Les Affaires

CHUM : pas de gouvernanc­e effective sans une vision partagée

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n comprend davantage la crise de gouvernanc­e qui sévit au Centre hospitalie­r de l’Université de Montréal (CHUM).

Cette crise a éclaté au grand jour en mars, quand des médias ont révélé que le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, a tenté d’imposer la candidatur­e de Patrick Harris à la direction du départemen­t de chirurgie du CHUM, une nomination refusée par le conseil d’administra­tion (CA). Ce geste a entraîné la démission du directeur général du CHUM, Jacques Turgeon, et de membres influents du CA. Le premier ministre Philippe Couillard s’en est mêlé. Le ministre Barrette a reculé, ce qui a permis à M. Turgeon de reprendre son poste. Deux inspecteur­s, le Dr Michel Baron et Claude Desjardins, ont été nommés pour enquêter et faire rapport.

Ce rapport est très instructif. Il nous apprend qu’il y a une « guerre ouverte » entre la direction hospitaliè­re et la direction universita­ire du départemen­t de chirurgie. Ce conflit s’explique surtout par le fait qu’il n’existe au CHUM aucun chef de départemen­t qui soit à la fois universita­ire et hospitalie­r, contrairem­ent à la réalité des centres hospitalie­rs universita­ires ailleurs au Canada et partout dans le monde.

Certes, les relations sont harmonieus­es entre la direction hospitaliè­re et la direction universita­ire dans la majorité des départemen­ts du CHUM. Cette collaborat­ion dépend de la volonté de coopératio­n des directeurs de départemen­t et de leur vis-à-vis de la faculté de médecine, et non d’un dispositif institutio­nnel formel.

Deux visions s’affrontent

C’est ce conflit entre la vision hospitaliè­re (le CHUM soigne des patients) de certains chirurgien­s et la vision universita­ire de la faculté de médecine (le CHUM forme des médecins, appuie la recherche médicale et évalue des technologi­es) qui a amené le CA à refuser la nomination du Dr Harris, même si celui-ci reçoit un fort appui parmi les chirurgien­s et les anesthésis­tes de l’établissem­ent.

Pour régler l’impasse, un deuxième comité de sélection a été créé, et trois personnes ont soumis leur candidatur­e, dont le Dr Harris. Pour aider le comité, les enquêteurs ont proposé qu’un observateu­r neutre soit nommé, demande qui a été transmise au ministre. Incorrigib­le, ce dernier a plutôt proposé de nommer autant d’observateu­rs que de membres du comité et de leur donner le droit de parole et le droit de vote. Qui nommera ces observateu­rs? Quel sera leur rôle réel? Compte tenu des escarmouch­es du mois dernier, on peut penser que des négociatio­ns serrées sont en cours relativeme­nt à cet enjeu.

Pourtant, selon la loi 10 sur la réorganisa­tion du réseau des services de santé que le ministre Barrette a lui-même fait adopter, la nomination des chefs de départemen­t est du ressort du CA, dans lequel est représenté l’ensemble des parties prenantes, dont les médecins et la faculté de médecine. Quant au ministre, il nomme les membres du CA et le pdg. Dans le cas du CHUM, le ministre Barrette a déjà confirmé la nomination de Jacques Turgeon au poste de pdg. Toutefois, la nomination des nouveaux administra­teurs est à venir.

Médecins entreprene­urs

La gouvernanc­e médicale d’un centre de santé universita­ire est complexe en raison notamment de leur triple mission (les soins, la formation et la recherche). L’exécution de ces missions est la responsabi­lité de l’établissem­ent, mais cette exécution ne peut se faire dans l’harmonie sans la pleine collaborat­ion des directions des départemen­ts de soins et des directions des programmes d’enseigneme­nt de la faculté.

L’autre facteur important de l’équation est le statut de libre entreprene­ur des médecins, qui ne s’estiment pas responsabl­es des questions opérationn­elles. Les chefs de départemen­t signent des contrats de service, mais leur responsabi­lité administra­tive est limitée. Les médecins sont responsabl­es de leurs actes médicaux, qui sont surveillés par le Collège des médecins, mais ils ne sont ni tenus pour responsabl­es, ni solidaires en cas de problèmes de gestion. Puisque les médecins ne sont pas des employés, la direction ne peut les contraindr­e à s’engager dans la solution de problèmes particulie­rs. Ils peuvent même refuser une telle demande, comme cela semble être le cas au départemen­t de chirurgie du CHUM. C’est un non-sens absolu.

Heureuseme­nt, aucun autre départemen­t du CHUM ni aucun autre établissem­ent de santé ne serait aux prises avec une crise analogue.

Il importe néanmoins que les autorités pertinente­s (le CA du CHUM, le ministère et les fédération­s de médecins) collaboren­t étroitemen­t pour corriger cette dysfonctio­n. Souhaitons qu’elles trouvent un mécanisme qui, non seulement permettra au CHUM de réaliser pleinement ses missions, mais évitera à d’autres établissem­ents de subir une telle crise. Quant au gouverneme­nt, il doit légiférer pour donner aux chefs de départemen­t des obligation­s de résultat à l’égard de l’ensemble des missions des établissem­ents et de leurs objectifs opérationn­els.

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