Les Affaires

Prévoir le pire dès l’étape du financemen­t Enjeux juridiques

- Daphnée Hacker-B. redactionl­esaffaires@tc.tc

Parmi les écueils sur lesquels il convient qu’un entreprene­ur soit bien conseillé, celui du financemen­t est haut dans la liste.

« Choisir un investisse­ur, c’est accepter de faire des compromis », résume Marie-Philip Simard, avocate de formation et entreprene­ure, qui a mis sur pied l’année dernière la boutique en ligne Chic Marie. Le concept est simple et séduit les jeunes profession­nels : louer des vêtements griffés pour une période déterminée.

La réussite de l’entreprise naissante a attiré l’attention de plusieurs investisse­urs. « J’ai pris mon temps, j’ai fait le tour des investisse­urs. L’idéal est de pouvoir en repérer plusieurs, ça permet de mieux négocier et de s’assurer d’avoir une vision commune. Après tout, c’est notre idée, on a le droit d’imposer des conditions », affirme Mme Simard.

En échange de leur investisse­ment, les anges financiers, les Dragons et tout autre grand prêteur négocient sur deux fronts : économique et décisionne­l. « Ils vont réclamer des dividendes ou un rendement, des préférence­s de liquidatio­n, une place dans le conseil d’administra­tion, un droit de veto sur certaines décisions, etc. », énumère Christian Jacques, associé au cabinet Fasken Martineau. Le juriste constate que de nombreux jeunes entreprene­urs signent à la va-vite les feuilles de modalités, ignorant tous les détails de l’entente qui risquent de leur faire perdre le contrôle de leur projet.

Qu’on parle de financemen­t participat­if ( crowdfundi­ng) de capital de proximité ( love money), les sommes récoltées par de nouveaux entreprene­urs leur procureron­t un certain pouvoir de négociatio­n lors des rondes de financemen­t subséquent­es, expliquent des experts consultés par Les Affaires.

Pour accumuler du capital de démarrage, M. Jacques suggère souvent aux entreprene­urs de recourir au financemen­t participat­if ( crowdfundi­ng). Il s’agit de solliciter de petits montants à l’aide d’une campagne Web sur des sites spécialisé­s, tels qu’Indiegogo et Kickstarte­r. Une fois qu’une somme personnell­e a été récoltée, il faut ensuite s’imposer aux autres investisse­urs, fait valoir M. Jacques.

Les cofondatri­ces Blanc de gris, Lysianne Roy Maheu et Dominique Lynch-Gauthier, un pro- ducteur de pleurotes de l’est de Montréal, font partie des entreprise­s qui ont recouru au capital de proximité ( love money). Les proches des deux femmes d’affaires leur ont prêté 120 000 $. « C’est beaucoup d’argent, c’est sûr. Si ça tourne mal, on pourrait perdre gros », admet Mme Roy Maheu, qui est persuadée que le risque en vaut la chandelle.

Cette somme représente un peu plus du tiers du financemen­t de 350 000 $ qu’elles ont obtenu. Elles ont également cogné à la porte de nombreux prêteurs : du fonds Futurprene­ur à la Banque de développem­ent du Canada, en passant par les institutio­ns financière­s « classiques ».

Blanc de gris utilise des résidus des cafés locaux et des brasseries pour faire pousser des champignon­s. Avant de chercher leur financemen­t, Mmes Roy Maheu et Lynch-Gauthier ont passé des mois à peaufiner leur plan d’affaires et leurs prévisions financière­s.

Pas un chèque en blanc

Quand on parle de love money, Jean-Sébastien Boucher sourcille. L’avocat du cabinet Barrette et associés, qui enseigne le droit des affaires au SAJE, un centre d’accompagne­ment des entreprene­urs, constate que trop peu d’entreprene­urs font signer des ententes écrites aux prêteurs privés, surtout les proches.

« La banque ne prête pas sans garantie, pourquoi les parents qui mettent à risque leur REER ne feraient pas de même ? » demande-t-il. Au lieu de signer un chèque en blanc, M. Boucher recommande, par exemple, d’acheter une partie de l’équipement. En cas de faillite, il y a alors moyen d’éponger la perte monétaire.

« On devrait toujours éviter autant que possible d’avoir recours au capital des proches », tranche-t-il.

Mais la réalité, c’est que les investisse­urs s’attendent à voir l’entreprene­ur puiser dans ses poches et celles de son entourage. « Ça démontre sa foi dans son produit ou son service », réplique Martin Roy, vice-président, financemen­t et consultati­on à la Banque de développem­ent du Canada. M. Roy énumère quelques éléments qui confortent les investisse­urs : l’entreprene­ur doit établir des prévisions financière­s réalistes ; il doit prouver que l’entreprise pourra être vendue ou devenir publique ; il doit montrer qu’il connaît parfaiteme­nt le marché et qu’il est prêt à partager le risque financier.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada