qui tire la carriole en haut de la colline. Et c’est tout.

Qu’y a-t-il d’inhabituel à propos de la culture de votre magazine? J’essaie de créer une culture très réceptive aux idées de l’équipe. Mais j’ai appris quelque chose à propos des réunions, par essai et erreur. J’avais l’habitude de tenir de grandes réunions, où je rassemblai­s tout le monde. Après six mois, j’ai compris que l’ambiance ressemblai­t très vite à celle d’une cafétéria d’école secondaire. Il y a les femmes alpha. Deux d’entre elles, de grandes amies, parlent et forcent tout le monde à se taire. Les autres ne disent pas un mot – on croirait qu’ils sont devenus muets – et aucune nouvelle idée ne surgit. Je suis donc très stratégiqu­e quant à la façon dont je rencontre le personnel. Je suis la politique de la porte ouverte. Je passe surtout ma journée à rencontrer mon équipe, une ou deux personnes à la fois. Tout au long de la journée, les gens entrent et sortent de mon bureau. Nous échangeons des idées, et personne ne se sent agressé.

Quelles qualités recherchez-vous chez les candidates à un poste? Je m’efforce d’avoir un aperçu de leur éthique de travail. J’aime vraiment les gros travailleu­rs! Et je cherche aussi des gens à l’esprit entreprene­urial. Certains des postes que j’offre exigent ce genre d’attitude, mais j’aime que tout le monde ait une mentalité entreprene­uriale. J’aime les gens qui n’ont pas peur de la notion de nouvelles entreprise­s.

Comment décelez-vous leur éthique de travail? En partie grâce à leur curriculum vitae. Je peux aussi appeler à l’endroit où ils ont fait leur stage et vérifier comment ils s’en tiraient. Mais j’ai aussi découvert que si on demande à une personne pendant son entrevue: « Êtes-vous une personne matinale? » la vérité se lit sur son visage, quelle que soit sa réponse.

Comme je le disais, ça ressort aussi dans le CV. Quand je rencontre une femme qui a été serveuse pendant plusieurs étés, je lui demande de m’en parler. Dans les CV gonflés qu’on reçoit de nos jours, on ne voit pas toujours ça. Souvent, je reçois des jeunes qui n’ont jamais eu d’emploi. Moi, j’aime voir quelqu’un qui a servi de la crème glacée ou qui a travaillé comme serveuse. À mes yeux, cette personne-là a dû gagner de l’argent, et en plus, elle a travaillé avec le public. Comment c’était? Racontez-moi.

J’ai déjà eu des emplois de ce genre. Je respecte ça. Je respecte toutes les formes de travail, mais je n’en vois plus autant dans les CV d’aujourd’hui. Et quand je reçois quelqu’un qui a occupé ce genre de poste, ça ne signifie pas nécessaire­ment qu’il a une bonne éthique.

Amy ASTLEY a été choisie par Anna Wintour, rédactrice en chef de Vogue, pour lancer Teen Vogue – la version pour adolescent­es du célèbre magazine de mode – en janvier 2003. Cette publicatio­n compte aujourd’hui plus d’un million de lecteurs. Désignée par Forbes comme une des rédactrice­s en chef les plus influentes dans le domaine de la mode aux États-Unis, Amy Astley avait rejoint Vogue en 1993, où elle était rapidement devenue rédactrice en chef des pages Beauté. Auparavant, elle avait travaillé à House & Garden pendant quatre ans. Au début de la vingtaine, elle a commencé sa carrière comme assistante­décoratric­e.

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