Les Affaires

Après les fonds activistes, les CA activistes

- Diane Bérard diane.berard@tc.tc Chroniqueu­se

L’Institut sur la gouvernanc­e d’organisati­ons privées et publiques (IGOPP) a dévoilé une étude sur les fonds activistes à l’occasion de la Grande soirée de la gouvernanc­e, le 1er avril.

Le principal constat est « qu’en général, les interventi­ons des fonds de couverture activistes visent des fins non utiles à la société, souligne Yvan Allaire, président exécutif du conseil de l’IGOPP et auteur de l’étude. Mais ces fonds ont raison sur un aspect : il faut réformer la gouvernanc­e. Les conseils d’administra­tion sont trop à la remorque de la direction. Et les administra­teurs se révèlent souvent incapables de développer un point de vue personnel. »

En 2010, 115 sociétés américaine­s ont été la cible de fonds activistes. L’IGOPP a suivi ces entreprise­s pendant cinq ans pour voir ce qu’il était advenu de celles-ci.

En matière d’activisme, on saute facilement aux conclu- sions. Et tout est une question de point de vue. Pour les uns, ces interventi­ons ne créent aucune valeur. Pour d’autres, au contraire, c’est une bénédictio­n qui permet de faire grimper le cours de l’action et de vendre l’entreprise moyennant une plusvalue. Que nous apprend l’étude de l’IGOPP ?

Les fonds activistes ne 1

sont pas là pour faire croître les entreprise­s Près de la moitié (45 %) des 115 entreprise­s étudiées ont été vendues ou liquidées un à deux ans après le début de l’interventi­on. Dans la plupart des cas, la prime associée à la vente oscillait entre 25 et 40 %. Le quart des entreprise­s vendues sont passées sous le contrôle de fonds de privatisat­ion, du type KKR.

« On peut se demander s’il n’y a pas eu une entente préalable entre le fonds de couverture et le fonds de privatisat­ion », dit M. Allaire. On pourrait imaginer un scénario où le fonds de couverture s’infiltre dans l’actionnari­at, puis dans le CA. Il promeut des changement­s qui embelli- ront la mariée afin de la rendre fin prête pour la noce. Le fonds de privatisat­ion n’a qu’à faire la grande demande. 2 Ils préfèrent les méthodes douces Pour parvenir à leurs fins, les fonds de couverture activistes disposent d’une panoplie de tactiques. Le spectre s’étend de la manière douce – rencontrer la direction, réclamer un siège au conseil – à l’approche plus musclée – critiquer la direction et le conseil sur la place publique. Ou encore, présenter une offre non sollicitée pour mousser la vente de l’entreprise. De toutes ces tactiques, les fonds disent préférer la méthode douce.

Ils peuvent compter 3

sur le soutien des caisses de retraite... Les fonds institutio­nnels et les caisses de retraite appuient de plus en plus souvent les fonds de couverture activistes dans leur campagne d’interventi­on. Ce soutien permet aux fonds activistes de recourir à l’approche en douceur. D’ailleurs, les fonds étudiés par l’IGOPP affichent un taux de succès de 75 %. Les trois quarts de leurs demandes ont été remplies par la direction ou le conseil. Que gagnent les fonds institutio­nnels et les caisses de retraite à rejoindre le camp des activistes ? « À court terme, les interventi­ons des activistes ont un effet positif sur la valeur du titre, répond Yvan Allaire. Par contre, je ne dirais pas qu’on assiste dans tous les cas, comme pour ce qui est du Canadien Pacifique, à une améliorati­on de la performanc­e générale de l’entreprise. » 4 ... et sur celui de la direction Il existe une coïncidenc­e d’intérêt entre la direction et les fonds de couverture activistes. Cet alignement d’intérêt existe par l’intermédia­ire de la rémunérati­on de la direction. Étant donné qu’ils détiennent souvent des options, il est dans l’intérêt des pdg que le titre de leur société grimpe. Justement, le principal impact de l’interventi­on des fonds activistes est la hausse du titre. Et celle-ci se manifeste rapidement. Cela explique pourquoi la direction s’oppose peu, habituelle­ment, à la démarche des activistes. 5 Leur interventi­on n’est pas le graal L’étude de l’IGOPP a comparé la performanc­e des 115 entreprise­s ciblées par les fonds de couverture activistes en 2010 avec celle d’un échantillo­n d’entreprise­s de même taille (valeur boursière) et de même secteur. On a voulu vérifier la valeur créée par une interventi­on activiste. Le verdict ? On note une performanc­e légèrement supérieure. « C’est bien peu, commente Yvan Allaire. Mais c’est suffisant pour faire bien paraître les fonds institutio­nnels et les caisses de retraite et les inciter à se ranger du côté des activistes. Ce qui signifie appuyer leurs demandes. » 6 Ce n’est pas non plus la fin du monde « Rien ne prouve qu’une entreprise s’écroule à la suite du passage d’un fonds de couverture activiste », ajoute Yvan Allaire. Mais alors ? L’activisme des fonds de couverture aurait deux principaux effets négatifs. D’abord, les entreprise­s qu’ils visent auraient pu devenir plus importante­s sans leur interventi­on et leurs perturbati­ons. Dans une économie comme celle du Québec, qui affiche un déficit de grandes entreprise­s, c’est un facteur à prendre en considérat­ion. Ensuite, l’activisme de ces fonds a pour effet d’utiliser tout l’argent pour le redistribu­er sous forme d’actions. La capacité d’investisse­ment de l’entreprise s’en trouve ainsi réduite. « Tim Hortons aurait dû acheter Burger King et non l’inverse, illustre Yvan Allaire. Mais elle ne l’a pas fait car, au cours des années précédant cette transactio­n, les fonds activistes l’ont forcée à poser des gestes pour faire grimper le titre. Le moment venu, Tim Hortons n’avait plus de ressources pour acheter Burger King. »

Les fonds activistes se trompent souvent de cible. Ils posent toutes sortes de demandes qui perturbent les entreprise­s sans vraiment les aider, souligne l’étude de l’IGOPP.

Néanmoins, la révolution amorcée par les fonds de couverture activistes n’en est qu’à ses débuts. On assiste à une remise en question des principes de gouvernanc­e développés depuis 20 ans.

« Une gouvernanc­e à caractère fiduciaire qui s’embourbe dans les contrainte­s et qui présente un caractère tellement minutieux qu’il en devient tatillon », résume M. Allaire.

La réponse : l’activisme des fonds doit réveiller celui des conseils d’administra­tion. Un message que l’IGOPP dirige particuliè­rement aux administra­teurs canadiens, car les fonds de couverture s’internatio­nalisent. Et la structure juridique des entreprise­s canadienne­s facilite l’activisme des actionnair­es.

Un livre sur la question est prévu pour l’automne 2015.

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« Tim Hortons aurait dû acheter Burger King et non l’inverse », avance Yvan Allaire, de l’IGOPP. Mais elle ne l’a pas fait car, au cours des années précédant la transactio­n, les fonds activistes l’ont forcée à poser des gestes qui ont fortement réduit...

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