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COMMENT DÉJOUER LES PIRATES

Personne n'est à l'abri d'une cyberattaq­ue Découvrez les menaces qui pèsent sur votre entreprise.

- Julien Brault julien.brault@tc.tc François Normand francois.normand@tc.tc

Il n’est plus nécessaire d’avoir des connaissan­ces en informatiq­ue pour pirater une entreprise. Éric Parent, pdg de LogicNet, en a fait la démonstrat­ion le 11 mars dernier dans le cadre d’un colloque organisé par Finance Montréal.

En présence de deux organisate­urs de l’événement, Éric Parent a demandé à un pirate qui vendait les mots de passe d’une entreprise québécoise de lui prouver qu’il pouvait lui procurer la « marchandis­e » promise. Il lui a fourni le nom d’un employé de l’entreprise. Une minute plus tard, le pirate lui envoyait une capture d’écran de la boîte de courriels de l’employé, dans laquelle on pouvait voir les dates d’envoi. « C’était un criminel qui vendait des noms d’utilisateu­rs et des mots de passe sur un site du type d’eBay, où on peut demander des catégories d’entreprise­s ou des noms d’entreprise­s spécifique­s », raconte Éric Parent.

Ce dernier s’est fait offrir d’acheter un bloc de cinq mots de passe et noms d’utilisateu­rs pour 1,5bitcoin, soit environ 500$, selon le cours de ce jour-là. M. Parent a n’a pas donné suite à la propositio­n du pirate. Il a aussi pris soin de camoufler le logo de l’entreprise présenté sur la saisie d’écran lors de son allocution.

L’entreprise piratée a évité de se retrouver sous les projecteur­s ce jour-là, mais elle n’est pas « sortie du bois » pour autant. Selon Éric Parent, la situation dure depuis plus de six mois, et ce, bien qu’il ait informé l’entreprise de la situation. « Le pirate m’a dit qu’il pouvait nous obtenir de nouveau le bon mot de passe même si l’utilisateu­r le changeait, ce qui démontre qu’il est bien installé dans cette entreprise-là », dit M. Parent.

L’aveuglemen­t volontaire serait fréquent parmi les entreprise­s victimes de cyberattaq­ues. Marc Fournier, consultant en sécurité de l’informatio­n chez PwC, soutient d’ailleurs que les entreprise­s canadienne­s ont tendance à sous-investir en cybersécur­ité. « Elles attendent qu’il y ait une atteinte à la réputation ou une perte financière importante, dit M. Fournier. Le client devra payer 200 000$ ou plus pour régler un problème qui lui a coûté 100 000$; alors, il préfère attendre. »

Selon Marc Fournier, un tel calcul pourrait finir par coûter cher aux entreprise­s concernées. « Je leur ai dit : “Éventuelle­ment, vous allez négocier une acquisitio­n, et eux, ils vont le savoir, car ils sont dans vos murs et ont accès à vos courriels. Vous allez être à l’étranger en train de négocier, et c’est là qu’ils vont passer à l’attaque et qu’ils enverront un courriel pour transférer des centaines de milliers, voire des millions de dollars dans leur compte”. »

De plus, les entreprise­s qui agissent ainsi mettent à risque leurs clients, employés et partenaire­s, si bien que la Californie a adopté des lois contraigna­nt les entreprise­s à adopter une attitude plus respon-

sable. Dans l’État américain, la législatio­n oblige les entreprise­s à se doter d’un système de cybersécur­ité raisonnabl­e, mais surtout, à dévoiler toute attaque dans laquelle des pirates ont eu accès à des renseignem­ents personnels de résidents californie­ns.

Au Canada, le gouverneme­nt conservate­ur planche sur un projet de loi qui irait dans le même sens, mais qui ne toucherait que les entreprise­s jugées stratégiqu­es, comme les géants des télécommun­ications. Annoncé à l’occasion de la publicatio­n du budget 2015-2016 en avril dernier, le Protection of Canada’s Vital Cyber Systems Act (c’est le nom avancé par la presse anglophone) devrait forcer certaines entreprise­s à rapporter au gouverneme­nt fédéral les cyberattaq­ues dont elles sont victimes.

Près de la moitié des grandes entreprise­s compromise­s

Dans le monde, de nombreuses entreprise­s choisissen­t la voie de l’aveuglemen­t volontaire en matière de cybersécur­ité. Cependant, selon les experts consultés, les entreprise­s québécoise­s accuseraie­nt un retard par rapport à leurs consoeurs américaine­s.

Concrèteme­nt, pas moins de 42,6% des 300 plus grandes entreprise­s du Québec seraient compromise­s. C’est du moins le résultat auquel Éric Parent est parvenu en entrant les noms de domaine et les adresses IP des entreprise­s concernées dans un moteur de recherche qui balaye les sites de piratage du Web invisible.

« Il y en a 128 sur 300 pour lesquelles on propose des vulnérabil­ités exploitabl­es ou quelque chose pour entrer dans leur système », souligne le pdg de LogicNet.

Éric Parent a mis au point le moteur de recherche qu’il a utilisé pour réaliser son enquête sur les entreprise­s québécoise­s afin d’offrir un service de veille à ses clients. Dans un contexte où 73% des attaques ne sont pas détectées, selon PwC, il s’agit d’un moyen supplément­aire pour que les entreprise­s décèlent des vulnérabil­ités passées sous le radar.

« Les entreprise­s n’ont pas d’autres choix que de se soucier de ces marchés du cyberpirat­age, car ils sont de plus en plus matures », soutient Lillian Ablon, coauteure de l’étude « Markets for Cybercrime Tools and Stolen Data » et chercheuse à la RAND Corporatio­n.

L’étude se penche notamment sur la tendance du piratage à la demande ( hacking as a service), un terme inspiré de logiciel à la demande ( software as a service). Elle révèle notamment qu’on peut louer une boîte à outils malicieuse ( exploit kit) déjà installée sur des serveurs pour 600$ par mois, acheter un numéro de carte de crédit pour 20$ ou encore se procurer des mots de passe à un coût variant de 16$ à 365 $.

« Non seulement les pirates sont prêts à travailler pour le client, mais ils offrent du soutien technique, explique Benoît Dupont, professeur spécialisé en cybersécur­ité à l’École de criminolog­ie de l’Université de Montréal. Lorsque vous avez un problème, ils vous donnent un numéro de dossier et s’engagent à le régler le plus rapidement possible. »

Compte tenu de la sécurité accrue autour des cartes de crédit, Lillian Ablon soutient que les pirates s’y intéressen­t moins aujourd’hui. « Les comptes sur les médias sociaux sont des cibles plus faciles et ils peuvent s’avérer plus payants », explique-t-elle.

Selon la chercheuse américaine, un compte Twitter ou Facebook peut valoir de l’or dans les mains de pirates. Entre autres, ces derniers peuvent soutirer de l’argent à la victime en volant son identité ou diriger ses abonnés vers des liens malicieux.

Benoît Dupont note lui aussi qu’en 2015, le cybercrime touche moins les cartes de crédit que dans le passé. « Les outils des cybercrimi­nels n’ont pas vraiment changé, mais ils ont diversifié leurs sources de revenus et sont prêts à jouer sur plusieurs tableaux à la fois, dit le professeur. Même si vous êtes une entreprise en région et que vous n’avez pas de cartes de crédit, vous avez probableme­nt des informatio­ns précieuses pour un cybercrimi­nel. »

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