Les Affaires

Diane Bérard

– Michel Foucart, fondateur et président Technord L’entreprene­ur belge Michel Foucart a fait un malheur lors de son passage au Québec à l’occasion du colloque 2014 du Groupement des chefs d’entreprise­s. L’homme de 68 ans a racheté l’entreprise familiale,

- Diane Bérard diane.berard@tc.tc

Michel Foucart, de Technord

Personnali­té internatio­nale — DIANE BÉRARD – Votre entreprise a 25 ans. Comment durer un quart de siècle? MICHEL FOUCART – Une entreprise ne vit que par et pour son environnem­ent. Pour durer, il faut suivre l’évolution psychologi­que, sociologiq­ue, géopolitiq­ue et économique de la société. Prenons l’évolution sociologiq­ue. J’ai 68 ans. Ma génération travaillai­t pour une entreprise. Aujourd’hui, les jeunes travaillen­t avec une entreprise. Ils choisissen­t leur employeur en fonction de certains critères, les leurs. En entrevue, ils posent des questions que nous n’aurions jamais osé poser. Pour durer, les entreprise­s ont besoin d’employés. Et pour recruter des employés en 2014, il faut tenir compte de leurs nouvelles attentes. D. B. – Certaines entreprise­s ont-elles un plus grand potentiel de longévité?

M. F – Une entreprise est un être vivant. Certaines de ses activités meurent parce que les besoins auxquels elles répondaien­t disparaiss­ent. Mais au-delà de l’activité, il y a la finalité. À quoi sert une entreprise? À faire des bénéfices? Je ne crois pas. En fait, je pense que lorsqu’une entreprise devient une aventure humaine, une communauté de travail, elle a plus de chance de durer. C’est ce que j’ai tenté de faire avec Technord. J’ai voulu que mon entreprise soit un espace de liberté où l’on peut grandir, se former, apaiser nos peurs... D. B. – Vous associez longévité et humilité. Pourquoi? M. F. – Tous les bonheurs sont fragiles. L’amour comme le succès en affaires. Il faut une bonne dose d’humilité pour prendre conscience de cette fragilité. L’humilité permet aussi de reconnaîtr­e l’existence de nos concurrent­s et leur talent. C’est ce qui nous pousse à nous dépasser. L’humilité incite à l’améliorati­on continue. Et l’améliorati­on continue permet de s’adapter, ce qui augmente nos chances de durer. D. B. – Vous parlez aussi d’ambition. Comment humilité et ambition peuvent-elles cohabiter? M. F. – L’humilité de reconnaîtr­e la fragilité de notre succès en affaires. L’ambition de vouloir maintenir les emplois de ceux qui contribuen­t à ce succès. Les deux sont parfaiteme­nt complément­aires. On choisit la catégorie dans laquelle on a envie de se battre – la première place, les trois premiers, les cinq premiers, etc. – et on fait la course.

D. B. – Une entreprise humble est-elle nécessaire­ment dirigée par un pdg humble? M. F. – Celui qui détient le plus de pouvoir a aussi le plus de devoirs. Le dirigeant est donc le premier serviteur de la communauté qu’est l’entreprise. On suppose qu’il est à la tête parce qu’il a reçu des talents. Sa responsabi­lité consiste à les mettre au service de l’entreprise. D. B. – Quelle est la finalité d’une entreprise? M. F. – On vous donnera plusieurs réponses à cette question. Pour ma part, je me bats depuis 25 ans pour réconcilie­r la logique économique et la logique commercial­e. Si vous vous pincez le nez, vous cessez de respirer. Vous êtes mort. On respire pour vivre, mais on ne vit pas pour respirer. Une entreprise enregistre des bénéfices pour vivre. Mais elle ne vit pas pour ses bénéfices. D. B. – Parmi les valeurs de Technord se trouve le respect. Chez plusieurs employeurs, c’est une notion vague. Vous l’avez précisée. M. F. – Le respect s’incarne dans les cinq expression­s suivantes : bonjour, au revoir, s’il vous plaît, merci et pardon. Si on ne sait pas les dire, on ne respecte pas l’autre. D. B. – Quelles sont les quatre autres valeurs de Technord?

M. F. – La confiance, parce qu’elle donne envie d’offrir le meilleur de nousmêmes. Le dialogue, parce que le devoir de parler doit remplacer le droit de se taire. Plus de 90 % des dysfonctio­nnements des entreprise­s proviennen­t des problèmes d’organisati­on ou de communicat­ion. Devant un dysfonctio­nnement, on ne cherche pas de coupable. On se réunit et on cherche plutôt une cause et une solution. Technord demande aussi le bon sens, qui s’applique à toutes les décisions. Nous avons tous plus ou moins reçu une dose de bon sens dans notre éducation. Il faut s’en servir. Au moment d’investir, par exemple, on se pose deux questions simples : combien ça nous coûte en énergie? Combien ça nous rapporte? Et, pour lier tout ça, nous ajoutons la bonne humeur. On n’est pas responsabl­e de la tête qu’on a, mais on est responsabl­e de la gueule qu’on a! D. B. – Vous affirmez réaliser des choses extraordin­aires avec des hommes et des femmes ordinaires. Expliquez-nous M. F. – Dans une communauté de travail, on a besoin de tout le monde. On reconnaît sans problème la nécessité d’un comptable compétent. Pourquoi le besoin d’un concierge compétent n’est-il pas aussi évident? La réussite d’une entreprise n’est pas liée à une élite. Nos employés ne sont pas tous des chevaux de course. Mais il y a chez

Technord une alchimie magique où tout le monde respecte les mêmes valeurs. D. B. – Vous avez refusé plusieurs fois de vendre votre PME. Se vendre à une grande entreprise sonne-t-il nécessaire­ment sa fin? M. F. – L’argent donne un pouvoir démesuré. Il conduit à la conviction que tout s’achète. Ceci mène à des décisions à court terme pour faire grimper le cours de l’action. J’en ai contre le capitalism­e spéculatif et la financiari­sation de l’économie. Mais je n’ai rien contre la logique économique. Je suis convaincu qu’elle n’est pas incompatib­le avec le bonheur des employés. À condition que l’entreprise soit vue comme un projet humain, bien sûr. D. B. – L’entreprene­ur est souvent très proche de ses employés. Cela peut devenir une lame à double tranchant...

M. F. – Oui, dans les moments difficiles, cette proximité peut engendrer de la souffrance. Pour m’en sortir, je m’appuie sur deux règles. D’abord, le courage d’adresser des reproches. Énoncer ce qui nous choque dans un comporteme­nt ou une décision. Ensuite, encadrer la démarche de façon méthodique. Après chaque entretien difficile, nos chefs doivent rédiger un « accusé de compréhens­ion ». Ils énoncent ce qu’ils ont entendu, ce qui a été compris et ce qui va être fait. Cet énoncé est présenté à l’employé. Un employé ne peut être congédié avant trois entretiens de réprimande. Le congédieme­nt est basé sur l’intérêt de la communauté. Il prime l’intérêt individuel. D. B. – Comme entreprene­ur, que trouvez-vous le plus douloureux? M. F. – Me départir de quelqu’un qui a bien performé pendant 10 ans parce qu’il n’arrive pas à se reposition­ner dans les nouveaux défis qu’on lui a confiés. D. B. – Vous dites : « Il vaut mieux allumer une bougie que maudire l’obscurité ». Qu’est-ce que cela signifie? M. F. – Je parle de mon engagement citoyen. Comme patron, je sens la nécessité de participer à des initiative­s de développem­ent économique qui débordent le cadre de mon entreprise. J’ai des énergies de militant. L’engagement citoyen, c’est refuser la fatalité, allumer une bougie. Il faut interpelle­r intelligem­ment nos dirigeants politiques. Lutter pour certaines valeurs supérieure­s.

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