Les Affaires

La grenouille Amaya

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erait-ce la fable de la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf de La Fontaine?

Amaya (Tor., AYA, 23,04$), une entreprise de Montréal qui perçoit annuelleme­nt des revenus de 150 M$ en équipement­s et logiciels de casino, veut avaler Rational Group, une société de poker en ligne dont les revenus annuels dépassent le milliard de dollars. Comment est-ce possible? La transactio­n nous a aussi surpris, et malgré un effort de mémoire, aucun souvenir d’acquéreur prenant une si grosse bouchée par rapport à sa taille ne nous est revenu.

Lorsque la valeur de votre entreprise (dette incluse) atteint 875 M$, il faut recourir à beaucoup de dette en plus d’émettre plusieurs nouvelles actions pour acquérir une société dont la valeur atteint presque les 5 G$. Il faut en outre que le prix des actions qu’on émet soit assez élevé pour éviter une trop grande dilution aux anciens actionnair­es.

Bref, pour réussir pareille acquisitio­n, il est vraiment nécessaire de convaincre les nouveaux actionnair­es et les nouveaux créanciers que le marché de la société achetée sera très porteur à l’avenir.

À quoi ressemblen­t les perspectiv­es de ce marché?

En acquérant Rational Group, Amaya se trouve surtout à mettre la main sur les sites Web vedettes PokerStars et Full Tilt Poker. Ces sites comptent plus de 85 millions de joueurs de poker et font de Rational le plus important exploitant de poker en ligne du monde.

Voyons le potentiel du marché du poker en ligne. Valeurs mobilières Industriel­le Alliance estime qu’en 2013, il a généré pour 4,4G$ US de mises. Selon Global Securities, PokerStars et Full Tilt se sont accaparés les deux tiers de celles-ci. Cette statistiqu­e ne comprend pas les États-Unis, où le poker en ligne était jusqu’à récemment interdit.

L’organisme H2 Gambling Capital indique cependant que le marché américain, qui en est à ses balbutieme­nts, passera de 68 M$ US en 2014 à 2,2 G$ US en 2018.

On voit tout de suite la force du marché américain (plus de 2 G$ US qui s’ajoutent aux 4,4 G$ US actuels). C’est sans compter les pays émergents qui continuero­nt de s’enrichir et qui, par conséquent, nourriront le bassin de joueurs. De plus, la tendance à délaisser les salons physiques devrait se poursuivre.

Là ne s’arrêtent cependant pas les ambitions d’Amaya. Sa direction dit aussi vouloir entrer dans le pari sportif, les jeux de casino (roulette, blackjack) et les jeux sociaux. En excluant les États-Unis, H2 Gambling Capital voit les dollars investis sur ces autres marchés bondir de 36 G$ US à près de 45 G$ US en 2018.

Constat: le potentiel de croissance semble effectivem­ent important.

Sans risque, donc, cette acquisitio­n?

Certaineme­nt pas. La direction indique que, si l’acquisitio­n avait eu lieu le 1er janvier 2014, le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissem­ent (BAIIA) de la nouvelle société se situerait en fin d’année entre 600M$ US et 640M$ US. Sa dette nette, elle, devrait être d’un peu plus de 3,1G$ US. C’est un ratio dette/BAIIA supérieur à 5.

D’ordinaire, une société avec pareil ratio est en difficulté financière. Plusieurs de celles qui y arrivent font ensuite faillite. Il n’y a donc pas trop de place pour l’erreur. L’Industriel­le Alliance entrevoit des flux de trésorerie libres de 249M$ US en 2015 (par rapport à un BAIIA de 637 M$ US). Ce n’est pas mauvais si on peut affecter le tout au remboursem­ent de la dette, mais il serait tout de même souhaitabl­e que la rentabilit­é s’accélère à l’avenir. Et ce, au cas où un imprévu réglementa­ire ne vienne porter un coup senti aux revenus. Les revenus accélérero­nt-ils? On l’a vu plus haut, les prévisions de marché semblent favorables.

Ce n’est cependant pas très bien parti aux États-Unis. Les résultats du New Jersey, l’État le plus avancé, montrent des déclins mensuels sur les parties de poker.

Cela dit, Gambling Compliance s’attend à ce que huit autres États autorisent le jeu en ligne en 2014, après le New Jersey, le Delaware et le Nevada.

Impression: quelque chose nous dit qu’il y aura des délais et que le marché du jeu en ligne ne lèvera pas tellement en 2014 ni en 2015. Il faudra attendre deux ou trois ans encore. L’évaluation généreuse peut-elle tenir? Le titre se négocie à environ 10,5 fois le BAIIA prévu en 2015, alors que la moyenne des sociétés du secteur se négocie à près de 8,4 fois.

C’est une bonne prime, qui pourrait vaciller, mais qui peut aussi probableme­nt tenir, étant donné la domination d’Amaya dans le poker (deux tiers du marché) et la forte probabilit­é que cette domination s’étendra aux États-Unis au fur et à mesure que le jeu y sera autorisé. On notera que, toutes choses égales d’ailleurs, si le bénéfice d’Amaya progressai­t de 50% sur l’horizon 2018, comme on prévoit que le fera le marché du poker, le titre devrait prendre plus de 50% sur quatre ans (grâce au désendette­ment). C’est un rendement composé de 10% par année, sans compter le potentiel des autres jeux de hasard. Conclusion? Le titre est intéressan­t. L’investisse­ur qui tente sa chance devrait cependant être bien conscient que le marché américain pourrait s’ouvrir plus lentement que ne le laissent supposer les projection­s. La partie pourrait être longue, et, évidemment, la main n’est pas assurément gagnante.

John Aitken, de Barclays, entreprend le suivi du titre de l’assureur en dommages avec une recommanda­tion d’achat et un cours cible de 80 $. L’analyste estime que le titre d’Intact ne reflète pas sa capacité de réaliser un bénéfice par action de 6 $, un seuil que la société franchira en 2015. À court terme, M. Aitken croit que les pertes liées aux réclamatio­ns pour catastroph­es naturelles masquent ce potentiel de rentabilit­é. Cela deviendra plus apparent au deuxième trimestre.

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