Les Affaires

« Que se passe-t-il chez Manac ? »

- François Pouliot françois.pouliot@tc.tc Chroniqueu­r

Un autre coup de tonnerre s’est fait entendre en début de semaine. Après le Cirque du Soleil, Manac, l’un des joyaux beaucerons et des plus importants symboles de l’entreprene­uriat québécois, est à vendre.

Le communiqué de presse parle d’un examen d’options stratégiqu­es afin d’accroître la valeur de l’entreprise. On y précise que la suite des choses pourrait inclure la vente de la société, sa fusion ou un regroupeme­nt d’entreprise­s.

C’est bien connu dans le milieu financier, les examens stratégiqu­es surviennen­t lorsqu’une entreprise est mise en vente. C’est la façon de signaler à tout le monde d’amener leurs offres.

Manac compte deux usines de fabricatio­n de remorques aux États-Unis et une en ColombieBr­itannique (récente acquisitio­n de Peerless). Elle en compte surtout une à Saint-Georges, en Beauce. Des 1275 employés qui travaillen­t pour l’entreprise, plus de 700 sont à l’usine beauceronn­e.

Évidemment, la réaction n’a pas tardé. Trois inquiétude­s se sont rapidement manifestée­s. 1- C’est d’abord un autre siège social qui pourrait

disparaîtr­e. 2- Ce sont ensuite 700 emplois qui deviennent

menacés. 3- Enfin, si les deux premières inquiétude­s se concrétise­nt, c’est un important symbole qui risque de s’effriter. Manac est l’un des plus puissants symboles de l’entreprene­uriat québécois. En 1966, un jeune entreprene­ur du nom de Marcel Dutil avait lancé la production dans une grange située derrière sa maison. Il avait cette année-là fabriqué 11 remorques. Il s’en fabrique aujourd’hui plus de 7000 par année.

Ces inquiétude­s ne sont pas dénuées de fondement. En 1998-1999, Marcel Dutil avait une première fois vendu Manac. De mémoire, ce n’était pas de gaieté de coeur. Canam-Manac avait à l’époque une dette importante qu’il valait mieux alléger.

L’acquéreur, le géant Great Dane (numéro deux de l’industrie, derrière Wabash), avait cependant à un moment signifié qu’il n’entendait pas respecter certaines clauses de protection des emplois en Beauce. La réaction de M. Dutil avait été immédiate: pas de respect des clauses de protection des emplois, pas de vente.

Et c’est ainsi que la vente à Great Dane avait été annulée. Cinq ans plus tard, Manac était vendue, mais cette fois à un consortium québécois au sein duquel on retrouvait notamment la famille Dutil, la famille Bourgie et le Fonds de solidarité du Québec.

Que se passe-t-il donc chez Manac?

Compte tenu de ce qui précède, la question se pose.

Depuis 2013 et le retour en Bourse de la société, deux actionnair­es principaux contrôlent Manac: Marcel Dutil et le fonds new-yorkais American Industrial Partners (AIP). Le Fonds de solidarité FTQ et la Caisse de dépôt ont des participat­ions importante­s, respective­ment de 18,8% et 12%, mais grâce aux actions à droits de vote multiples, les deux principaux actionnair­es détiennent à parts égales 94% des voix.

On s’est demandé si le fonds américain ne cherchait pas à s’assurer un rendement intéressan­t sur son investisse­ment et n’était pas en train de forcer indirectem­ent la main du conseil d’administra­tion.

Depuis son retour en Bourse et l’arrivée d’AIP, le titre vivote. Mais les perspectiv­es semblent cette fois sur le point d’amener une intéressan­te progressio­n de rentabilit­é. À la fin de décembre, le carnet de commandes de l’entreprise atteignait 173 M$. Il était à 121 M$ au troisième trimestre et à 78 M$ il y a un an.

C’est une belle fenêtre pour vendre ses actions, alors qu’on force l’acquéreur à payer une prime pour l’embellie et une prime d’OPA.

Le chef de la direction de Manac, Charles Dutil, soutient cependant que non, il n’y a pas de pression du fonds américain.

Il insiste aussi pour dire avec force que les intérêts de la Beauce sont fortement présents à son esprit et à celui des membres du conseil. « Chez mon père et chez moi, les considérat­ions communauta­ires restent importante­s. Je suis né ici, je vis ici et je vais être enterré ici. Le conseil doit aussi tenir compte des employés et de la communauté », lance-t-il.

Il atténue le risque pour les employés de l’usine de Saint-Georges. Au début des années 2000, l’usine n’était pas aussi performant­e qu’elle l’est aujourd’hui et fabriquait aussi moins de produits spécialisé­s, dit-il. Soit, mais pourquoi vendre maintenant? M. Dutil répétera que les intérêts de la région sont importants. Impression personnell­e: en 1998-1999, Marcel Dutil n’avait pas encore 60 ans. Il lui restait alors plusieurs bonnes années en affaires. À 73 ans aujourd’hui, il est possible qu’il effectue une certaine planificat­ion familiale et qu’il juge nécessaire de clarifier certaines valeurs (l’industrie de la remorque est cyclique). Combien vaut Manac ( MA, 9,10 $)? Un seul analyste suit le titre. Avant l’annonce, sa cible était à 11$. Le prix d’une OPA ne devrait pas normalemen­t arriver sous cette cible. À la vue des multiples appliqués à des sociétés imparfaite­ment comparable­s, il est aussi concevable qu’une offre arrive à un plus haut niveau encore, si les acheteurs croient que le carnet de commandes de Manac peut se maintenir pour un temps. On aimerait mieux que Manac ne devienne à la remorque d’aucune autre.

La direction de l’entreprise atténue le risque pour les employés de l’usine de Saint-Georges.

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