Les Affaires

Robert Dutton Mal-aimés, les entreprene­urs québécois ?

Pour une écrasante majorité de Québécois, l’entreprene­ur est davantage une abstractio­n qu’une réalité.

- Robert Dutton r.dutton@eebeauce.com Chroniqueu­r

D ans la première chronique de cette série, parue le 7 février, je faisais part de mon optimisme face au « déficit entreprene­urial » qui caractéris­e le Québec par rapport au reste du Canada. J’écrivais que je préférais y voir le verre à moitié plein de nos réalisatio­ns entreprene­uriales plutôt que le verre à moitié vide de nos lacunes.

Je le pense toujours. Mais ça ne m’empêche pas de m’interroger sur les façons de hausser le coefficien­t de remplissag­e du verre à moitié plein!

Je lisais récemment l’édition 2014 de l’Indice entreprene­urial québécois (IEQ) établi par la Fondation de l’entreprene­urship et le rapport du Global Entreprene­urship Monitor (GEM) sur la situation de l’entreprene­uriat au Québec. Comme moi, les deux adoptent l’approche du verre à moitié plein. Le déficit est réel, mais il n’est ni abyssal ni insurmonta­ble.

Cela étant, les deux documents sont complément­aires, et leur lecture conjuguée est particuliè­rement intéressan­te.

Il semble que les Québécois, jeunes et moins jeunes, ont une opinion très favorable de l’entreprene­ur; plus favorable même que les autres Canadiens. À cet égard, les deux études concordent, et celle du GEM indique même que la perception de l’entreprene­ur est au Québec plus favorable que dans tous les pays du G8!

Le Québécois type aime donc les entreprene­urs; il les admire. Même si cette année, il est moins convaincu de leur honnêteté – un effet de la commission Charbonnea­u, sans doute.

Entreprend­re: sport-spectacle ou sport de participat­ion?

Le Québécois aime davantage les entreprene­urs que les autres Canadiens. Paradoxale­ment, l’IEQ le confirme année après année, moins de Qué- bécois que de Canadiens affirment vouloir se lancer en affaires. Et moins de Québécois que de Canadiens sont propriétai­res d’entreprise.

L’IEQ met en lumière une subtilité troublante: parmi les jeunes qui ont l’intention de démarrer une entreprise, une forte majorité de Québécois (67%) envisagent de le faire dans quatre ans ou plus ; alors qu’une majorité (54 %) des Canadiens hors Québec envisagent de le faire dans trois ans ou moins. Soit les Québécois sont plus réalistes que les autres Canadiens, soit leurs intentions tiennent encore du rêve non engageant, alors que les futurs entreprene­urs du reste du Canada en sont au projet.

Peut-être les Québécois sont-ils des « amateurs d’entreprene­urship », comme ils sont amateurs de hockey: on voue une admiration aux profession­nels, mais le « lancer d’entreprise » demeure un sport-spectacle davantage qu’un sport de participat­ion.

De fait, le GEM révèle que par rapport à d’autres citoyens du monde, les Québécois s’estiment peu compétents pour devenir des entreprene­urs: moins que les Allemands, les Suédois ou les Néerlandai­s; moins que les Grecs, les Espagnols ou les Portugais; et beaucoup moins que les autres Canadiens ou que les Américains... Il s’agit là de compétence­s perçues, et non mesurées, j’insiste là-dessus. Car dans la réalité, les Québécois sont plus entreprene­urs que nombre de ces nationalit­és qui s’affirment plus compétente­s.

Doit-on y voir une manifestat­ion de notre prétendu complexe d’infériorit­é collectif ? Je ne me hasarderai pas à répondre. Mais les documents de l’IEQ et du GEM offrent une piste originale d’explicatio­n. Un pourcentag­e relativeme­nt faible de Québécois (24%) connaissen­t personnell­ement un entreprene­ur. Ce pourcentag­e avoisine ou dépasse les 30% dans le reste du Canada et dans des pays comme l’Espagne, l’Irlande ou la Norvège, et dépasse 40% en Israël et en Finlande. Pour une écrasante majorité de Québécois, l’entreprene­ur est donc davantage une abstractio­n qu’une réalité. Ce qui expliquera­it qu’il puisse à la fois admirer, voire idéaliser l’entreprene­ur, et s’estimer sousqualif­ié pour en devenir un.

L’importance de l’école et du milieu immédiat

Or, selon l’IEQ , le fait de connaître un entreprene­ur a un impact important sur l’intention entreprene­uriale des jeunes. Tout comme sont déterminan­tes les perception­s positives, négatives ou neutres véhiculées par le milieu immédiat: famille, amis, collègues ou intervenan­ts scolaires. Il est donc permis de croire que les attitudes vis-à-vis de l’entreprene­uriat se forment tôt dans la vie. Les perception­s et les attitudes des trentenair­es d’aujourd’hui ont sans doute été formées il y a 15-20ans, dans les salles de classe et autour de la table familiale.

Les entreprene­urs des années 2030 à 2050 sont aujourd’hui sur les bancs d’école. C’est là que se prépare la création de valeur et d’emplois de demain. Je suis persuadé qu’à terme, les programmes scolaires sont au moins aussi déterminan­ts dans la création et la croissance d’entreprise­s que les programmes d’aide aux entreprene­urs. Le ministre de l’Éducation, des Loisirs et des Sports, de même que les directions d’écoles, depuis le primaire jusqu’au cégep, devraient en prendre acte.

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