Le Québec rattrape l’Ontario, mais se fait devancer par l’ensemble du Canada
Plombco a pris une décision cruciale en automatisant progressivement sa chaîne de production depuis 2000. Sans cette automatisation, le manufacturier de masses d’équilibrage (des pièces pour réduire la vibration des roues) aurait été évincé du marché nord-américain par la concurrence asiatique.
« Je ne serais pas ici à vous parler de cela si on n’avait pas fait ces changements, parce qu’on n’aurait pas survécu! » laisse tomber le président de cette PME, Martin Lussier, en nous faisant visiter son usine de Salaberry-de-Valleyfield, en Montérégie. Plombco en a une seconde non loin de là, à Huntingdon.
L’entreprise vend la majorité de ses masses d’équilibrage à des garages, y compris ceux implantés dans les magasins Walmart. Une partie de sa production est aussi vendue à des constructeurs automobiles au Canada et aux États-Unis, dont Honda.
Le bruit est omniprésent dans l’usine de Valleyfield qui emploie 80 personnes (35 à Huntingdon); on s’y entend à peine parler. Tantôt, c’est le vacarme produit par le système de tri et d’emballage des masses d’équilibrage. Tantôt, c’est le bruit des cellules de production robotisée, qui positionnent et insèrent des pièces dans une machine à injection.
Ces cellules de production robotisée – qu’on nous a interdit de photographier, secret industriel oblige – ont nécessité des investissements de 11 millions de dollars. Aujourd’hui, elles fabriquent le tiers de la production de Plombco, qui totalise un million de pièces par jour.
Seulement deux personnes supervisent ces cellules de production robotisée.
Mais au fil du temps, aucun poste n’a été aboli en raison de l’automatisation de l’ensemble de la chaîne de production de Plombco, bien au contraire, affirme Martin Lussier.
« Nous avons toujours augmenté le nombre d’employés, car l’automatisation nous a permis d’être mieux outillés pour répondre à la demande et être plus compétitifs, dit-il. Les personnes dont les tâches ont été abolies en raison de l’automatisation ont été assignées à d’autres postes plus techniques dans l’usine. »
L’automatisation a aussi été une question de survie pour l’usine de sciage de Produits forestiers Résolu à La Doré, au Saguenay–Lac-SaintJean, raconte le directeur de l’usine, Sylvain Goulet. « L’automatisation nous a permis de traverser la crise dans l’industrie forestière de 2007-2014 », dit-il, en rappelant que plusieurs scieries ont fermé aux quatre coins du Québec durant cette période sombre.
L’usine de Résolu à La Doré a réussi, elle, à maintenir sa production.
Qu’a-t-elle fait? De concert avec le Centre de recherche industrielle du Québec (CRIQ), l’entreprise a mis au point, entre 2004 et 2006, deux systèmes pour accroître la productivité de sa chaîne de production.
Le premier est le contrôle de la qualité de l’équarrissage, pour produire plus de planches par billes de bois. Le second est le contrôle de la qualité de l’écorçage, afin de réduire au minimum l’écorce qu’il faut enlever sur une bille de bois.
« Ces deux systèmes nous ont permis d’augmenter notre rentabilité et notre productivité », explique Sylvain Goulet.
Le Québec traîne la patte
Même si l’automatisation procure des avantages concurrentiels et est parfois essentielle à la survie d’entreprises, un grand nombre de sociétés québécoises hésitent encore à prendre ce virage de manière significative.
En fait, nos sociétés s’automatisent, mais elles sont moins automatisées que les entreprises établies en Ontario et dans l’ensemble du Analyse — On s’en doutait, et des statistiques inédites le confirment: les entreprises manufacturières québécoises sont moins automatisées que celles de l’Ontario et de l’ensemble du Canada.
C’est ce que montre un ratio produit par Statistique Canada pour Les Affaires: le capital investi par rapport aux heures travaillées. Ce ratio éclaire l’enjeu primordial de l’automatisation des entreprises au pays, même s’il n’est pas parfait.
Aucune statistique officielle n’existait pour mesurer l’automatisation des entreprises québécoises et canadiennes. Toutes les organisations que nous avons jointes – de l’Institut de la statistique du Québec à Statistique Canada, en passant par les associations patronales et les institutions spécialisées en recherche industrielle – n’avaient aucune donnée à ce sujet. Le ratio imaginé par Statistique Canada indique tout simplement la valeur (en dollars de 2007) de la machinerie et de l’équipement mis à la disposition d’un employé pour une heure de travail.
Plus ce chiffre est élevé, plus on peut conclure qu’une entreprise est automatisée.
Ainsi, dans le secteur de la fabrication, ce ratio au Québec s’élevait à 13 900$/ h en 2013, comparativement à 14 700$/ h en Ontario et à 15 500$/ h dans l’ensemble du Canada.
De plus, l’analyse des données de Statistique Canada de 1997 à 2013 nous permet de déceler deux autres tendances en matière d’automatisation.
D’une part, l’écart entre l’Ontario et le Québec s’amenuise. C’est une bonne nouvelle. La mauvaise, c’est que cet écart diminue en partie parce que l’automatisation
intitulée « L’avenir de la productivité: l’heure du réveil pour les entreprises canadiennes ».
Pourtant, la principale façon d’accroître la productivité d’une entreprise consiste justement à automatiser davantage sa chaîne de production. Comment aider les entreprises québécoises à s’automatiser? Pour Éric Tétrault, président des Manufacturiers et exportateurs du Québec (MEQ), le retard des entreprises en matière d’automatisation est une grave problématique. C’est pourquoi, dit-il, il faut prendre le taureau par les cornes pour tenter de corriger le tir.
« Il faut créer un chantier national! » lance-t-il en haussant le ton. Il dénonce le manque d’argent et le manque d’ambition collective pour s’attaquer à ce problème.
Selon le patron des MEQ , c’est la responsabilité de l’État québécois de donner une impulsion afin d’aider nos entreprises à automatiser davantage leur chaîne de production.
Québec pourrait par exemple aider davantage financièrement les entreprises qui veulent acheter de la machinerie et de l’équipement, afin de diminuer leurs risques financiers.
La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) pense plutôt que le gouvernement devrait créer des conditions favorables pour l’investissement, en allégeant par exemple le fardeau fiscal des PME (la taxe sur le capital a déjà été abolie).
« Nos membres nous disent qu’ils savent quelles décisions prendre », souligne Simon Gaudreault, économiste principal de la FCEI. Il laisse sous-entendre que l’interventionnisme de l’État ne serait pas nécessairement bien vu. D’importants gains d’efficacité pour trois entreprises Chose certaine, plusieurs entreprises québécoises n’ont pas attendu un coup de pouce majeur de Québec pour s’automatiser.
Par exemple, le fabricant de trains d’atterrissage Héroux-Devtek utilise de plus en plus des systèmes FMS (pour flexible manufacturing system, ou système de fabrication flexible), ce qui lui permet d’accroître la productivité de certaines cellules de production. Ces systèmes automatisés permettent à l’entreprise de fabriquer plus de pièces et de composants dans une heure de travail.
« Il s’agit d’un gain de 30 à 40% par rapport aux cellules conventionnelles », précise le président et chef de la direction, Gilles Labbé. des entreprises manufacturières décline à moyen terme en Ontario. De 1997 à 2013, le ratio du capital investi par rapport aux heures travaillées a reculé de 3,7% en Ontario, tandis qu’il a progressé de 1% au Québec.
D’autre part, en matière d’automatisation, les entreprises manufacturières de l’ensemble du Canada s’automatisent plus vite que celles du Québec. De 1997 à 2013, le ratio du capital investi par rapport aux heures travaillées a progressé de 2 %, soit deux fois plus qu’au Québec.
Enfin, le retard du Québec en matière d’automatisation s’observe aussi dans l’ensemble de l’économie. Ainsi, tous secteurs confondus, le ratio du capital investi par rapport aux heures travaillées s’élevait à 8300$/ h en 2013. Or, en Ontario et dans l’ensemble du Canada, il s’établissait respectivement à 9100$/ h et à 10800$/ h.
Fait intéressant, le ratio est en déclin au Québec, en Ontario et dans l’ensemble du pays depuis la crise financière de 2008-2009.– FRANÇOIS NORMAND et de l’équipement pour être plus efficace et accroître sa productivité.
Réjean Lepage, vice-président et ingénieur, affirme que le rendement de l’investissement peut être rapide si l’automatisation permet de faire des tâches peu compliquées et répétitives auparavant effectuées par des humains. « Si on remplace par exemple cinq personnes par un robot, l’investissement se rentabilise rapidement », précise-t-il.
Mais il assure du même souffle que personne n’a jamais dû se trouver un emploi dans une autre entreprise en raison de l’automatisation. « Jamais, on n’a fait de mises à pied de personnel pour les remplacer par des machines », dit-il, expliquant que les employés dont les postes ont été abolis ont pu se recycler et occuper d’autres postes plus techniques au sein de Biscuits Leclerc, qui exploite six usines: deux à Québec, une en Ontario et trois aux États-Unis.