Les Affaires

INGÉNIERIE DE L’ÉTAT : ATTENTION AUX VOEUX PIEUX

- Jean-Paul Gagné jean-paul.gagne@tc.tc Chroniqueu­r

La réingénier­ie de l’État souhaitée par le gouverneme­nt de Philippe Couillard a fait couler beaucoup d’encre la semaine dernière. Voici certains éléments d’analyse en regard des principaux sujets qui ont été abordés. 1. Rapport Godbout. La Commission d’examen sur la fiscalité présidée par Luc Godbout propose une réforme en profondeur de la fiscalité québécoise. On suggère de réaménager 4,4 milliards de dollars d’impôts et de taxes à coût nul pour l’État. La Commission propose de réduire l’impôt sur le revenu des particulie­rs les moins nantis, de hausser à 18 000$ l’exemption de base, de porter de quatre à neuf le nombre de paliers d’imposition, d’abaisser les taux marginaux visant la classe moyenne et d’abolir la contributi­on santé. Les plus démunis bénéficier­aient d’une améliorati­on de la prime au travail et du crédit d’impôt pour la solidarité. Enfin, la création d’un bouclier fiscal réduirait leur taux marginal d’imposition. Plusieurs crédits d’impôt seraient abolis ou transformé­s.

En revanche, la TVQ passerait de 9,975 à 11%, ce qui porterait à 16% la taxe de vente combinée. On accroîtrai­t les tarifs d’électricit­é, les taxes sur le tabac, l’alcool, l’essence et l’achat de voitures énergivore­s. Pour les entreprise­s, il est proposé de réduire le taux d’impôt sur les profits, de réduire la taxe sur la masse salariale des PME, d’éliminer plusieurs crédits d’impôt et autres dépenses fiscales. L’objectif global est de rendre le système fiscal plus incitatif à l’égard du travail, donc plus favorable à la croissance économique.

La plupart des économiste­s trouvent ce réaménagem­ent opportun, ce qui est aussi le point de vue du ministre des Finances, Carlos Leitao. On peut s’attendre à ce qu’un grand nombre de ces mesures soient retenues. Mais attention, comme l’a dit Nietzsche « le diable est dans les détails ».

2. Commerce en ligne transfront­alier. Plusieurs mesures nécessiter­ont des ententes

La seule façon de sortir l’État du commerce de l’alcool serait de démembrer la SAQ , mais ce serait irréaliste.

avec Ottawa. C’est le cas de la taxation des achats en ligne transfront­aliers, qui constituen­t une concurrenc­e déloyale pour les détaillant­s du Québec, où la TVQ est plus élevée qu’ailleurs au Canada. Le Québec perdrait 300 millions de dollars, et l’ensemble du pays, 1 G$ à cause de cette échappatoi­re. Le Conseil québécois du commerce de détail demande avec raison aux gouverneme­nts d’obliger les émetteurs de cartes de crédit et de paiement à percevoir à la source les taxes de vente et la douane sur les achats effectués en ligne à l’étranger. Il est inacceptab­le qu’Ottawa ne se soucie pas de cette perte de revenu fiscal et du tort fait à nos détaillant­s et à notre économie.

3. Société des alcools. Pour sa part, la Commission sur la révision des programmes, présidée par Lucienne Robillard, a proposé d’accroître la vente du vin par le secteur privé. Son raisonneme­nt: s’il se vend plus de produits dans le privé, la SAQ sera forcée d’être plus efficace et les consommate­urs auront de meilleurs prix. C’est un voeu pieux. Les prix sont surtout dictés par l’appétit de l’État pour les taxes et les dividendes. Si la SAQ perd des ventes, son réseau de détail lui coûtera plus cher. La seule façon de sortir l’État du commerce de l’alcool serait de démembrer la SAQ, mais ce serait irréaliste. Si on veut retirer plus d’argent de la vente de ce commerce sans hausser les prix, la seule manière d’y arriver est de rendre la SAQ plus efficace. Il y a probableme­nt des gains de productivi­té à obtenir, mais les chiffres avancés sur l’inefficaci­té de la SAQ semblent souvent discutable­s. Soyons prudents.

4. Revenu Québec. La commission Robillard propose d’envisager de fusionner la perception des impôts faite par Revenu Québec et l’Agence du revenu du Canada (ARC). Ce dédoubleme­nt n’a pas de sens a priori, mais, en même temps, Québec doit conserver sa capacité et ses propres politiques fiscales. Or, Stephen Harper refuse que l’ARC gère la perception des cotisation­s relativeme­nt au nouveau régime de retraite que le gouverneme­nt ontarien veut mettre en place. Revenu Québec doit aussi protéger ses programmes de lutte à l’évasion fiscale, qui rapportera­ient 9$ pour chaque dollar dépensé. Québec perçoit déjà la TPS fédérale. Avec de la bonne volonté, les deux gouverneme­nts ne devraienti­ls pas s’entendre pour percevoir ensemble l’impôt sur les profits des entreprise­s?

5. Révision des programmes. Une des recommanda­tions les plus pertinente­s de la commission Robillard est la création d’un Bureau de révision permanente des programmes, ce à quoi le président du Conseil du trésor, Martin Coiteux, a acquiescé. Cela fait des décennies qu’on parle de cette nécessité, qui est toujours restée lettre morte. La déterminat­ion affichée par le ministre est rassurante.

La vérificati­on de l’efficacité des fournisseu­rs de l’État est aussi une excellente recommanda­tion. Espérons que Québec y donnera suite et que les incompéten­ts seront punis.

Les réformes sur lesquelles se penche le gouverneme­nt Couillard sont importante­s. S’il réussit à en réaliser un bon nombre, il aura mieux fait que plusieurs de ses prédécesse­urs sur le plan de la réingénier­ie de l’État.

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