ACROBATIES EN VUE POUR GARDER LE CIRQUE DU SOLEIL
Guy Laliberté avait à peine 19 ans quand il s’est joint à la troupe des Échassiers de Baie-SaintPaul, en 1978. C’était comme accordéoniste perché sur des échasses. Trente-sept ans plus tard, il trône sur le Cirque du Soleil, devenu un empire dans l’industrie du spectacle... empire sur lequel est apposée une affiche « À vendre ».
C’est dommage, mais il ne faut pas s’étonner. Après quatre décennies passées à déployer ses talents d’organisateur, l’ancien musicien de rue a le goût de passer à autre chose. Mais on peut légitimement s’interroger sur l’avenir du Cirque et, surtout, de sa présence importante dans le paysage québécois.
Le gouvernement québécois implore Guy Laliberté de tout faire pour que le siège social et les décideurs du Cirque restent ici. Sauf que le principal propriétaire du Cirque fera bien ce qu’il voudra. Surtout s’il se rappelle comment on l’a regardé de haut, lui et ses complices, quand il se promenait d’institution en institution pour trouver le soutien nécessaire à son rêve au début des années 1980. Qui allait prêter des fonds à un amuseur public qui prétendait réinventer l’univers du cirque alors dominé par des groupes internationaux? Et n’eût été l’appui in extremis d’une caisse populaire de la basse-ville de Québec (et de l’intervention personnelle de René Lévesque, dit-on), le soleil ne se serait jamais levé pour ces jeunes saltimbanques ambitieux.
La valeur du bloc de Guy Laliberté, qui possède 90% du capital du Cirque, est aujourd’hui estimée à 2 milliards de dollars. On aurait même pu imaginer un plus gros montant.
En novembre 2001, un texte que j’avais publié dans le défunt magazine Commerce indiquait que, dans le milieu, on évoquait une facture de 400 millions de dollars pour le rachat des parts du président et copropriétaire à 50% du Cirque, Daniel Gauthier, qui avait décidé de s’en aller. Guy Laliberté avait d’ailleurs dû travailler fort pour réunir une telle somme. Il était donc question au bas mot d’une valeur globale de 800 M$.
Quatorze ans plus tard, après avoir rayonné aux quatre coins de la planète, la valeur du Cirque du Soleil serait un peu plus de deux fois celle qu’il avait au tournant du siècle, pas davantage? En tenant compte de l’inflation, ce serait une progression plutôt modeste.
Il est vrai que les dernières années ont été plus difficiles et que la magie du Cirque n’agit plus automatiquement comme autrefois. Certains spectacles dont la production a été coûteuse (comme Iris ou Zarkana) n’ont pas levé. Le resserrement des finances a forcé le Cirque à mettre à pied 400 employés, en bonne partie à ses installations de Montréal. L’entreprise est poursuivie actuellement pour 1,5 M$ par une acrobate victime d’un accident. Le Cirque n’est plus invulnérable aux bavures, et sa valeur marchande en a vraisemblablement souffert.
Mais la seule vue du grand chapiteau jaune et bleu donne toujours des frissons. Le Cirque du Soleil est toujours un immense objet de fierté au Québec. C’est pourquoi l’hypothèse qu’il passe entre des mains étrangères, faute d’acheteurs québécois, suscite de l’amertume.
Mais qui, ici, pourrait réunir une telle somme? Il faudrait un consortium, et encore. Rappelez- vous ce qui est survenu lorsque les Expos ont été acquis par un groupe d’investisseurs québécois, en 1991. Personne n’osait s’aventurer seul à investir la centaine de millions de dollars que demandait alors Charles Bronfman. Trop de cuisiniers gâtent la sauce. Cela a été le début de la fin pour le baseball majeur à Montréal.
On ne voudra surtout pas répéter l’expérience. Ce qui signifie quasi inévitablement l’arrivée d’un ou de plusieurs acheteurs étrangers. S’il s’agit essentiellement d’investisseurs, le Cirque pourrait bien conserver son adresse montréalaise. Mais si c’est plutôt un exploitant (comme Disney) qui l’acquiert, la suite risque d’être plus sombre, consolidation oblige. Non pas que le Cirque disparaîtrait du paysage, mais sa marge de manoeuvre réelle ainsi que l’effectif du siège social seraient inévitablement sous pression.
La vente est imminente, paraît-il. Qui sait? Les membres du Cirque du Soleil nous ont habitués à d’extraordinaires prouesses, peut-être arriveront-ils à nous surprendre encore une fois.
Une mesure qui déçoit et inquiète
Ce n’est pas la plus spectaculaire des dispositions incluses dans le récent budget du ministre des Finances du Québec, Carlos Leitao, mais certains s’en inquiètent.
En 2017, les petites entreprises québécoises de moins de quatre employés verront leur taux d’imposition bondir de 8 à 11,8% (une hausse de 50%!), sauf celles qui sont actives dans les secteurs primaire et manufacturier. Quelque 75 000 PME seraient touchées. L’incorporation est devenue à la mode pour beaucoup de professionnels, comme les médecins et les avocats, qui y trouvent d’intéressants avantages fiscaux – et le gouvernement les a manifestement à l’oeil.
Mais elle convient également à des milliers de travailleurs autonomes, qui ont bûché pour créer leur propre emploi. Les pénaliser alors que le marché du travail stagne au Québec semble contre-productif.
Au moins, le ministre Leitao a le temps de changer d’avis d’ici 2017 quant au traitement qu’il réserve aux petites entreprises.
Si c’est plutôt un exploitant (comme Disney) qui acquiert le Cirque, la suite risque d’être plus sombre.