Les Affaires

Jean-Paul Gagné

- Jean-Paul Gagné jean-paul.gagne@tc.tc Chroniqueu­r

Un budget qui met à l’épreuve le leadership du gouverneme­nt

Ily a beaucoup de messages à tirer du budget que vient de présenter le ministre des Finances du Québec, Carlos Leitao :

1. À l’image de son chef, Philippe Couillard, le gouverneme­nt se montre courageux et déterminé. Le chef libéral avait promis l’équilibre à la fin de l’exercice en cours. C’est ce qu’il entend livrer coûte que coûte cette année, la deuxième de son mandat. Ce sera difficile, mais il mise sur le retour d’une marge de manoeuvre au cours des deux exercices financiers qui précéderon­t la prochaine élection.

Tenace et flegmatiqu­e, Philippe Couillard s’inspire peut-être de l’ancien président américain Harry S. Truman, qui avait placé sur son bureau une plaque sur laquelle il était écrit : « The Buck Stops Here ». Il voulait ainsi se rappeler qu’il ne devait rejeter sur personne d’autre la responsabi­lité d’une décision qui lui appartenai­t comme président.

2. Il faut cesser de vivre au-dessus de nos moyens. Alors que notre économie croît plus lentement que celle du reste du Canada, nos gouverneme­nts nous ont donné les programmes sociaux les plus généreux du pays. Irresponsa­bles et imprudents, nous avons emprunté pendant des décennies pour payer l’épicerie. Un nouveau moment de vérité est arrivé. Après six années consécutiv­es de déficit, il faut à nouveau se protéger de la menace d’une dévaluatio­n de notre note de crédit. Bien entendu, nous ne connaîtrio­ns pas le sort de la Grèce, car nous avons une bien meilleure gouvernanc­e et nous appartenon­s à la fédération canadienne. Depuis quelques années, le Québec bénéficie d’un excédent net annuel de 16 milliards de dollars, dont 8 G$ de péréquatio­n, dans tous les transferts d’argent entre le fédéral et l’ensemble des intervenan­ts économique­s québécois (le gouverneme­nt, les particulie­rs, les entreprise­s, les municipali­tés, etc.).

3. Il faut s’attaquer résolument à notre endettemen­t. Évaluée à 54 % du PIB du Québec, la dette brute du Québec est, par habitant, la plus élevée de celle de toutes les provinces. Si les Québécois avaient à assumer leur part de la dette fédérale (par exemple, dans l’éventualit­é de la séparation du Québec), l’endettemen­t du nouvel État représente­rait environ 100 % de son PIB.

Cet enjeu est d’autant plus important que Québec prévoit dépenser 88 G$ d’ici 2015 pour réparer ses infrastruc­tures et financer de nouvelles immobilisa­tions. Pour juguler cet endettemen­t, le gouverneme­nt continuera de verser au Fonds des génération­s le fruit de l’indexation du prix de l’électricit­é provenant du bloc patrimonia­l et les redevances minières. C’est un geste responsabl­e puisque ce fonds, qui est géré par la Caisse de dépôt et placement, doit produire un rendement supérieur au coût de la dette du gouverneme­nt.

Le service de la dette publique coûtera cette année 10,5 G$ (soit 10,5 % des revenus du gouverneme­nt), ce qui en fait le troisième poste de dépenses en importance après la santé (38 G$) et l’éducation et la culture (21 G$). Puisque ces trois postes de dépenses absorbent 69 % des revenus de l’État, il ne reste que 31 % de cette assiette pour tous les autres ministères. Cette proportion ne cesse de diminuer et, si la glissade n’est pas arrêtée, le gouverneme­nt sera bientôt empêché de jouer un rôle déterminan­t dans ses autres missions (aide aux personnes, sécurité publique, développem­ent économique, administra­tion de la justice, protection de l’environnem­ent, etc.).

4. Il y aura une réforme fiscale. Le gouverneme­nt a accueilli favorablem­ent le rapport de la commission Godbout et a déjà fait siennes plusieurs recommanda­tions, même si leur mise en oeuvre tardera. D’autres propositio­ns de cette réforme seront certaineme­nt retenues.

5. On ne peut pas éliminer en quelques années un écart de 7,3 G$ entre les revenus et les dépenses du gouverneme­nt du Québec sans causer de dommages collatérau­x. De même, limiter à 1,4 % et à 0,8 % respective­ment la croissance des crédits affectés à la santé et à l’éducation n’est pas sans conséquenc­e. Il est téméraire de penser qu’on puisse faire cela sans toucher certains services ni exiger un effort supplément­aire des employés de l’État (baisse de l’effectif, productivi­té accrue, gel des salaires) et des contribuab­les (hausses des taxes scolaires et municipale­s, des tarifs d’électricit­é, etc.).

6. La livraison des services aux citoyens et la gestion du gouverneme­nt doivent se faire de façon plus efficace. Méthodique et rigoureux, le président du Conseil du trésor, Martin Coiteux, veut rendre l’appareil de l’État plus responsabl­e et plus respectueu­x des contribuab­les, un objectif ambitieux, mais absolument nécessaire.

Autre enjeu important de l’année en cours : Québec doit renégocier les convention­s collective­s de ses 540 000 employés, dont les demandes sont aux antipodes de ses propres offres.

La façon dont le gouverneme­nt relèvera les défis qui s’annoncent nous permettra de prendre la pleine mesure de son leadership et de sa robustesse. S’il parvient à maintenir le cap sur ses objectifs sans laisser trop de morceaux, il aura obtenu la légitimité requise pour demander et obtenir un second mandat.

On ne peut pas éliminer en quelques années un écart de 7,3 G$ entre les revenus et les dépenses du gouverneme­nt du Québec sans causer de dommages collatérau­x.

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