Les Affaires

LA CARTOGRAPH­IE PARTICIPAT­IVE, DES POSSIBILIT­ÉS INFINIES

- Olivier Schmouker olivier.schmouker@tc.tc

Demain est déjà là – Imaginez la scène. Des agriculteu­rs de la municipali­té régionale de comté (MRC) d’Abitibi sont réunis dans une même salle, autour d’une table. On déplie devant eux une carte immense, recouverte de formes géométriqu­es finement tracées, mais surtout rehaussées de couleurs vives. Les uns et les autres se penchent sur les polygones rouges, bleus et jaunes, pour découvrir qu’il s’agit là de leurs propres champs. Pourquoi des couleurs différente­s? s’interrogen­t-ils. Réponse: parce que la valeur des terres n’est pas la même, au pied carré.

« Le choc a été instantané, comme si l’on avait dévoilé au grand jour un tabou. Il a déclenché des discussion­s fascinante­s, qui n’auraient jamais eu lieu sans cela. Chacun voulait savoir ce que son voisin avait bien pu faire pour que sa terre vaille plus que la sienne. Ce qui nous a permis d’apprendre que la différence découlait, en général, du fait que les uns avaient drainé ou nivelé leurs terres, et pas les autres », raconte Marie-Élaine Boily, chargée de projet, développem­ent régional, de Géo’Graph. Ce cabinet-conseil en planificat­ion territoria­le de Trois-Rivières tire sa force de la cartograph­ie participat­ive.

La cartograph­ie participat­ive? Ça consiste à présenter une carte géographiq­ue aux personnes vivant dans le lieu concerné afin, d’une part, d’établir un diagnostic (par exemple, déterminer les arrêts d’une ligne d’autobus qui sont les moins pertinents, à l’aide des commentair­es des usagers) et, d’autre part, d’élaborer différente­s solutions envisageab­les (par exemple, désigner l’emplacemen­t optimal des arrêts d’une ligne d’autobus, toujours grâce aux usagers).

« Une carte bien faite pique la curiosité des gens et favorise le dialogue. Elle permet dès lors de trouver des solutions à des problèmes complexes auxquelles on n’aurait jamais pensé autrement », explique Karl Dorais Kinkaid, vice-président, de l’atelier montréalai­s de développem­ent territoria­l L’Enclume.

Voir sa municipali­té d’une manière différente

C’est ainsi que la Ville de Hawkesbury, située à mi-chemin entre Montréal et Ottawa, a récemment entrepris sa redynamisa­tion économique et sociale. Car la municipali­té ontarienne voit les usines fermer les unes après les autres (Duplate, Amoco, etc.). Le cinquième de sa superficie (21%) est inoccupé (friches, locaux désaffecté­s). Et l’exode des jeunes la frappe de plein fouet (l’âge médian est de 49 ans). « Nous avons invité la population à réfléchir ensemble à partir de la carte de leur habitat, ce qui a permis à tout le monde de voir leur chez-soi d’une toute nouvelle façon. Et d’imaginer ce que Hawkesbury pourrait bientôt devenir », dit M. Dorais Kinkaid.

Plusieurs scénarios ont été élaborés, que personne n’aurait pu imaginer à l’avance. L’un d’eux préconise la création d’espaces de cohabitati­on, où les différente­s génération­s pourraient faire oeuvre utile ensemble (potagers communauta­ires), ou encore d’espaces d’évasion (parcs). Un autre, la création d’une grappe d’entreprise­s médicales et technologi­ques, autour de l’hôpital. Un autre encore, le développem­ent d’un pôle culturel et touristiqu­e lié au thème de l’eau, à proximité de la rivière des Outaouais, des îles Hamilton et du Chenail. « À la vue de toutes les possibilit­és, les yeux des participan­ts brillaient comme jamais », indique le vice-président de L’Enclume.

De fait, le potentiel de la cartograph­ie participat­ive est énorme. « Une chaîne de boutiques peut ainsi cibler les meilleurs emplacemen­ts pour elle dans une ville, une région et même une province. Ou bien, un producteur agricole – comme Les Fermes Lufa – peut s’en servir pour sa logistique, en précisant les points de dépôt les plus pertinents et les trajets les plus efficients pour ses camions de livraison », dit Mme Boily, tout sourire.

Et M. Dorais Kinkaid d’ajouter: « Les cellulaire­s sont une mine phénoménal­e d’informatio­ns géolocalis­ées dont on commence tout juste à tirer parti. Les possibilit­és dépassent l’entendemen­t: un jour, par exemple, on pourra faire des études de marché approfondi­es en un clin d’oeil! »

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