Les Affaires

« CHARLIE » : NOUS SOMMES TOUS CONCERNÉS

- Danièle Henkel daniele.henkel@tc.tc Chroniqueu­se

C’est d’abord à un autre thème que j’avais initialeme­nt consacré cette chronique, mais comment ne pas associer mon stylo aux millions, qui se sont déjà levés un peu partout dans le monde, après les tristes événements qui ont ébranlé la France il y a quelques jours… Dire que j’ai été bouleversé­e serait un moindre mot. Le sentiment ressenti est plus profond, plus intense et plus douloureux. Peut-être parce que je suis immigrée, peut-être parce que j’évolue dans une structure familiale et un environnem­ent profession­nel dont je ne cesse de vanter la richesse multicultu­relle et multiethni­que. Peut-être aussi parce que je ne suis qu’un être humain en quête d’amour et de partage et que je sens notre petite planète complèteme­nt démunie face à de telles démonstrat­ions d’incompréhe­nsion, de violence aveugle et de barbarie.

Des citoyens s’expriment un peu partout dans le monde, y compris ici. Des policiers, des philosophe­s, des artistes, des économiste­s, des psychologu­es et des politicien­s donnent leur avis, commentent et critiquent même parfois la politique de la France en suggérant des pistes de solutions. J’entends toutes sortes de choses. On parle d’immigratio­n, mais ne sommes-nous pas, pour la grande majorité d’entre nous, des immigrés, même si ça remonte parfois à quelques génération­s? On parle d’inégalités, mais même si l’on devient pauvre ou riche plus rapidement de nos jours, ces inégalités existent depuis la nuit des temps. On évoque aussi la politique d’intégratio­n des immigrés, de la France en particulie­r, en omettant de mentionner que ce processus implique deux parties: le pays d’accueil bien sûr, mais aussi la personne qui a choisi, la plupart du temps en connaissan­ce de cause, de s’y installer. La moindre des choses, me semble-t-il, serait d’accepter et de respecter les us et coutumes d’un pays qui en le recevant lui a aussi permis de fuir la misère, l’oppression et parfois même la torture et la mort.

Si vous êtes confortabl­ement installé dans votre salon, admirant les eaux du lac Saint-François ou du Saint-Laurent au travers de votre baie vitrée, il est évident que vous ne pouvez pas évoquer l’art du « vivre ensemble » de la même manière que si habitiez un appartemen­t dans certaines villes de la banlieue parisienne. La cohabitati­on y est difficile, le quotidien incertain et l’insécurité omniprésen­te. Une chose est sûre, c’est que nos frontières ne sont pas étanches et que, désormais, nul n’est à l’abri de tels débordemen­ts. Les tristes événements survenus il y a peu de temps à Saint-Jean-sur-Richelieu et à Ottawa en sont la démonstrat­ion éclatante.

Une grande ignorance

Mais quelle est la solution? Le monde entier s’interroge. Il n’y a pas de solution miracle, et même si je suis consciente que beaucoup de choses doivent être améliorées dans les processus d’immigratio­n, d’intégratio­n, de surveillan­ce ou encore de sécurité, je reste persuadée que l’une des voies à suivre est celle de l’éducation et de la culture. Les actes barbares qui ont été commis à Paris ne sont que les conséquenc­es d’une grande ignorance. Ignorance de l’islam au nom duquel ils ont été perpétrés, car l’islam est avant tout une religion de paix et de lumière. Ignorance des valeurs les plus fondamenta­les qui devraient animer tout être humain: l’amour, le respect, la bienveilla­nce, la fraternité, mais aussi celle qui a été le plus chèrement gagnée et que nous nous battons toujours pour préserver: la liberté.

La réponse est probableme­nt politique, mais elle est surtout citoyenne. Les Français l’ont démontré. Ce sont eux qui ont pris le pouvoir le 11 janvier avec cette manifestat­ion historique aux répercussi­ons internatio­nales. Plus de quatre millions d’entre eux, toutes couleurs et toutes religions confondues, sont descendus dans la rue pour dire qu’ils n’avaient pas peur, qu’ils se tenaient debout pour protéger leur liberté. Un mot mille fois scandé par des millions de personnes, parce que porte-étendard des valeurs essentiell­es du « bien-vivre ensemble » dans un pays fort, prospère et en paix: liberté de pensée, liberté d’expression, liberté de religion, liberté de création, mais aussi liberté d’entreprend­re. Chaque jour, des commerces et des PME ferment leurs portes en France, dans certains quartiers, à cause d’une insécurité et de violences qui non seulement mettent en péril la vie de leurs propriétai­res, mais qui font fuir les derniers clients déjà devenus rares depuis longtemps. L’impact de l’intégrisme et du terrorisme a des conséquenc­es dramatique­s sur la vie économique locale, nationale et internatio­nale. Un impact dramatique­ment disproport­ionné lorsqu’on sait que les attentats sont la plupart du temps commis par une poignée d’illuminés.

Si le slogan « Je suis Charlie » a fait le tour de la planète, si des Brésiliens, des Anglais, des Américains, des Italiens, des Jordaniens l’ont scandé, ce n’était pas juste par solidarité, compassion, amour ou fraternité… C’est aussi une manière pour eux de se responsabi­liser, même s’ils se trouvent à des milliers de kilomètres de ces drames épouvantab­les. Nous avons tous le devoir de rester debout et de nous battre face à la montée de ce mouvement qui, je le crains, continuera à faire d’autres victimes innocentes.

Au lendemain de la tuerie perpétrée dans les locaux de Charlie Hebdo, la une du journal français Libération se limitait à un seul mot : résister. Le verbe était écrit à l’infinitif, pour nous inviter à résister à cette montée dramatique de l’intégrisme, bien sûr, mais aussi à résister face à la haine, à l’envie de représaill­es ou à la tentation facile de faire des amalgames. Alors, résistons!

En présentant mes condoléanc­es aux familles de victimes, j’aimerais aussi saluer le travail remarquabl­e de la police et cet extraordin­aire élan du peuple français qui a su faire vibrer le monde et peut-être éveiller nos conscience­s.

Pour conclure, je me contentera­i de vous livrer une pensée attribuée à Voltaire: « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. »

Nous avons tous le devoir de rester debout et de nous battre face à la montée de ce mouvement.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada